Introduction générale

En réponse à un chômage élevé et persistant depuis les années 1980, les pays de l’OCDE 1 ont fortement augmenté leurs dépenses publiques consacrées aux politiques d’emploi, de 2.3% du PIB en 1985 à 3% du Produit Intérieur Brut (PIB) en 1993. En France, le chômage touche 2.4 millions de personnes en 2003, soit 9.5% de la population active, et les dépenses publiques affectées aux politiques d’emploi représentent 3.1% du PIB en 2000.

Le débat politique sur les solutions à apporter au problème du chômage s’est alors orienté sur le recentrage des dépenses publiques consacrées aux politiques du marché du travail : la priorité est donnée aux politiques actives. A la garantie passive du revenu s’opposent dès lors des mesures plus actives visant à réintégrer les chômeurs dans l’emploi. Les fonds publics sont utilisés pour financer une série de dispositifs destinés à augmenter les chances de trouver un emploi et les perspectives de gains futurs. Ils tentent de maintenir les incitations à rechercher un emploi et favorisent l’acquisition de nouvelles connaissances, tout en fournissant une garantie de revenus. En 1992, les ministres de l’emploi et du travail des pays de l’OCDE ont ainsi souligné que « les mesures actives ne doivent pas, par inadvertance, se transformer en mesures passives qui servent simplement de voie de garage aux chômeurs ou permettent aux demandeurs d’emploi de retrouver leurs droits à prestations. Quant aux mesures dites passives, elles doivent être conçues et gérées avec rigueur de manière à récompenser la recherche active d’un emploi et à éviter une dépendance excessive à l’égard de la garantie de revenu » (Martin, 2000).

Les politiques actives représentent 37% des dépenses totales sur le marché du travail en 1998 dans les pays de l’OCDE, contre 34% en 1985, soit 0.17% du PIB aux Etats-Unis, 1% du PIB en Europe et jusqu’à 2% du PIB en Suède. Par ailleurs, en 1997, en moyenne 8% de la population active dans les pays de l’OCDE participait à un de ces programmes actifs, contre 5% en 1990.

Dès lors qu’une priorité est donnée aux politiques actives, la question du ciblage de ces politiques devient inhérente au débat. Force est en effet d’évaluer la pertinence de mesures ciblées sur les catégories de chômeurs les plus désavantagées (les jeunes, les chômeurs de longue durée, les licenciés économiques etc…). Le critère sur lequel fonder le ciblage dépend en fait de la nature des facteurs à l’origine du chômage de longue durée : dépendance d’état ou hétérogénéité des individus. L’étude de Van den Berg et Van Ours (1994) montre qu’en France l’hétérogénéité non observée domine tandis que la dépendance par rapport à la durée est peu importante au cours de la première année de chômage tandis qu’au Royaume-Uni, ce dernier facteur est primordial (Jackman et Layard, 1991). La nécessité de mettre en œuvre des mesures spécifiques pour les groupes défavorisés a été réaffirmée lors du sommet de Barcelone en mars 2002.

Au premier rang des groupes défavorisés se trouvent les travailleurs licenciés. A la différence des suppressions d’emploi motivées par des fluctuations transitoires ou cycliques de la demande, les licenciements économiques se révèlent fréquemment être permanents 2 . Par leur ancienneté et le caractère involontaire de leur situation, les licenciés économiques subissent des coûts de reclassement importants. Le nombre des licenciés est aussi un facteur aggravant. Depuis les années 1980, la plupart des pays de l’OCDE ont connu des vagues de licenciements massifs dus à des facteurs structurels, liés notamment à l’évolution technologique, au commerce international ou à la déréglementation. Aux Etats-Unis, le taux de licenciement économique annuel s’élève à 5% en moyenne dans les années 1990, et ces suppressions d’emplois ont concerné 2.5% des salariés ayant au moins 10 ans d’ancienneté. En France, le taux des licenciements économiques à la suite d’une fermeture d’entreprise avoisine 0.5% pour les hommes ayant au moins quatre ans d’ancienneté entre 1984 et 1990 (Kuhn et Eberts, 2002 3 ). En 1998 en France, 252 000 licenciements économiques donnent lieu à une inscription à l’ANPE, en 2000 ils représentent 16.3% (soit environ 220 000 licenciements) des inscriptions 4 . En outre, les inscriptions à l'Agence Nationale pour l’Emploi (ANPE) ont progressé de 8,6% en juin 2003 à la suite d'un fort dérapage des licenciements économiques (+17,7%).

