3.1. Coûts de licenciement et demande de travail

La législation relative à la protection de l’emploi définit notamment la réglementation limitant la liberté des employeurs à licencier. Les normes de protection des salariés contre les licenciements économiques sont très différentes d’un pays à l’autre. Trois grands domaines peuvent être distingués pour rendre compte de la rigueur de ces normes (OCDE, 1999a) : les difficultés occasionnées par les procédures que l’employeur doit respecter en cas de licenciement, les dispositions relatives aux délais de préavis et aux indemnités de licenciement et les normes et pénalités applicables en cas de licenciement considéré comme abusif.

Dans la littérature sur la demande de travail, les fondements théoriques du licenciement reposent sur les coûts d’ajustement liés aux embauches et aux départs. Des travaux empiriques ont montré que les coûts d’embauche sont importants et apparemment plus élevés que les coûts de licenciements aux Etats-Unis (Hamermesh, 1993), contrairement au cas français (Goux, Maurin et Pauchet, 2001, Abowd et Kramarz, 2003). Les règles adoptées en matière de sécurité de l’emploi, et plus particulièrement les coûts de licenciement (impliquant le versement d’indemnités de licenciement) supportés par les firmes ont souvent été considérés comme un moyen de décourager les créations et destructions d’emplois en ralentissant le processus de réallocation de la main-d’œuvre. La protection de l’emploi est donc favorable si elle diminue plus les destructions que les créations d’emplois. Les nombreux travaux théoriques consacrés à l’étude du marché du travail dans un environnement dynamique indiquent que tel n’est pas nécessairement le cas (Millard et Mortensen, 1997, Mortensen et Pissarides, 1999, Lharidon et Malherbet, 2003). Des coûts de licenciement élevés entravent l’efficacité productive, lorsque les employeurs sont à la fois imparfaitement informés sur la qualité des travailleurs, et qu’ils ne peuvent pas licencier en raison des coûts alors subis.

Plusieurs modèles dynamiques ont ainsi examiné la relation existant entre le caractère incertain de l’activité économique et les coûts de licenciement que subit une entreprise. Les firmes soumises à des chocs technologiques de productivité ou de demande y répondent en ajustant leur politique d’emploi. Elles subissent alors une contrainte supplémentaire sous la forme de coûts de rotation limitant leur capacité d’ajustement. Les modèles fondateurs sont ceux de Bentolila et Bertola (1990) et Bertola (1990). Les coûts de rotation sont supposés linéaires et asymétriques, l’ajustement du niveau de l’emploi se faisant immédiatement. Les résultats montrent que les firmes embauchent d’autant moins de travailleurs au cours d’une reprise que les coûts d’embauche et de licenciement sont importants. Les coûts de licenciement affectent la propension à embaucher des firmes dans le futur. Le degré d’incertitude, par rapport aux variations futures de la demande et donc la crainte de devoir payer des coûts de licenciement élevés en période de récession, conduisent les firmes à hésiter à embaucher même lors d’une reprise de l’activité (Saint-Paul, 1996a). La rentabilité anticipée sur les emplois nouveaux diminue du fait que ceux-ci peuvent devenir dans le futur, des emplois non rentables protégés par la réglementation. La présence de coûts de rotation et la prise en compte du futur induisent une certaine inertie des firmes en matière d’ajustement de leur main-d’œuvre (Garibaldi, 1998). Les salariés conservent donc plus longtemps leur emploi dans les pays qui ont fortement réglementé les licenciements (par exemple en 1995 en France la durée moyenne des emplois est de 10.7 ans, contre 6.7 ans aux Etats-Unis). La marge de manœuvre des firmes en termes de politiques d’emploi est donc limitée lorsque les coûts de licenciement sont élevés. Abowd et Kramarz (2003) montrent notamment que les firmes subissent des coûts fixes importants les conduisant à regrouper les départs plutôt que de les ajuster graduellement dans le temps.

Le débat sur la flexibilité du marché du travail s’est situé au centre des politiques de l’emploi au cours des quinze dernières années et a donné lieu à de nombreuses contributions théoriques et empiriques. Les travaux concernant la protection de l’emploi ont cherché à confirmer ou infirmer l’opinion selon laquelle la protection de l’emploi serait une source majeure du chômage européen. La protection de l’emploi agit par deux canaux sur le taux de chômage : d’une part, elle limite les licenciements, ce qui réduit les flux d’entrée au chômage, d’autre part, elle réduit également les flux de sortie du chômage et les créations d’emplois. Ces deux effets distincts des coûts de licenciement conduisent à un effet ambigu sur le taux de chômage (Layard et Nickell, 1999, Ljungqvist, 2001), bien que la première contribution (Lazear, 1990) consacrée à l’impact de la réglementation sur le chômage en utilisant des données annuelles sur 22 pays de l’OCDE (entre 1956 et 1954) concluait à une influence positive des indemnités de licenciement sur le chômage. L’approche fondée sur des données macro-économiques suggère que le taux de chômage n’est pas significativement affecté 32 , en moyenne, par la protection de l’emploi, mais que les chômeurs restent plus longtemps au chômage et que les salariés disposant d’un emploi le conservent plus longtemps (Addison et Teixeira, 2003).

Si une relative inertie voire stabilité de l’emploi et du chômage peut être observée au niveau agrégé sur les marchés du travail européens, l’examen des décisions micro-économiques fait apparaître des ajustements importants entre firmes et au sein des firmes. Nous adoptons ici une analyse micro-économique en termes de flux. Prendre en compte ces flux permet de nuancer les résultats observés au niveau agrégé. Les flux bruts des emplois et de la main-d’œuvre résultent directement de l’hétérogénéité des firmes qui embauchent et licencient des travailleurs hétérogènes. Chaque firme subit des chocs idiosyncratiques qui la conduisent à adopter des décisions spécifiques en termes d’emploi.

Notes
32.

Il se peut que ce résultat soit induit par un problème de simultanéité. En effet, cette corrélation négative entre réglementation et emploi peut provenir du fait que les pouvoirs publics augmentent la rigueur de la protection de l’emploi lorsque la situation économique se dégrade (Cahuc, 2003).