3. Enjeux et plan de la thèse

Cette thèse propose une évaluation micro-économique ex post du dispositif français des conventions de conversion sur les trajectoires des licenciés économiques. L’évaluation portera sur la pertinence du ciblage des politiques actives sur les catégories de chômeurs les plus désavantagées sur le marché du travail, telles que les licenciés économiques. Elle est appréhendée à travers l’impact d’une telle mesure sur les stratégies de recherche d’emploi en termes de mobilité, sur les durées de chômage et sur la qualité du reclassement des adhérents et des non-adhérents. Une attention particulière est consacrée au processus d’adhésion à un tel dispositif.

L’objet du premier chapitre consiste à examiner dans quelle mesure la population des licenciés économiques présente des spécificités en termes de reclassement qui puissent justifier la mise en place d’un dispositif spécifique d’accompagnement.

Dans un premier temps, une comparaison entre marchés du travail américains et européens permet de rendre compte de ces spécificités. L’identification et l’évaluation de ces coûts ont retenu une attention croissante dans la littérature. Les études empiriques montrent que les licenciés économiques connaissent des périodes de chômage plus longues, en raison notamment de coûts de recherche, de coûts de délocalisation ou de coûts de formation plusimportants. Par ailleurs, lorsqu’ils retrouvent un emploi, celui-ci est souvent de moins bonne qualité que le précédent, que ce soit en termes d’heures travaillées ou de salaire offert. De ce point de vue, les pertes salariales encourues se révèlent être plus persistantes pour les travailleurs licenciés américains.

Les difficultés de sortie du chômage des licenciés économiques peuvent en partie s’expliquer par la protection de l’emploi. Dans un deuxième temps, les conséquences de la réglementation sur le marché du travail sur le reclassement des travailleurs licenciés seront donc examinées. Le degré de flexibilité du marché du travail, appréhendé notamment à travers l’ampleur des coûts de licenciement, affecte les trajectoires professionnelles en ayant des effets plus ou moins persistants sur la durée du chômage.

Enfin, l’analyse porte sur les réponses institutionnelles apportées en France aux difficultés de reclassement de ces salariés sous la forme d’une politique active d’emploi à destination des licenciés économiques : les conventions de conversion. Ce dispositif n’étant pas obligatoire, l’objectif sera d’analyser les déterminants de l’adhésion à ce type de programme.

L’analyse économétrique, via l’estimation d’un modèle probit, permet de mettre en évidence des différences dans les déterminants de participation à ces conventions, que ce soit en termes de caractéristiques individuelles, de variables liées au passé professionnel ou de contraintes spatiales. Paradoxalement, il apparaît que les individus candidats aux conventions de conversion ne seraient pas ceux qui présentent a priori le plus de difficultés en termes de reclassement (moins éduqués, moins qualifiés, contraintes spatiales etc...). Ces trois axes d’analyse nous amènent à conclure à une nécessaire différenciation des politiques de l’emploi permettant de tenir compte de l’hétérogénéité des parcours des licenciés économiques.

Le deuxième chapitre s’intéresse à la relation entre les contraintes spatiales, la cause d’entrée au chômage et l’existence d’une mesure active sur les stratégies de recherche des demandeurs d’emploi. Les licenciés économiques souffrent d’une double hétérogénéité : de l’hétérogénéité inter-individuelle du fait de l’ampleur des coûts de reclassement qu’ils subissent, et de l’hétérogénéité intra-individuelle de part l’existence d’une mesure active dont l’adhésion est volontaire. Les conventions de conversion sont susceptibles d’avoir des répercussions sur les stratégies de recherche d’emploi et le comportement de mobilité à la fois des participants et des non-participants. Le chapitre précédent a notamment permis de mettre en évidence que les composantes locales telles que les distances aux emplois ou aux Agences Locales pour l’Emploi influencent la décision de participer à une convention de conversion. Ce sont ainsi en moyenne les individus les moins mobiles qui deviennent bénéficiaires.

On développe tout d’abord un modèle de recherche d’emploi dans lequel le salaire de réserve comme la décision d’augmentation de la distance de prospection (établie à partir de la distance de déplacement domicile-emploi précédent) sont endogènes. La structure du modèle se veut la plus générale possible afin de se concentrer sur l’impact des contraintes spatiales sur le processus de recherche des individus. La distinction des causes d’entrée au chômage est toutefois examinée dans le cadre des estimations économétriques. L’effet total sur le taux de sortie du chômage est indéterminé. En effet, si les proximités spatiales de l’Agence Locale pour l’Emploi compétente et les centres d’emploi exercent un effet direct positif, en revanche les effets indirects sur le salaire de réserve et sur la distance optimale de prospection jouent négativement.

