4.2. La participation à une politique active d’emploi

Du point de vue des demandeurs d’emploi, participer ou ne pas participer à un programme public de reclassement résulte d'un processus de décision influencé notamment par des caractéristiques individuelles à la fois intrinsèques et inobservables. Les coûts liés à la participation sont par nature inobservables notamment en ce qui concerne la désutilité en termes d’effort. En général, les individus adhérant à des mesures actives de formation subissent deux types de coûts :

Les caractéristiques passées (ancienneté, qualifications, salaire etc…) des individus affectent les coûts liés à l’adhésion à un dispositif et influencent de la même manière les incitations à y participer. Les différences de coûts de reclassement peuvent notamment se révéler décisives en termes d’incitation. De plus, les capacités des salariés et/ou le montant des indemnités perçues durant le programme sont des variables explicatives importantes des coûts d’adhésion au dispositif.

En se fondant sur les théories du capital humain et du signal, il est possible de relier les différences en termes d’éducation et d’âge aux coûts non monétaires affectant la décision de participation. La principale différence en termes d’interprétation de la formation entre la théorie du capital humain et celle du signal est que cette dernière considère que les attributs non directement observables par l’entreprise sont corrélés avec la formation. Les différences salariales entre l’ancien emploi et le statut d’adhérant peuvent conduire à créer des différences en termes de coûts d’opportunité monétaires. Les individus qui ont décidé de ne pas participer au dispositif ont des caractéristiques qui impliquent des coûts non monétaires plus élevés.

La probabilité d’adhérer à un dispositif dépend également du contexte local. Les licenciements économiques ont des conséquences d’autant plus dramatiques qu’ils se déroulent dans une zone géographique défavorisée, dans laquelle les travailleurs licenciés ont très peu de chances de retrouver un emploi. Un taux de chômage local élevé, la structure de l’emploi dans la région (parts respectives de l’emploi dans le secteur primaire, secondaire et tertiaire) et la localisation des individus et des emplois peuvent inciter les individus à participer au programme. L’hypothèse du spatial mismatch (que l’on peut traduire par « mauvais appariement spatial »), formulée par Kain (1968),a notamment mis en évidence l’importance d’intégrer la dimension spatiale pour expliquer les inégalités sur le marché du travail. Plus précisément, le fait de résider en des lieux éloignés et mal connectés aux centres d’emplois peut avoir des conséquences en termes de niveau de salaire et de chômage. L’efficacité de la recherche d’emploi permet d’expliquer la relation négative entre distance aux emplois et opportunités sur le marché du travail. En effet, celle-ci peut décroître avec la distance aux emplois parce que les individus disposent de moins d’informations concernant les opportunités de trouver un emploi éloigné de leur domicile. Les chômeurs peuvent également refuser des offres d’emploi qui impliquent des temps et des coûts de transport très importants, préférant attendre des opportunités plus proches de leur lieu de résidence. Par ailleurs, les instituts d’aide à la recherche des programmes étant en relation avec les entreprises locales, les individus peuvent donc avoir intérêt à intégrer de tels dispositifs afin de bénéficier de leur réseau.

Etant donné que les revenus futurs après passage par le dispositif sont influencés par plusieurs facteurs exogènes, tels que les conditions sur le marché du travail (taux de chômage, demande de travail plus intense pour un type de qualifications…) ou le comportement des autres demandeurs d’emploi, il est plus difficile pour un individu de les intégrer directement dans sa décision. En effet, dans le cas de licenciements massifs (par exemple dus à la fermeture de l’établissement) des individus ayant un même niveau de qualification se retrouvent en concurrence sur le marché du travail local. Cet effet peut accroître les difficultés de retour à l’emploi. De fait, les individus décident plutôt en fonction des coûts directs liés à la participation. Le tableau 4 regroupe les coûts et bénéfices invariables liés à l’entrée en programme pour les bénéficiaires mais également d’un point de vue social 40 .

Tableau 4 : Coûts et bénéfices de la participation à un programme actif
Niveau Coûts Bénéfices
Individuel
Existence d’un coût d’opportunité en termes de recherche d’emploi ; l’ampleur de ce coût varie en fonction du type de l’individu : le coût est plus faible pour les employés ayant un faible salaire que pour les jeunes travailleurs

Coûts directs de participation le cas échéant

Stigma lié à la participation d’un tel programme ne permettant pas d’augmenter l’employabilité
Gains en termes d’accès à l’emploi et de rémunération future
Etat Coûts directs de la mise en place du programme (versement d’indemnités) et coûts administratifs
A long terme, réduction du chômage ce qui permet de baisser les coûts de mise en place et administratifs de tels programmes

Réduction de la dépendance par rapport aux indemnités de chômage et d’aide sociale

Augmentation des impôts sur le revenu résultant des gains emploi/salaire
Social Le revenu après participation n’est pas différent de ce qu’il aurait été sans adhésion
Effet de substitution : un chômeur est employé à la place d’un non adhérent, mais de toute façon le poste aurait été pourvu

Externalités sur les autres individus : inciter les autres chômeurs à suivre un programme ; les travailleurs ayant créé leur entreprise créent à leur tour des postes vacants

Augmentation de la coopération entre l’Etat et les régions

Source : Fay (1996)

Les politiques actives ont également comme objectif de lutter contre l’effet de découragement des demandeurs d’emploi. Calmfors et Lang (1995), dans le cas de politiques ciblées, mettent en évidence que l’utilité retirée de la participation à un programme est supérieure à celle associée au chômage. Cet effet est plus faible que dans le cas de programmes non ciblés en raison de la période d’attente d’entrée dans le programme et donc d’un facteur d’escompte plus important. Les participants ont de fait une probabilité plus faible de quitter la population active que les autres chômeurs.

