2.1. Licenciement et coûts d’ajustement

En France, une partie de la législation de la protection de l’emploi est actuellement en suspend. En effet, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a accru la rigueur de la protection de l’emploi en renforçant les contraintes pesant sur l’emploi à durée limitée et sur les licenciements collectifs. On peut parler « d’exception française » puisqu’au sein d’un groupe de 22 pays de l’OCDE, seule la France a accentué la rigueur de la protection de l’emploi entre la fin des années 1980 et la fin des années 1990. Le chômage massif en Europe est souvent expliqué par la rigidité des contrats de travail et l’existence d’obstacles au licenciement 14 . On considère ainsi que la protection de l’emploi est d’autant plus importante que les coûts de départ de la main-d’œuvre sont élevés (Cahuc et Zylberberg, 1996).

Le coût effectif de la protection d’un emploi est complexe à évaluer et de nombreux critères interviennent. Ce coût dépend par exemple de la possibilité de recourir à des contrats à durée déterminée (Boeri, 1999) et au travail intérimaire, de la durée des périodes d’essai, de la procédure administrative de licenciements, et des préavis et indemnités applicables aux différents types de licenciement. L’estimation de l’impact des coûts d’ajustement sur les décisions de licenciement, et par là-même l’emploi et le chômage dépendent de la vitesse d’ajustement des effectifs. Les modifications de l’environnement économique et technique des entreprises les obligent à adapter leur organisation productive. Cet ajustement occasionne des coûts pour lesentreprises qu’il est nécessaire de prendre en compte dans l’analyse de la formation des demandes de facteurs. Ainsi la demande de facteur travail est touchée par ces coûts d’ajustement, provenant des variations du volume des heures travaillées et du remplacement d’anciens employés par des nouveaux 15 . Des travaux empiriques récents ont notamment mis en évidence que les coûts d’embauche sont importants et apparemment plus élevés que les coûts de licenciement aux Etats-Unis (Hamermesh, 1993), contrairement au cas de la France (Abowd et Kramarz, 2003). Les fondements théoriques des licenciements reposent sur ces coûts d’ajustement que peuvent subir les firmes et leur liaison avec la protection de l’emploi.

La protection de l’emploi peut également constituer un moyen de limiter les variations de revenu des travailleurs liées à leur changement d’état sur le marché du travail. L’existence de coûts de transaction et d’information empêchent les travailleurs de s’assurer pleinement contre ce type de risques. Les entreprises peuvent jouer, en ce domaine, un rôle important comme l’a souligné la théorie des contrats implicites initiée dans les années 1970 et 1980 (Baily, 1974, Rosen, 1985, Pissarides, 2001). Celle-ci avance que les entreprises contribuent à assurer les travailleurs contre les risques de fluctuations du revenu en proposant des contrats de travail comprenant des indemnités de licenciement. Il existe néanmoins de nombreuses limites au service d’assurance produit par les entreprises. L’imparfait contrôle de l’effort de recherche d’emploi des chômeurs induit des problèmes de sélection et de risque moral qui peuvent empêcher de mettre en place des systèmes d’assurance assumés par les entreprises (Kiander, 1993). Ce contexte justifie l’intervention des pouvoirs publics dans l’assurance chômage et notamment dans l’accompagnement des travailleurs licenciés.

Les coûts d’ajustement peuvent donc également être évalués du point de vue des travailleurs. Une fois licencié, un individu ne retrouve pas instantanément un emploi, comparable à celui qu’il occupait sans subir un coût, que ce coût soit mesuré en termes de durée de chômage ou de pertes salariales (Baily, 1977). En effet, le processus de réallocation peut être long et entraîner des pertes de revenus et des coûts de recherche importants. La mise en œuvre de politiques d’emploi destinées à faciliter ce processus de réallocation et à favoriser le retour à l’emploi vise ainsi à réduire les coûts de reclassement subis par les individus licenciés. La mise en place de dispositifs d’aide au reclassement des licenciés économiques contribue à réduire l’incertitude des salariés en transformant également leurs comportements, leurs anticipations et leurs moyens d’action.

Ainsi, que ce soit pour limiter le poids de l’ajustement subi par les firmes ou par les travailleurs, le gouvernement est amené à prendre en charge une partie de ces coûts en introduisant des mesures actives spécifiques pour l’accompagnement des licenciés économiques, telles que les conventions de conversion dans le cas de la France.

Notes
14.

Le souci de la protection de l’emploi concernant le licenciement n’apparaît dans le code du travail français qu’en 1973.

15.

Pour Oi (1962), à court terme, l’emploi est d’autant moins flexible que les coûts d’ajustement sont élevés. L’analyse de Oi (1962) conduit à considérer le facteur travail, soumis à ces coûts d’ajustement, en tant que facteur quasi-fixe.