1.3. Spécificités des marchés du travail européens

Les spécificités institutionnelles des marchés du travail nord-américain et européens sont susceptibles d’influer différemment sur la durée de chômage des travailleurs déplacés. Les marchés du travail européens se caractérisent notamment par une fréquence supérieure des retours à l’emploi sans passage par l’état de chômage. Cependant, contrairement aux travailleurs américains, un épisode de chômage a un effet plus persistant sur les trajectoires des licenciés économiques.

Concernant les périodes sans emploi 25 , Margolis (2002) observe qu'une part importante des salariés français ayant subi un licenciement collectif à la suite de la fermeture de l’entreprise retrouvent directement un emploi sans passer par le chômage 26 et ce avec une probabilité supérieure aux autres séparations (départs volontaires et licenciement pour faute ou pour insuffisance professionnelle 27 ). Pour les salariés ayant effectivement connu une période de chômage, celle-ci a une durée en moyenne égale à 13 mois contre 16 mois pour les hommes ayant perdu leur emploi pour d’autres raisons. Pour les femmes, ces durées sont respectivement de 16 mois et 20 mois.

Bender, Dustmann, Margolis et Meghir (2002) comparent les trajectoires des travailleurs déplacés en France à celle des employés licenciés en Allemagne. Ils se concentrent particulièrement sur le reclassement des employés ayant été licenciés à la suite d’une fermeture de l’établissement. Leur étude confirme les résultats des travaux nord-américains. Les déterminants du déplacement sont assez similaires entre les deux pays : des niveaux d’éducation et/ou d’ancienneté élevés réduisent la probabilité d’être déplacé. Ils montrent également qu’une proportion importante des salariés déplacés trouvent directement un emploi. Si les salariés déplacés connaissent une période de non emploi, ces épisodes sont d’une durée plus courte pour les travailleurs ayant subi un licenciement avec fermeture d’établissement. Ce résultat confirme l’effet de signal associé au licenciement (Gibbons et Katz, 1991).

Albaek, Van Audenrode et Browning (2002) ont comparé les conséquences d’un déplacement sur les périodes de chômage d’employés anciens (au moins trois ans d’ancienneté dans l’emploi précédent) en Belgique et au Danemark. La durée moyenne de chômage des travailleurs licenciés danois est de 6 mois, elle est de 10 mois pour les Belges. Le marché du travail belge est considéré comme plus réglementé que le marché danois, que ce soit au niveau des procédures de licenciement (préavis et indemnités de licenciement), au niveau de la négociation des salaires ou du versement des indemnités chômage. Ces dernières peuvent expliquer que certains individus prolongent leur période de prospection jusqu’à recevoir une opportunité d’emploi avantageuse. Concernant l’impact de l’ancienneté sur la durée de chômage, Bender et al. (2002) observent que les salariés déplacés français ayant un niveau d’ancienneté élevé quittent l’état de non emploi moins rapidement que les salariés allemands. L’ancienneté apparaît être moins « pénalisante » pour les salariés allemands. Margolis (2002) montre également que les salariés qui avaient une plus grande ancienneté dans leur entreprise d’origine retrouvent moins facilement un emploi.

Ces résultats mettent en évidence une fréquence supérieure des flux d’emploi à emploi en Europe et l’effet persistant du chômage notamment en France. Plusieurs explications peuvent être fournies en termes de différences institutionnelles et de réglementation. Le marché du travail français est plus réglementé que le marché du travail nord-américain. En France, des procédures de licenciement plus strictes telles que les délais administratifs, les préavis obligatoires et les réunions des comités d’entreprise peuvent permettre de réduire, voire éliminer le passage par des épisodes de chômage. En effet, les licenciés économiques ont la possibilité de chercher un emploi durant cette période. Margolis (2002) note que les licenciements collectifs, tout comme les autres licenciements, entraînent au moins deux mois de préavis légal en France (Lefèbvre, 1996 et voir Annexes 1.A pour une présentation plus détaillée). Grund (1999) souligne que ce sont les employés les plus productifs qui sont plus susceptibles de retrouver un emploi au cours de la période de préavis. Par ailleurs, il convient également de noter que l’existence de dispositifs de reclassement en faveur des licenciés économiques peut supprimer les passages par le chômage et favoriser un retour direct à l’emploi. Par conséquent, il est possible qu’en France, la durée des épisodes de chômage des travailleurs déplacés reflète les effets de signal associés au licenciement. La durée et la dégressivité des allocations chômage influencent toutefois le comportement de recherche d’emploi des travailleurs en leur permettant de différer leur réinsertion afin de trouver des offres plus avantageuses.

Les études présentées dans cette section ont mis en évidence que les caractéristiques individuelles ainsi que la cause du licenciement économique (sélectif ou pas) pouvaient avoir des effets particulièrement discriminants en termes de durée de chômage. Si les travailleurs licenciés connaissent des périodes de chômage longues par rapport aux autres catégories de demandeurs d’emploi, ils subissent également des pertes salariales importantes, que Ruhm (1991) qualifie comme persistantes.

Notes
25.

La base de données utilisée : les données de panel des « Déclarations Annuelles des Données Sociales » (DADS) ne renseignent pas sur les durées de chômage.

26.

Sont considérées comme « transitions directes » deux emplois successifs séparés par 0 jours, 7 jours ou moins, et 30 jours ou moins.

27.

Les « autres raisons » concernent tout ce qui n’est pas une séparation durant les deux ans avant la disparition de l’entreprise, elles incluent également certains licenciements collectifs qui interviennent sans que l’employeur ne dépose le bilan dans les deux années calendaires qui suivent.