Les enjeux économétriques de ce chapitre portent sur le comportement de mobilité spatiale en tant que stratégie de retour à l’emploi en distinguant la cause d’entrée au chômage (démission, fin de contrat 18 et licenciement économique). Les individus ayant subi des séparations de nature différente peuvent présenter des spécificités en termes de consentement d’une mobilité spatiale. Les estimations sont conduites en deux étapes. Elles tiennent compte de la possibilité pour les licenciés économiques de participer à une convention de conversion et examinent plus généralement les déterminants de l’acceptation d’une mobilité spatiale pour chaque catégorie de demandeurs d’emploi (des modèles probit multivariés sont estimés) et les répercussions d’une telle décision sur les durées de chômage (modèle de durée de type Weibull). Les résultats montrent que les non-participants (regroupant les personnes éligibles et non-éligibles au dispositif) ont une probabilité plus élevée de consentir une mobilité spatiale au cours de la prospection, ce qui contribue à baisser leur durée de chômage, par rapport aux autres causes d’entrée au chômage (fin de contrat ou démission).

L’hétérogénéité relative des licenciés par rapport aux autres chômeurs justifie la politique de ciblage dont ils bénéficient. Pourtant, nous avons établi que les conventions de conversion sont elles mêmes facteur de différentiation au sein même des licenciés, notamment via l’adhésion au dispositif. Dès lors, les deux derniers chapitres sont consacrés à l’évaluation de l’efficacité des conventions de conversion. L’évaluation est appréhendée à travers trois dimensions de la qualité de la réinsertion : la durée de chômage, la nature du contrat retrouvé et le salaire associé.

Le troisième chapitre est consacré à l’évaluation micro-économétrique de l’impact des conventions de conversion sur la durée de chômage. Les estimations économétriques de ce chapitre visent à établir si les modifications observées en termes de reclassement des participants sont attribuables au dispositif ou si elles sont principalement dues aux caractéristiques propres des individus. La littérature consacrée aux méthodes d’estimation de l’efficacité des politiques actives a connu récemment des développements importants. Une synthèse des différentes méthodes sera d’abord présentée.

Les estimations réalisées dans le cadre de ce chapitre s’appuient sur un modèle Tobit à deux régimes. Dans un premier temps, ce modèle permet de contrôler la sélectivité sur les inobservables associée à la participation à une convention de conversion (Heckman, Lalonde et Smith, 1999). Une attention particulière est ici portée à la durée du programme. Dans un deuxième temps, les estimations prennent également en compte la possibilité pour les bénéficiaires de suivre une formation au cours du dispositif à travers l’estimation d’un modèle à double sélection endogène (Maddala, 1983, Fougère, Goux et Maurin, 2001).

On observe tout d’abord qu’il existe un biais de sélection à l’entrée du dispositif, de sorte que la participation ne se fait pas de manière aléatoire. Par ailleurs, si l’on se restreint à l’efficacité du dispositif à la réduction de la durée de chômage, les résultats, bien que positifs, sont relativement faibles. En effet, en réalité, un tiers ou plus seulement 41%, selon le critère de mesure retenu (selon que l’on inclut ou pas le temps passé en convention dans la durée de chômage), des bénéficiaires voient leur durée de chômage baisser, alors que le passage par une convention de conversion aurait dû théoriquement réduire la durée de chômage d’au plus 65% des chômeurs licenciés. Ces effets sont confirmés lorsque l’on prend en compte les possibilités d’accès aux formations, seulement 44% des adhérents formés réduisent la durée de leur épisode de chômage après passage par une convention de conversion. Plus de la moitié des adhérents formés auraient pu réduire leur durée de chômage s’ils avaient suivi une formation. Dès lors que les individus éligibles à une mesure active ont la possibilité de se porter candidats à une formation, il apparaît que seuls les individus qui ont a priori les meilleures dispositions en termes d’employabilité suivent effectivement un programme de formation. L’impact global et les considérations d’efficacité centrées sur la pertinence du ciblage du programme s’en trouvent de fait affaiblis.

