Chapitre 2 : La dimension spatiale de la recherche d’emploi après un licenciement

Il existe de nombreux facteurs pesant au sein de l’espace urbain qui influencent les décisions économiques des agents, tels que la qualité du logement, la distance au lieu de travail, les moyens de transport disponibles, la densité de la population ou l’hétérogénéité sociale et culturelle des quartiers. Par les mécanismes de marché, des inégalités se créent entre des salariés différents en termes d’âge, de sexe, de niveau de diplôme, d’origine ethnique. Si, une ou plusieurs de ces dimensions séparent géographiquement les individus, alors ces inégalités sont amplifiées sur le marché du travail. Les recherches effectuées sur cette question au cours de ces deux dernières décennies ont permis de mieux comprendre les mécanismes dans les villes nord-américaines. En France, et plus généralement en Europe occidentale, les données et les études portant sur les composantes spatiales sont rares.

En conséquence, l’espace accentue naturellement les frictions existant sur le marché du travail en augmentant les barrières entre employeur et salarié (Stigler, 1962, Wasmer et Zénou, 2002). La théorie de la recherche d’emploi cherchant à expliquer les passages du chômage vers l’emploi, il importe de prendre en compte l’influence des contraintes spatiales pour comprendre les parcours professionnels des chômeurs. Des travaux économiques, sociologiques et géographiques se sont penchés sur la question des structures sociale et spatiale des villes et plus particulièrement sur la répartition spatiale du chômage au sein des agglomérations urbaines (Gobillon, Selod et Zenou, 2003). Ces travaux ont ainsi montré que la majorité des villes présentent une structure spatiale opposant centre-ville et périphérie : la proportion de chômeurs étant plus élevée en périphérie. L’organisation des agglomérations urbaines peut également influer sur les trajectoires des travailleurs, les individus au chômage s’installant plutôt en périphérie.

Plusieurs études ont notamment porté leur attention sur la distance aux centres d’emploi en tant qu’obstacle à la formation d’une relation salariale et ce malgré les progrès réalisés dans le domaine des transports. Plus précisément, l’hypothèse du spatial mismatch, formulée par Kain (1968), énonce que le fait de résider en des lieux éloignés et mal connectés aux centres d’emplois peut avoir des conséquences négatives importantes en termes de niveau de salaire et de chômage. Dans le contexte des villes américaines, où les emplois ont été décentralisés et où les travailleurs noirs ont continué à résider au centre des villes, la distance à l’emploi s’est révélée un des principaux facteurs responsables du taux de chômage élevé observé parmi les travailleurs américains noirs. Un mauvais accès aux emplois dégrade les performances sur le marché du travail (Holzer, 1991), la probabilité de recevoir une offre d’emploi et l’intensité de la recherche dépendant négativement de la distance entre le lieu d’habitation des chômeurs et les centres d’emploi.

L’objet de ce chapitre 49 est de montrer que les inégalités économiques peuvent être exacerbées dès lors que l’on prend en compte ces considérations spatiales : celles-ci sont susceptibles de créer une hétérogénéité entre les différents types de chômeurs. Les études empiriques ont montré que de faibles niveaux d’éducation et de qualification sont habituellement considérés comme un frein à la mobilité géographique. En effet, les personnes mobiles sur le plan spatial sont décrites comme des individus relativement jeunes (entre 18 et 30 ans), plutôt qualifiés, issus de milieux relativement aisés. La cause d’entrée au chômage peut également conditionner la décision de mobilité spatiale.

On s’intéresse ici, tout d’abord, à l’impact des contraintes spatiales sur le processus de recherche d’emploi des chômeurs. L’analyse porte, ensuite, plus précisément sur le comportement de prospection des licenciés économiques qui n’ont pas pu ou qui ont choisi de ne pas adhérer à une convention de conversion. Le but étant de comprendre, via la mobilité spatiale, comment l’existence d’un dispositif actif influence les comportements de recherche d’emploi des non-adhérents (éligibles ou non).

Le chapitre précédent a mis en évidence que les composantes locales, telles que les distances aux emplois ou aux Agences Locales pour l’Emploi (ALE), ont un impact sur la décision de participer à une convention de conversion : les individus ayant les plus fortes contraintes spatiales n’adhérent pas au dispositif. En conséquence, ces individus peuvent être amenés à consentir une mobilité spatiale pour retrouver un emploi. Fredriksson et Johansson (2003) ont notamment mis en évidence à ce sujet un effet de lock-in associé à l’entrée dans une mesure active : les adhérents ont une plus faible probabilité de retrouver un emploi en dehors de leur région (domicile) par rapport aux non-adhérents.

La première section présente un aperçu de la littérature sur l’introduction des contraintes spatiales au sein des modèles de recherche d’emploi. Nous revenons à la fois sur l’hypothèse du spatial mismatch et sur ses implications, d’une part, sur l’accès à l’emploi et, d’autre part, en termes de modélisation de la recherche d’emploi.

Dans une deuxième section, nous développons un modèle de recherche d’emploi dans lequel à la fois le salaire de réserve et la zone spatiale de prospection sont endogènes. Il permet de mettre en évidence dans quelle mesure l’élargissement de la zone spatiale de recherche peut conditionner la durée de l’épisode de chômage, à travers l’introduction de paramètres spatiaux tels que les distances respectives aux emplois et aux Agences Locales pour l’Emploi sur le marché du travail français. Contrairement à l’impact de la proximité aux centres d’emplois sur la durée de chômage, celui de la distance entre lieu d’habitation et ALE a été jusqu’ici peu exploré.

Dans une troisième section, les enjeux des estimations économétriques proposées portent, d’une part, sur le comportement de recherche et de mobilité de l’ensemble des chômeurs et, d’autre part, permettent de distinguer la situation en fonction de la cause d’entrée au chômage (démission, fin de contrat et licenciement économique). Dans le cas des licenciés économiques, l’analyse sera centrée sur le comportement des individus n’ayant pas adhéré à une convention de conversion (éligibles ou non) 50 , en contrôlant l’existence d’un éventuel biais de sélection liée à la non-adhésion au dispositif. L’objectif final est de mesurer l’impact d’une telle stratégie sur la durée de chômage des individus. Les résultats des estimations confirment non seulement l’hypothèse de spatial mismatch en termes d’impact négatif de l’éloignement aux centres d’emplois et aux ALE, mais également l’effet de lock-in sur le comportement de mobilité spatialeassocié à la non participation à une convention de conversion. Les résultats montrent que l’acceptation d’une mobilité spatiale conduit les individus à sortir plus rapidement de l’état de chômage.

Notes
49.

Ce chapitre se fonde sur des travaux en commun avec Khaled Bouabdallah, Jean-Yves Lesueur et Mareva Sabatier.

50.

L’analyse de la durée de chômage des adhérents à une convention de conversion impliquant la mobilisation des techniques économétriques d’évaluation sur les politiques actives (Heckman, Lalonde et Smith, 1999 : comparaison du groupe des traités à un groupe de contrôle, ne regroupant pas les non-éligibles au programme), nous avons choisi de ne pas l’aborder spécifiquement dans ce chapitre. Elle fera l’objet du troisième chapitre.