1.2.3. Existe-t-il un spatial mismatch en Europe?

Pour analyser cette question, il convient tout d’abord de comprendre la structure des villes européennes. Leur configuration de l’espace urbain se différencie assez nettement du cas américain, tant au sujet de la localisation des emplois qu’au sujet de la localisation des populations (Bessy-Pietry, 2000). Elles ont pour la plupart des structures (Paris, Londres ou Stockholm) opposées au schéma américain puisqu’on retrouve les ménages à revenus élevés en centre-ville et les banlieues concentrent plutôt des populations défavorisées, en particulier les minorités ethniques et les salariés peu qualifiés (Brueckner, Thisse et Zénou, 1999).

Par exemple pour l’agglomération de Stockholm, on constate que les personnes de nationalité étrangère qui vivent dans un quartier où l’accès à l’emploi est difficile, ont une probabilité plus faible de trouver un emploi. S’ils ont un emploi, ils ont un revenu plus faible que ceux qui vivent dans un quartier où l’accès à l’emploi est meilleur (Aslund, Edin et Zenou, 2003). Ce résultat a été obtenu en comparant des individus ayant le même niveau d’éducation, le même âge, le même sexe, le même pays d’origine et la même année d’arrivée dans le pays d’accueil. Dans les années 80, la Suède a suivi une politique de placement des émigrants. Ainsi dès qu’un visa de longue durée était accordé à un individu, l’Etat suédois imposait l’endroit où devait habiter cet individu de manière totalement aléatoire. Dans ce contexte, deux individus identiques peuvent suivre des trajectoires d’emploi différentes du fait d’avoir été affectés à des quartiers différents. L’expérience suédoise est de ce point de vue unique.

En ce qui concerne la France et plus précisément l’Ile-de-France, en utilisant les données du recensement en 1990 et en prenant comme mesure d’accès à l’emploi le taux d’emploi au niveau de la commune, le fait de posséder une automobile (à Paris, la proportion de ménages possédant une voiture ne dépasse pas 55%), la présence ou non d’une gare et la distance moyenne résidence-emploi, on constate qu’il existe une mauvaise adéquation entre lieux de résidence et lieux d’emploi, ainsi qu’une ségrégation résidentielle pour certaines catégories socio-professionnelles. Les résultats sont encore plus marqués pour les étrangers qui ont des taux de chômage deux fois plus élevés que les nationaux (Gobillon et Selod, 2003). On observe le même phénomène pour l’agglomération de Bruxelles (Dujardin, Selod et Thomas, 2002). Ainsi, la présence d’un taux de chômage beaucoup plus élevé à la périphérie des grandes villes semble traduire l’existence d’un spatial mismatch à la française.

L’interaction entre espace et marché du travail se révèle plutôt complexe. Dans la littérature relative aux modèles de recherche d’emploi, la dimension spatiale a été considérée le plus souvent comme implicite. Toutefois, au cours de la dernière décennie, différents travaux ont introduit l’impact de l’aspect spatial sur l’obtention d’un emploi en intégrant, d’une part, les coûts de transport et la localisation des emploi, et d’autre part, le temps de déplacement.