1.2. Durée de chômage aux Etats-Unis

Les déplacements occasionnent des durées de chômage plus longues que les autres causes de séparation. Les salariés déplacés subissent en moyenne huit semaines de plus que les autres chômeurs l’année de leur séparation, mais seulement six jours de plus quatre ans après (Ruhm, 1991). Cet effet est ainsi qualifié de transitoire. Tout comme la probabilité de déplacement, la probabilité de sortie du chômage vers un emploi se réduit avec l’âge mais augmente avec le niveau d’études (Borland et al., 2002). Les femmes déplacées connaissent également de plus longues périodes de chômage voire d’inactivité (Rodriguez et Zavodny, 2001). Les individus les plus exposés à un licenciement économique (comme les jeunes ou les hommes) ne sont pas ceux qui finalement subissent le plus de difficultés (Kuhn et Eberts, 2002). La durée de chômage varie toutefois en fonction de caractéristiques liées à l’ancien emploi, telles que le secteur d’activité du licencié, du poste occupé et du niveau d’ancienneté.

Les individus ayant un niveau d’ancienneté élevé peuvent avoir plus de difficultés à retrouver un emploi. En effet, le capital spécifique à l’entreprise ou au secteur qu’ils ont pu acquérir, agit comme un frein au retour à l’emploi (Topel, 1991, Neal, 1995, Fallick, 1996). Les travailleurs déplacés connaissent en moyenne des plus longues périodes de non-emploi que les autres chômeurs. Cette différence tend toutefois à se réduire en période d’expansion, de plus ce sont les femmes généralement les plus touchées (Ruhm, 1991). Les femmes déplacées ont par ailleurs également une plus forte probabilité de retrouver un emploi à temps partiel (Mc Call, 1997).

L’hétérogénéité des licenciés économiques se vérifie également au sein même de la population des travailleurs déplacés et ce à travers deux dimensions. Dans un premier temps, lorsque l’on analyse l’entrée en chômage, on observe que si certains travailleurs subissent de longues périodes de chômage, d’autres retrouvent immédiatement un emploi. L’existence de préavis obligatoires de licenciement peut permettre aux employés, une fois informés, de chercher un emploi avant la date effective du licenciement et ainsi de retrouver un emploi rapidement (Swaim et Podgursky, 1990). Cependant, certains salariés ne parviennent pas à retrouver immédiatement un emploi. Ces différences dans les durées de chômage s’expliquent principalement par le degré « d’attachement » des salariés à leur secteur d’activité ou par leur ancienneté dans l’entreprise. Les employés anciens ont tendance à limiter leur recherche à des emplois similaires à ceux qu’ils ont perdus. Ainsi, un an d’ancienneté supplémentaire augmente la durée du chômage de 2 à 5% (Topel, 1991, Carrington, 1993, Fallick, 1993). De même, un salaire élevé avant le licenciement ralentit le retour à l’emploi en élevant le salaire de réservation (Addison et Portugal, 1989). Enfin, l’environnement économique et un taux de chômage local élevé dans l’ancien secteur d’activité augmentent la durée du chômage des licenciés économiques concernés.

Dans un deuxième temps, la nature du licenciement économique (licenciement économique individuel, collectif avec ou sans fermeture de l’établissement) crée également des différences en termes de durée de chômage. La cause de la suppression du poste n’est pas sans incidence sur le signal qu’envoient les licenciés économiques quant à leur productivité. En effet, bien qu’un licenciement est considéré comme un acte motivé par des conditions économiques ne remettant pas en cause les compétences du travailleur, il détient un pouvoir informatif sur le marché du travail dès lors que les employeurs supposent que les firmes licencient en priorité leurs employés les moins productifs. Une telle appréciation n’est pas possible dans le cas d’un licenciement collectif avec fermeture de l’entreprise. Depuis les articles fondamentaux de Spence (1973) et Akerlof (1976), l’asymétrie d’information sur les compétences des travailleurs est devenu un facteur essentiel dans les travaux expliquant les transitions individuelles sur le marché du travail. La théorie du signal développée par Spence (1973) s'appuie sur l'hypothèse suivante : les employeurs ignorant les capacités réelles d'un candidat à l'embauche fondent leurs décisions de recrutement sur les signaux émis par les travailleurs, comme par exemple le niveau d’éducation, les qualifications, ou le mode d’entrée au chômage. Ainsi, les employeurs potentiels ne connaissant pas le niveau de productivité d’un salarié a priori, peuvent appréhender le licenciement comme un signal sur ce niveau.

Swaim et Podgursky (1991) ont ainsi montré que les salariés ayant subi un licenciement avec fermeture de l’entreprise ont en moyenne des durées de chômage inférieures (environ d’un tiers) par rapport à ceux qui ont subi un licenciement économique sans fermeture d’établissement. Gibbons et Katz (1991), à travers un modèle de signal, identifient ce résultat comme une conséquence directe du « lemon effect » : les employeurs potentiels perçoivent un licenciement sans fermeture d’établissement comme une forme de sélection des salariés les moins productifs par l’ancien employeur. Doiron (1995) analyse l’existence de cet effet de signal sur le marché du travail canadien. Elle identifie la présence d’un effet de signal pour les travailleurs qualifiés mais pas pour les salariés non qualifiés. Cette différence entre qualifiés et non-qualifiés peut s’expliquer tout d’abord par le fait que l’employeur peut avoir plus de difficultés à observer individuellement le niveau de productivité des salariés peu qualifiés. De plus, sachant que la probabilité de déplacement décroît avec le niveau d’études et de qualification des individus, la qualité du signal sera détériorée si un travailleur qualifié subit néanmoins un déplacement. Un raisonnement analogue peut être adopté quant au niveau d’ancienneté. Si le licenciement délivre de l’information sur le niveau de productivité des travailleurs concernés, on peut supposer que les individus déplacés plus anciens subissent un aléa plus fort que les autres. En effet, plus la relation d’emploi est longue et plus l’employeur est capable d’appréhender le niveau de productivité de ses employés. Il convient toutefois de nuancer ces résultats en notant que les salariés dont les qualifications sont les plus obsolètes sont également plus susceptibles d’être licenciés en priorité. Stevens (1997) a par ailleurs observé que les individus déplacés pouvaient connaître plusieurs licenciements consécutifs : environ 10% des salariés américains déplacés connaissent au moins un autre licenciement dans les deux ans suivants. On peut ainsi identifier un processus « vicieux » du licenciement s’accompagnant d’une dégradation de la qualité du signal.

Les relations entre licenciement, signal et durée de chômage demeurent toutefois complexes si l’on considère le cas particulier des licenciements provisoires 24 . Sur le marché du travail américain un grand nombre de salariés licenciés ont la possibilité d’être réembauchés par leur ancien employeur. Rogriguez-Planas (1998) montre que les employés avec un niveau de productivité élevé ont plus de chances de réintégrer leur ancienne entreprise. Ces derniers peuvent donc décider de rester au chômage en attendant une éventuelle réembauche plutôt que d’accepter un salaire plus faible. Dans ce contexte, une période de chômage longue peut signaler un niveau de productivité élevé.

Les études menées sur les marchés du travail européens confirment, d’une part, ces résultats mais elles permettent, d’autre part, de les nuancer.

Notes
24.

Dans la littérature ce type de licenciement est plutôt qualifié de « layoff ». Contrairement à un déplacement, il a un caractère temporaire.