1.2.1. L’hypothèse du spatial mismatch

L’hypothèse du spatial mismatch, que l’on traduira par « mauvais appariement spatial », et ses implications sur le marché du travail ont suscité un très grand intérêt. Le concept de désajustement entre lieu de résidence et localisation des emplois est apparu dans l’article fondateur de Kain (1968), qui montre les effets néfastes de ce phénomène en termes de chômage urbain et de pauvreté. De nombreuses études ont dès lors tenté d’évaluer la relation négative entre distance aux emplois et opportunités sur le marché du travail, particulièrement pour les minorités ethniques. Dans le contexte des villes américaines, où les emplois ont été décentralisés et où les travailleurs noirs ont continué à résider au centre des villes, il a été montré que la distance à l’emploi constituait une des principales variables explicatives du taux de chômage élevé et des salaires faibles observés parmi les travailleurs noirs américains. Il faut préciser que la distance aux emplois n’est pas nécessairement une distance physique mesurée en termes de kilomètres mais plutôt une distance mesurée en temps de transport. Les modes de transport utilisés pour se rendre sur leur lieu de travail par le groupe majoritaire et les minorités ethniques se révèlent très différents : le premier groupe se déplaçant en voiture alors que les minorités ethniques ont plutôt tendance à utiliser les transports en commun. Les coûts de transport (coûts monétaires et temporels) pour ces derniers sont d’autant plus élevés si les infrastructures en termes de transport public sont faibles ou mal aménagées. Les contraintes de transfert augmentent non seulement le temps de transport moyen, mais également sa variabilité (Ihlanfeld et Sjoquist, 1989, 1990, 1991, Jenks et Mayer, 1989).

Si les conséquences du spatial mismatch (taux de chômage élevé et faibles salaires) sont assez bien connues, le mécanisme de causalité reste complexe. Trois éléments principaux ont été avancés pour expliquer la relation négative entre distance aux emplois et opportunités sur le marché du travail (voir pour une revue de la littérature Ilhanfeldt et Sjoquist, 1998, Gobillon, Selod et Zenou, 2003) : efficacité de la recherche, migrations alternantes, coûts de transports et salaires.

Premièrement, l’efficacité de la recherche d’un emploi peut décroître avec la distance aux emplois parce que les individus disposent de moins d’informations concernant les opportunités de trouver un travail éloigné de leur domicile. Davis et Huff (1972) ont notamment montré que les individus ne prospectent efficacement que dans un périmètre restreint autour de leur lieu de domicile, même si cette zone ne comprend que des emplois de moindre qualité ou peu rémunérés. De plus, les incitations à chercher un emploi de manière intensive peuvent être faibles pour les individus résidant loin des emplois.

Deuxièmement, le prix du logement étant en général plus bas loin des centres d’emploi, les chômeurs résidant dans ces zones seront moins incités à trouver un emploi car son acceptation peut exiger un déménagement vers une zone où les loyers sont plus élevés (Smith et Zénou, 1995). Les individus peuvent également refuser des emplois éloignés si cela implique des temps de transport domicile-travail trop longs et donc des coûts de transport trop élevés par rapport au salaire proposé. Leur salaire de réserve risque également d’augmenter s’ils doivent payer un coût additionnel pour déménager. Ils peuvent ainsi décider d’attendre et de chercher des opportunités d’emploi à proximité de leur lieu de résidence.

Enfin, les employeurs peuvent également considérer qu’en moyenne, les individus vivant loin des emplois peuvent devenir, d’une part moins productifs, à cause de longs trajets quotidiens, et d’autre part, moins disposés à accepter une certaine flexibilité dans les horaires. Ce type de travailleurs peut également être perçu comme plus « coûteux » dans la mesure où il faut compenser, du moins partiellement, leurs coûts de transport. Les employeurs seront de fait moins enclins à embaucher des travailleurs subissant des temps de déplacement élevés.

Ces différents éléments suggèrent donc que les quartiers situés loin des emplois enregistrent des taux de chômage élevés. La section suivante revient sur les implications de l’hypothèse du spatial mismatch en termes d’accès à l’information et de réseaux sociaux.