Si en France les politiques actives en faveur des jeunes et des chômeurs de longue durée sont au centre du débat politique, la question du ciblage des politiques d’emploi en faveur des salariés touchés par les restructurations, constitue également un enjeu important. En janvier 2003 en France, seulement 15% des salariés licenciés occupent un emploi stable un an après, 60% sont encore au chômage, et 15% occupent un emploi précaire, et 10% sont en préretraite ou en formation. Différents dispositifs publics d’accompagnement des restructurations ont été mis en place en particulier dans les années 1980 5 . En 1987, la France s’est dotée d’un dispositif d’aide à la réinsertion des licenciés économiques, les conventions de conversion. Avec 74% des personnes entrées dans un dispositif d’accompagnement, les conventions de conversion représentent la mesure la plus importante en termes d’adhérents. Ciblé sur un groupe d’individus identifié en tant que population à risque en termes de reclassement (salariés ayant au moins deux ans d’ancienneté et moins de 57 ans), ce programme permet de garantir le revenu des salariés licenciés tout en proposant des aides à la recherche d’emploi et des formations. Le dispositif français des conventions de conversion a été supprimé dans le cadre de la mise en place du Plan d’Aide au Retour à l’emploi (PARE) le 1er juillet 2001 6 . Si nous disposons aujourd’hui, pour le cas français, d’un ensemble de travaux notamment économétriques très complets relatifs à l’évaluation des effets des passages par des emplois aidés sur le devenir des jeunes chômeurs bénéficiaires (Bonnal, Fougère et Sérandon, 1997, Magnac, 1997, Brodaty, Crépon et Fougère, 2001, 2002a), nous manquons d’études statistiques consacrées à l’efficacité des dispositifs de réinsertion des licenciés économiques 7 .

L’objet de cette thèse est d’évaluer une politique active d’emploi sur les trajectoires individuelles des licenciés économiques sur le marché du travail français : les conventions de conversion. L’évaluation portera notamment sur la pertinence du ciblage des politiques actives sur les catégories de chômeurs les plus désavantagées sur le marché du travail, telles que les licenciés économiques. Cette mesure préfigure le PARE 8 et le Plan d’Aide Personnalisé (PAP) 9 par plusieurs aspects : incitation financière, suivi individualisé dès le début de la période de chômage et possibilité renforcée d’accéder à des programmes de formation. De ce point de vue, les enseignements que l’on peut tirer de l’analyse des conventions de conversion sont d’une grande utilité au moment de la montée en force du PARE. De manière générale, l’étude des conventions de conversion est informative en termes de public ciblé, de durée du programme, de participation et en termes de signal sur le marché du travail.

Notre discussion se poursuivra en trois points. Il conviendra tout d’abord de revenir sur les enjeux de l’évaluation des politiques actives d’emploi. Deux types d’évaluation a posteriori de ces dispositifs sont proposés : la première porte sur des variables macro-économiques d’emploi et de chômage, et la seconde sur des indicateurs micro-économiques permettant d’examiner les bénéfices individuels retirés par les participants à ces programmes. L’étude des politiques ciblées sur les licenciés économiques sera ensuite menée à la lumière du cas français. Après un rappel sur les coûts d’ajustement subis par les entreprises, les individus et l’Etat à la suite de licenciements économiques, le dispositif des conventions de conversion sera présenté. Enfin, les enjeux et le plan de la thèse seront exposés.

Notes
1.

Sur la période 1988-1998, le taux de chômage était de 6.9% en moyenne dans les pays de l’OCDE, de 5.8% aux Etats-Unis et de 9.6% en Europe.

2.

Le Code du Travail indique que « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification substantielle du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques » (article L 321-1, loi du 2 août 1989). On distingue trois catégories de licenciement économique : licenciement individuel économique involontaire, licenciement collectif avec fermeture de l’établissement et licenciement collectif sans fermeture de l’établissement.

3.

Voir chapitre 1.

4.

Chaque jour parmi les 27000 personnes qui quittent leur emploi, seules 0.5% sont protégées par un plan social, 2% sont renvoyées dans le cadre d’un licenciement économique tandis que plus de 50% doivent se séparer de leur emploi parce que leur contrat à durée déterminée prend fin.

5.

On peut notamment citer les congés de conversion qui ont été instaurés par la loi du 5 août 1985 ou les conventions de cellule de reclassement mises en place en 1989.

6.

Au-delà de cette date, le dispositif continue toutefois de s’appliquer au profit des salariés concernés par un projet de licenciement économique engagé avant le 1er juillet 2001.

7.

L’étude de Margolis (2002) constitue toutefois une exception, mais elle ne porte pas sur les dispositifs de réinsertion en faveur des chômeurs licenciés.

8.

L’objectif du PARE anticipé est d’accélérer le retour à l’emploi des salariés d’entreprises licenciés pour motif économique en bénéficiant, au cours de leur préavis, de certaines prestations prévues dans le PARE. Ce dispositif se substitue aux conventions de conversion.

9.

Plus de 6 millions de PAP (Projet d’Action Personnalisé) ont été signés entre juillet 2001 et décembre 2002, dont 4,3 millions de nouveaux inscrits et 1,7 million inscrits avant le 1er juillet 2001. L’ANPE a réalisé près de 2,2 millions de prestations, soit trois fois plus qu’en 2000, dont 1 060 000 prestationsd’appui indemnisées, 805 000 prestations d’accompagnement renforcé, 192 000 évaluations en milieu de travail et 122 000 bilans de compétences approfondis.