1.3.2. Arbitrage temps de déplacement-salaire

Dans la théorie de la recherche d’emploi, généralement une seule dimension du nouvel emploi est prise en compte : le salaire. Les travaux récents ont mis en évidence qu’une attention particulière devait également être portée aux caractéristiques non salariales de l’emploi (Devine et Kiefer, 1993) pouvant influencer son acceptation, telles que le temps de déplacement. Ainsi, Van den Berg et Gorter (1997) ont proposé un modèle de recherche d’emploi permettant de mettre en évidence des combinaisons salaire/temps de trajet domicile-travail différentes.

Contrairement aux approches présentées précédemment 53 , Van den Berg et Gorter (1997) proposent l’estimation économétrique d’un modèle structurel de recherche en environnement non stationnaire introduisant la dimension spatiale de la prospection. La fonction d’utilité du demandeur d’emploi prend en compte à la fois le salaire et le temps de déplacement domicile-travail. Les données hollandaises exploitées sont particulièrement riches, en ce sens qu’elles permettent notamment de disposer des réponses subjectives des chômeurs sur leurs salaires de réserve en fonction de différents contextes. Il est ainsi possible de tenir compte de l’hétérogénéité des salaires de réserve dès lors que l’accès à l’emploi s’accompagne ou non d’une mobilité géographique. Les estimations des paramètres du modèle structurel permettent d’identifier les effets spécifiques de trois catégories de variables : les attributs individuels, les caractéristiques du ménage et les facteurs environnementaux. La plupart des travaux considèrent que le lieu de travail est prioritaire sur le lieu résidentiel et que donc ce dernier s’adapte simplement au second. Cependant, le processus de choix du parcours domicile-travail est également influencé par des attributs ayant attrait à la composition du ménage tels que le nombre de salariés ou la présence de jeunes enfants (Rouwendal et Rietveld, 1994).

Si Van den Berg et Gorter (1997) montrent que les caractéristiques individuelles telles que la nationalité, l’expérience professionnelle et le niveau de formation s’avèrent non déterminantes, un des résultats particulièrement significatifs de l’estimation économétrique porte sur l’influence de la structure familiale dans l’arbitrage entre salaire et temps de trajet domicile-travail. Ainsi pour les femmes, le nombre d’enfants réduit sensiblement la disposition marginale à accepter des temps de parcours domicile-travail plus longs pour accéder aux emplois (Simpson, 1992). Chaque enfant supplémentaire augmente la prime marginale salariale pour deux heures de trajet par jour de près de 80 dollars par mois. Ce résultat montre que les femmes avec enfants tendent à limiter leur zone de prospection dans la proximité immédiate du domicile.

Concernant les variables relevant de l’environnement de la recherche, les paramètres estimés montrent que le taux de chômage régional ne manifeste pas d’effet particulièrement significatif sur la disposition marginale des chercheurs d’emploi à payer pour réduire le temps de parcours domicile-travail. En revanche, ils mettent en évidence que le taux d’urbanisation affecte positivement les conditions d’arbitrage entre l’utilité du salaire et la désutilité du temps de parcours. Les individus localisés dans les grandes villes manifestent ainsi une disposition marginale plus forte à accepter des temps de parcours domicile-travail que leurs homologues des villes de taille moyenne ou des zones rurales. A l’opposé des zones urbaines de faible densité, les déplacements dans les grandes villes combinent très souvent, au delà des raisons professionnelles, un usage du temps pour des motifs familiaux (shopping, garde d’enfant, loisir…). Enfin, pour une même distance de déplacement, les temps de parcours dans les grandes agglomérations peuvent être très sensibles à la densité du trafic, alors même qu’ils restent relativement stables dans les petites agglomérations ou les zones rurales peu affectées par les encombrements. Si l’on tient compte également de la diversité des modes de déplacement, à temps de parcours identique, les emplois proposés dans les grandes villes peuvent apparaître de ce fait plus attractifs.

D’autres études économétriques ont mis en évidence l’impact des caractéristiques individuelles sur la disposition à accepter des temps de parcours domicile-travail longs. Van den Berg (1992) a notamment montré que les coûts de déplacement associés à un changement d’emploi étaient plus élevés pour les propriétaires. Le comportement de migration passé des individus peut également avoir un impact. Selon cette hypothèse, les individus ayant par le passé connu beaucoup de migrations, auront une probabilité plus forte à le faire dans l’avenir (Dierx, 1988, Gruver et Zeager, 1994, Newbold, 1997). Par ailleurs, le secteur dans lequel travaille un salarié peut également conditionner les temps de parcours. Ainsi, les parcours domicile-travail sont plus élevés dans des secteurs où prédominent les grandes entreprises.

Les différents travaux développés dans cette lignée soulèvent donc plusieurs manifestations possibles de l’impact de la localisation résidentielle sur le statut des individus sur le marché du travail. Le coût de déplacement domicile-travail augmente le salaire de réserve des individus éloignés des emplois et, toutes choses égales par ailleurs, réduit leur probabilité d’accès à l’emploi. Cet effet peut toutefois être modulé selon les conditions d’accès aux moyens de transport, la structure familiale et plus généralement les caractéristiques des zones urbaines. L’éloignement des pôles d’emploi affecte l’efficacité de la recherche en réduisant les opportunités d’appariement. Enfin, l’efficacité de la recherche peut se trouver altérée avec la distance aux emplois du fait de la faiblesse de l’information disponible directement ou par les réseaux sociaux sur les opportunités d’emploi. Cependant, les différents résultats économétriques obtenus quant à l’influence de la distribution spatiale des emplois sur la durée de séjour dans l’état de chômage s’avèrent être sensibles à la nature des indices d’accès aux emplois retenus lors des différentes estimations. L’influence des contraintes spatiales sur la durée des épisodes de chômage peut donc être fortement corrélée à la définition des mesures d’accès à l’emploi.

Le modèle de recherche d’emploi élaboré dans la section suivante enrichit la compréhension du processus de recherche des individus en considérant comme endogènes à la fois la zone spatiale de prospection et le salaire de réserve. Contrairement aux travaux présentés précédemment, le modèle prend en compte l’impact de deux indicateurs spatiaux déterminants sur le taux d’arrivée des offres : la distance entre le lieu de résidence et le centre des emplois et la distance entre le lieu de résidence et l’Agence Locale de l’Emploi compétente (ALE). A ce niveau, aucune distinction n’est faite entre les différents types de chômeurs en fonction de leur cause d’entrée au chômage, la structure se voulant être la plus générale, l’objectif étant d’axer l’analyse sur le rôle des contraintes spatiales. Cette distinction sera toutefois examinée dans le cadre des estimations économétriques.

Notes
53.

La plupart des études effectuent des estimations économétriques des modèles théoriques sous forme réduite.