La durée de chômage n’est pas le seul indicateur d’efficacité, bien que sa réduction soit l’objectif prioritaire des conventions de conversion. D’autres dimensions du reclassement doivent être appréhendées pour évaluer la qualité de la réinsertion des bénéficiaires. En effet, ce programme peut permettre aux adhérents de retrouver un emploi stable ou des salaires plus élevés.

Le quatrième chapitre permet de préciser l’analyse de l’efficacité des conventions de conversion en évaluant leur impact sur la qualité de l’emploi retrouvé. Ce chapitre comporte deux enjeux majeurs relatifs à la littérature consacrée aux transitions des licenciés économiques : le statut du contrat retrouvé (CDI ou CDD) et les salaires du nouvel emploi.

Dans un premier temps, le modèle économétrique estimé tient compte de deux sélections endogènes successives : la première concerne l’accès à une convention de conversion, la seconde correspond à une embauche directe, sans passage par le chômage, à l’issue de la convention. En contrôlant cette dernière forme de sélection, nous distinguons les individus qui quittent le programme avant son échéance. Les transitions du chômage relevant d’un CDI et les emplois définis comme « précaires » (CDD, emploi aidé ou intérim) sont formalisées à l’aide d’un modèle à risques concurrents dépendants.

Dans un deuxième temps, l’analyse est consacrée aux salaires du nouvel emploi retrouvé. Le modèle économétrique estimé permet de tenir compte de la sélection à l’obtention d’un emploi pour les adhérents et non-adhérents. Une attention particulière a été ici accordée aux changements de secteur d’activité, de taille d’établissement et d’occupation qu’ont pu accepter les licenciés économiques pour retrouver un emploi. En effet, les études empiriques ont montré que pour les licenciés économiques ayant notamment des niveaux d’ancienneté élevés de tels changements contribuaient à baisser les salaires en cas de retour à l’emploi. On peut alors se demander si le passage par une convention de conversion et plus précisément par une formation permet de réduire les écarts de salaire entre les travailleurs ayant opéré une reconversion et les autres.

Les résultats du modèle à risques concurrents dépendants montrent que pour les bénéficiaires de conventions, le dispositif fait croître en moyenne de 8 points la probabilité de transition vers l’emploi sur CDI, qui passe ainsi de 42 à 50%. Toutefois, si les chômeurs licenciés n’ayant pas adhéré à une convention de conversion avaient pu bénéficier de ce dispositif, leur probabilité de transition vers les CDI aurait augmenté en moyenne de 28 points, passant de 43 à 71%.

En ce qui concerne les salaires, l’effet du passage en convention de conversion est modeste : les bénéficiaires ne voient augmenter leur salaire que de 1.2% après passage par une convention et cette hausse ne concerne que 58% des adhérents. Un résultat important concerne toutefois les reconversions. En outre, la participation au dispositif permet de réduire les écarts de salaire entre les individus qui ont changé de secteur d’activité et les autres.

Par ailleurs, ce chapitre a permis de préciser la question du ciblage du dispositif. L’ensemble des résultats montre que l’adhésion à une convention de conversion affecte beaucoup plus la probabilité d’emploi stable et les salaires des non-adhérents. En effet, les individus qui cumulent les caractéristiques favorisant le retour à l’emploi stable (CDI et salaire élevé) après passage par une convention de conversion sont plus nombreux dans le groupe des non-adhérents. En ce sens, le programme a permis de cibler au sein de la population des licenciés économiques, les individus les plus à risque, mais n’a pas permis aux plus démunis de retrouver un emploi de qualité. L’ensemble des résultats acquis permettent en conclusion de tirer des enseignements plus généraux sur l’efficacité et les limites d’une politique de ciblage.

Chapitre 1 : Licenciés économiques : une population hétérogène

Le licenciement économique est défini dans la littérature anglo-saxonne comme un déplacement 19 . Ce terme traduit l’idée que la décision de licenciement est initiée par l’employeur et qu’elle n’est motivée que par des conditions économiques 20 . Cette décision ne résulte donc pas d’un acte volontaire du salarié et ne remet pas en cause ses performances productives, à la différence du licenciement pour faute. Un travailleur déplacé se défint alors comme un individu ayant perdu son emploi à la suite de la suppression de son poste ou de la fermeture de l’établissement. Pour Fallick (1996), un déplacement repose sur des facteurs structurels, liés au commerce international, à la technologie, à la demande finale ou à la réglementation, et ne résulte pas d’une crise cyclique, d’une mauvaise conjoncture, ou de difficultés idiosyncratiques que peut subir une firme à un moment donné. Deux caractéristiques permettent donc de définir le licenciement économique : il est involontaire et permanent. De fait, Fallick (1996) avance que ces travailleurs ont peu de chances de retrouver un emploi comparable à celui qu’ils viennent de perdre dans un délai raisonnable. En effet, les salariés déplacés ont un capital humain spécifique à leur secteur d’activité, ils ont investi et créé un réseau professionnel, rendant leur reclassement coûteux. Par ailleurs, ils rencontrent peu d’opportunités de poste requérant les mêmes qualifications dans la même industrie ou la même région 21 .

