2. Nécessité et risque de la technique pédagogique

La pédagogie est action concrète, recherche et utilisation de moyens concrets, ici et maintenant, pour ces enfants-ci. Et même si, par nos moyens, nous n'atteignons que l'enfant sensible et nous engageons dans une voie qui nie la Liberté, il nous faut bien agir, intervenir pour ne pas l'abandonner à ses déterminations, la Liberté n'étant pas un fait de la nature éclosant d'elle-même. L'action pédagogique est alors inévitablement organisation d'un parcours, ici et maintenant pour un ailleurs, pour une fin qu'elle ne peut concrètement circonscrire. Chaque étape est mise en oeuvre de mesures qui n'ont de crédibilité que si elles permettent effectivement une avancée sur le chemin, imposant de prendre en compte la réalité et ses difficultés. L'action pédagogique est aussi une conduite au sens moral, une manière de se conduire, une intention se ressourçant dans un idéal dont le but est de présenter un monde autre, un monde à l'envers nous permettant de dénoncer la légitimité de ce monde-ci et de ne jamais nous satisfaire de ce qui s'y fait et de ce que nous y faisons. Mais, c'est bien dans ce monde que nous agissons, qu'il nous faut agir, pour ces enfants-ci qu'il nous faut choisir des moyens. La technique pédagogique répond à une double nécessité : celle d'une action qui ne peut se satisfaire d'une contemplation stérile et celle d'une action qui, s'engageant concrètement, ne peut pas ne pas être affectée par le mode de penser ambiant. La question de la technique pédagogique n'est pas celle du tout ou rien; cette question n'est pas de mise pour deux raisons.

La technique pédagogique répond à une exigence morale, celle de mettre au service de nos fins les plus élevées les moyens humainement les plus efficaces. La faisabilité technique peut être vue comme une prouesse prométhéenne qui transforme chaque enfant en simple objet à modeler selon la conformité ambiante, mais on l'oublierait aussi comme un traitement à l'échec, un pari contre l'exclusion. Nous pouvons y déplorer un activisme abusif, mais il ne nous faut pas oublier son audace chargée d'espérance, même si elle est aussi son risque. La capacité d'agir en connaissance de cause, pour ne pas être manipulation, doit-elle rester lettre morte ? Mépriser la technique, c'est aussi mépriser chacun de ces enfants-ci en refusant de lui apporter l'aide dont il a présentement besoin. Vouloir qu'ils ne soient pas des déclassés, ne pas vouloir les abandonner est-ce un crime ? S'il faut choisir, et il nous faut choisir, pouvons-nous choisir la fatalité et refuser le faire ?

Que nous le voulions ou non, la technique est notre quotidien, le quotidien de toute activité qui s'engage concrètement. Nous ne pouvons que dire oui à ce monde-ci. Continuer à croire que nous puissions lui échapper n'est que pure illusion.

La question n'est donc pas celle du tout ou rientechnique, mais celle du risque dont il nous faut mesurer toute la portée sans nous limiter à la conception instrumentale (ensemble de moyens pour...) et anthropologique (ensemble de moyens humains au service de fins humaines). Il nous faut donc revenir à ce qu'Heidegger nomme Arraisonnement, essence de la technique et lieu de son danger.