Les illusions nécessaires

L'action pratique s'auto-détermine à partir de la loi qu'elle s'est elle-même donnée. La Liberté y est un fait, ce dont nous faisons l'expérience quand nous agissons, quand nous n'acceptons pas la réalité les yeux fermés, quand nous osons essayer autre chose, quand nous nous lançons sans aucune certitude en prenant le risque de nous tromper. Daniel Hameline, Louis Legrand et Antoine de La Garanderie ont pris ce risque. Faire entrer les objectifs en pédagogie, rechercher les lois pédagogiques de la gestion mentale, différencier la pédagogie, c'est se situer dans l'ordre des phénomènes, mais c'est aussi se situer par rapport à ce qui ne devrait pas être. Leurs démarches demeurent pratiquement valables, car elles répondent au devoir, celui de s'opposer aux situations de non liberté et de non droit en exigeant Liberté et Justice. Rechercher les moyens qui permettront à tous d'apprendre, de développer leurs potentialités afin que chacun puisse s'insérer à sa juste place dans la société et y participer, c'est être juste, éprouver l'Idée de Justice en reconnaissant, non seulement l'inadéquation de la réalité avec l'idéal, mais aussi sa perfectibilité qui prescrit des tâches urgentes, même insatisfaisantes, sans plus attendre.

Ce n'est pas parce que leurs propositions ne sont pas parfaites, aucune méthode pédagogique ne saurait l'être, qu'il faut rejeter les Idées qui les sous-tendent. Ce n'est pas parce que la pédagogie non-directive a échoué qu'il faut renoncer à la Liberté et prôner la soumission et la passivité comme seules possibilités ; ce n'est pas parce que les objectifs et la science pédagogique tendent à chosifier l'enfant qu'il faut renoncer à lutter contre l'échec scolaire ; ce n'est pas parce que la pédagogie différenciée n'a pas réussi à lever les carences dont continue à souffrir le système éducatif qu'il faut renoncer à avoir les mêmes exigences pour tous, à rechercher un droit plus juste. Ce qui doit être, Liberté et Justice, demeure valable sans que nous ayons besoin de nous perdre dans des démonstrations. ‘«’ ‘ Je n'ai pas besoin de prouver cette hypothèse, c'est à son adversaire de le faire ’ ‘ 277 ’ ‘’ ‘«’ ‘.’ Je peux et je dois continuer à agir comme si elles étaient possibles. Même si on peut ébranler mes espérances et me faire douter, ‘«’ ‘ pourtant, tant que ce doute ne se sera pas révélé absolument sûr, je ne peux pas troquer le devoir (...) contre la règle de prudence qui conseille de ne pas s'acharner à travailler à quelque chose d'infaisable ’ ‘«’ 278 . Le doute ne suffit pas à rejeter l'Idée, car ‘«’ ‘ l'Idée selon laquelle ce qui n'a pas réussi jusqu'à maintenant ne réussira jamais pour cette même raison, ne justifie en aucun cas de renoncer à un dessein pragmatique ou technique (...) encore moins de renoncer à un dessein moral qui est un devoir, dès lors qu'on n'a pas démontré que sa réalisation était impossible ’« 279 .

Notes
277.

Emmanuel Kant, Théorie et pratique, op. cit., p. 87.

278.

Ibid., p. 88.

279.

Emmanuel Kant, Théorie et pratique, op. cit., p. 89.