Les licenciés économiques présentent des caractéristiques spécifiques, à la fois concernant les causes de leur entrée au chômage et les conditions de leur reclassement. L’objet de ce chapitre consiste à rendre compte de ces spécificités en comparant notamment les cas américains et européens, en examinant trois dimensions. Dans un premier temps, les coûts de reclassement que subissent ces salariés, c’est-à-dire durée de chômage et pertes salariales, seront examinés. Les licenciés économiques connaissent des périodes de chômage longues, en raison notamment de coûts de recherche, de coûts de délocalisation ou de coûts de formation importants. Par ailleurs, lorsqu’ils retrouvent un emploi, celui-ci est souvent de moins bonne qualité que ce soit en termes d’heures travaillées ou de salaire offert.

L’analyse porte dans un deuxième temps sur les conséquences de la réglementation sur le marché du travail. Les politiques de protection de l’emploi peuvent avoir des conséquences sur les difficultés de sortie du chômage des licenciés économiques. L’ampleur des coûts de licenciement, et de manière plus générale, le degré de flexibilité du marché du travail affectent les trajectoires professionnelles en ayant des effets plus ou moins persistants sur la durée du chômage. Selon que le licenciement provienne de la suppression du poste de travail ou de la fermeture de l’établissement, le cadre réglementaire et les coûts de licenciement n’ont pas les mêmes effets sur les transitions de cette catégorie de demandeurs d’emplois.

Ces deux premiers points nous amènent à conclure à une nécessaire différenciation des politiques de l’emploi afin de prendre en compte l’hétérogénéité des parcours. L’analyse porte enfin sur les politiques actives d’emploi en France et sur le programme de réinsertion, mis en place en 1987, à destination des licenciés économiques : les conventions de conversion. Ces dispositifs n’étant pas obligatoires, l’objectif sera d’analyser les déterminants de l’adhésion à ces programmes. L’analyse économétrique menée à partir des données des enquêtes « Trajectoires des Demandeurs d’Emploi et Marché Local du Travail » et « Trajectoires des Adhérents à une Convention de Conversion » de la DARES, permet d’observer des différences dans les déterminants de l’adhésion à ces conventions, que ce soit en termes d’attributs personnels, de variables liées au passé professionnel ou de contraintes spatiales. Paradoxalement, il apparaît que les individus candidats aux conventions de conversion ne sont pas ceux qui présentent a priori le plus de difficultés en termes de reclassement.

Ce chapitre est organisé de la manière suivante. La première section analyse l’ajustement entre licenciement économique et retour à l’emploi, via le passage par le chômage. La deuxième section examine la persistance des pertes salariales à la suite d’un licenciement économique. La troisième section étudie l’effet de la réglementation sur le marché du travail et des coûts de licenciement sur les trajectoires des travailleurs déplacés. La quatrième section présente les politiques actives d’emploi en France en faveur des licenciés économiques et l’estimation économétrique des déterminants d’adhésion aux conventions de conversion. La dernière section conclue ce chapitre.

Notes
18.

Cette catégorie représente les fins de contrat à durée déterminée.

19.

Les travailleurs déplacés sont, selon la définition du Ministère du Travail américain, des personnes de 20 ans et plus qui détenaient un emploi depuis au moins trois ans et qui l’ont perdu pour cause de fermeture d’usine, d’insuffisance d’inactivité ou bien de changement dans la position occupée. Cette définition a été étendue aux travailleurs déplacés avec une ancienneté dans l’emploi de moins de trois ans.

20.

Par la suite, nous employons le terme de déplacement dans le sens de licenciement économique.

21.

Les licenciements économiques ont des conséquences d’autant plus dramatiques qu’ils se déroulent dans une zone géographique défavorisée, dans laquelle les travailleurs licenciés ont très peu de chances de retrouver un emploi.