Les modèles introduisant la participation à une mesure active se distinguent en fonction de deux tendances. Premièrement, la participation à un programme actif peut être modélisée comme un état distinct sur le marché du travail (Calmfors et Lang, 1995, Van der Linden et Dor, 2000). On suppose que les participants occupent un état distinct sur le marché du travail en ce sens qu’ils touchent une rémunération différente des chômeurs. La modélisation différencie généralement les demandeurs d’emploi en fonction de l’efficacité de leur recherche : on distingue tout d’abord les participants (comme les plus efficaces), puis les chômeurs indemnisés et enfin les chômeurs non indemnisés. Selon Jackman (1994), il n’est pas possible d’agréger les chômeurs et les participants à un programme. En effet, les comportements de ces derniers, notamment en matière de recherche d’emploi, sont susceptibles d’être très différents selon le programme dans lequel ils se trouvent (par exemple en formation). Dans ces modèles, l’efficacité des politiques d’emploi dépend principalement du public ciblé. La participation à un programme est donc en mesure de modifier à plus ou moins long terme l’attitude des participants en termes de stratégie de recherche d’emploi, et même d’avoir des conséquences qui dépassent la durée des programmes. Dans ce cas de figure, il est encore possible d’identifier une hétérogénéité des chômeurs.

Deuxièmement, le passage par une politique active peut être modélisé non plus comme un état distinct à part entière mais comme une transition sur le marché du travail. Ces modèles associent la participation à un accroissement du taux de sortie du chômage. Richardson (1997) considère ainsi que les programmes d’aide à la recherche ne constituent qu’une transition dont l’effet principal est d’améliorer les perspectives d’emploi des bénéficiaires. Dans un modèle de recherche d’emploi (Mortensen, 1986) introduisant la décision de participer à un programme de formation, Cockx et Bardoulat (1999) supposent que les adhérents demeurent chômeurs 41 . Conformément aux modèles précédents, de nombreux travaux ont considéré les programmes de formation comme un état distinct de l’état de chômage (Gritz, 1993, Bonnal et al., 1997 et Eberwein et al., 1997). Une telle distinction importe si l’on observe une dépendance d’état du chômage 42 . Ainsi, comptabiliser le temps passé dans le programme dans la durée de chômage apparaît être pertinent lorsque l’on examine les effets de court terme (c’est le cas pour Cockx et Bardoulat 1999) du programme plutôt que ceux de long terme (comme pour Gritz, 1993, Bonnal et al., 1997 et Eberwein et al., 1997).

Les travaux présentés précédemment ne prennent pas directement en compte les caractéristiques des programmes, telles que la rémunération, la durée ou l’ampleur du public concerné 43 . Or, ces éléments ne sont pas sans effet sur le comportement de recherche des bénéficiaires.

On peut se demander quels peuvent être les principaux enjeux de cibler des dispositifs de reclassement en faveur des licenciés économiques et quelles incitations ces derniers ont à y adhérer. Nous avons montré que le caractère involontaire de la séparation et l’ampleur des coûts de reclassement des licenciés économiques justifiaient la mise en place de mesures actives en leur faveur. Si l’on examine cette fois quels peuvent être les facteurs influençant la participation à un dispositif actif pour les licenciés économiques, on peut évoquer notamment : la volonté d’améliorer leur niveau de productivité ou de s’orienter vers un nouveau métier ce qui a pour conséquence d’amoindrir un éventuel effet de signal négatif lié à un licenciement. Les individus ayant subi un licenciement sans fermeture d’établissement devraient donc avoir une plus forte probabilité d’adhérer à un programme de reclassement offrant des formations. La section suivante présente les différentes mesures actives destinées aux licenciés économiques sur les marchés du travail européens et plus spécifiquement en France.

Notes
40.

La « loi d’airain » spécifie que les politiques d’emploi sont soumises à un arbitrage : elles ne peuvent accroître le nombre d’emplois réguliers qu’au prix d’une réduction du bien-être du demandeur d’emploi. Elles ne peuvent donc prétendre augmenter le niveau d’emploi tout en maintenant ou en augmentant la sécurité des demandeurs d’emploi.

41.

Conformément à Lubyova et Van Ours (1998), un individu est considéré comme chômeur jusqu’à ce qu’il trouve un emploi ou quitte le marché du travail.

42.

Une dépendance d’état signifie que les chances d’obtenir un emploi s’amenuisent au fur et à mesure que l’épisode de chômage s’allonge. Le temps passé au chômage constitue un signal pour les employeurs de réduction de l’employabilité des individus.

43.

Cockx et Bardoulat (1999) constituent toutefois une exception, en introduisant un nombre de places fixe dans le programme.