En différenciation pédagogique : la technique comme pratique

La différenciation pédagogique repose sur le diagnostic des différences, état des lieux intégrant le maximum de variables à partir des connaissances que lui fournissent les sciences de l'éducation. Alliant science et technique, l'action pédagogique peut légitimement se vouloir technologie, recherche et utilisation des meilleurs moyens permettant d'amener l'enfant à atteindre tel ou tel objectif, telle ou telle conduite. Mais l'enfant n'est plus alors qu'un phénomène déterminé, un simple objet de la nature comme tous les autres. Sa dignité impose pourtant le contraire.

Par l'évaluation, les diagnostics, la connaissance des déterminations, l'action pédagogique peut gagner en objectivité et en efficacité. Mais il n'en découle pas pour autant que la justice sera mieux respectée. Si l'égalité consiste à donner à chacun selon ses besoins, il ne peut y avoir de dû commun, car tous sont différents. Si le dû commun est le respect de la Dignité qui fait de chacun l'égal de tout autre, il ne peut surgir de l'observation des besoins. L'observation des faits ne nous donne à voir que de la diversité, que des différences et à nous en tenir là, aucune Identité, aucune Egalité ne peut surgir, sauf à considérer qu'elle est d'un autre ordre, mais alors notre observation, nos diagnostics, nos moyens ne peuvent la produire. A nous en tenir aux faits, c'en serait fait de l'Egalité. Mais elle est une Idée pratiquement nécessaire, reliée à l'Idée de Liberté, nous interdisant de traiter l'humain comme un simple objet de la nature. Les Idées sont des principes subjectifs d'action sans aucune objectivité scientifique. Egalité et Justice ne sont pas des objets scientifiques. L'objectivité d'une action, la mise en relation la plus efficace possible entre moyens et fins n'a rien à voir avec le souci d'Egalité, avec le respect. Nous pouvons effectivement lister les besoins, les manques, rechercher la manière d'y répondre de la façon la plus adaptée possible, mais ce faisant, nous ne faisons rien quant à ce qui est dû à chacun, le respect de son Humanité, voire même à chercher à tout prévoir, tout régler, nous nous y opposons. A vouloir tout prévoir, tout adapter nous nions la Liberté et, par conséquent, l'Humanité, l'Egalité, la Justice. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne nous faut pas rechercher les moyens d'améliorer le droit présent.

Chaque enfant a le droit au développement de ses facultés et à une chance égale. Nous pouvons et devons rechercher les moyens d'améliorer la situation présente, mais une action qui ne serait que technique nierait la Liberté et l'Egalité qui pourtant la justifient, et sombrerait dans ses contradictions. La Justice, Liberté et Egalité sont des Idées que la science et la technique ne peuvent produire. Elles sont nécessaires à notre pratique pour lui donner sens, pour juger nos actions, pour nous opposer aux situations de non-droit. De cette opposition, de nouvelles réflexions, de nouveaux moyens peuvent nous permettre d'espérer améliorer la situation présente, inscrire un nouveau droit plus juste, mais jamais encore assez juste, qu'il nous faudra encore juger, critiquer par rapport à l'Idée de Justice. C'est de cette confrontation, sans cesse reprise, que nous pouvons espérer une amélioration de la réalité, pas de nos techniques.

La pratique appelle bien le dépassement de nos élans spontanés, mais pas par obligation technique, par la prise de conscience de notre devoir. Or, le devoir n'a de sens que par l'autonomie de notre volonté qui nous institue seuls législateurs de nos règles d'action et responsables de nos choix. Penser que la technique puisse imposer sa loi à la pratique, c'est nier cette autonomie. Si c'est la technique, issue de l'observation des faits et de leur mise en relation, qui impose la décision, l'action pédagogique oublie qu'elle a affaire, non à de simples objets de la nature, mais à des êtres humains. L'élève devient une somme de besoins qu'il importe de cerner pour le conduire vers des buts fixés d'avance. La technologie pédagogique se rapporte à l'être empirique dont il est légitime de lister les manques pour organiser son action. Mais l'action pédagogique, qui serait simple technique, ferait de l'élève un simple objet, oubliant qu'il est aussi un être doué de Liberté, Liberté qui ne peut s'écrire en techniques d'action.

Un avenir meilleur ne peut naître de simples idées abstraites sans chercher à y faire correspondre une réalité. Mais il ne peut non plus être l’œuvre de techniciens déchargés de toute responsabilité. Les moyens techniques sont nécessaires, mais nous ne pouvons pas faire de la technique le fondement de la pratique ; ce serait s'engager trop loin dans la voie qui nie la Liberté. Ce que je dois faire, je ne peux le demander à la technique ; la pratique ne peut être régie ni par le principe de certitude scientifique, ni par celui d'efficacité technique.