3.3.1. Distance de prospection et mobilité spatiale 

Cette section vise à expliciter dans quelle mesure l’acceptation d’une mobilité spatiale ou d’une augmentation de la distance de déplacement domicile-travail peut s’interpréter en termes de stratégie d’élargissement de la zone de prospection.

Dans un premier temps, il importe de préciser ce que l’on entend par mobilité spatiale. De manière générale, la décision de mobilité spatiale qui peut se définir ici comme l’un des inputs du processus de recherche d’information, relève d’un arbitrage entre les avantages et les coûts anticipés de la migration. De cet arbitrage et des facteurs qui le conditionnent, tels que la composition du ménage, le statut résidentiel (propriétaire ou locataire), l’aversion au risque ou les caractéristiques des marchés locaux de départ et de destination, résultent d’une part le choix de mode de mobilité retenu et d’autre part la chronologie des événements entre décision de mobilité et recherche d’emploi. Les migrations sont souvent perçues comme un moyen de bénéficier d’opportunités d’emploi sur les marchés locaux du travail situés loin du domicile initial de l’individu. L’emploi n’est pas le seul facteur influençant la décision de migrer, et ce plus particulièrement pour des migrations de courte distance. Des raisons liées au logement (Oswald, 1997, Böheim et Taylor, 1999), les événements marquants du cycle de vie (Puig, 1981), ou des éléments de cadre de vie (environnement physique et relationnel, Bauer, Epstein et Gang, 2000) peuvent également avoir un impact sur la mobilité résidentielle. L’effet de ces facteurs diffère selon la distance séparant lieu de départ et lieu de destination. Gobillon (2001) montre que, pour le cas de la France, les raisons liées au logement l’emportent dans le cas de courtes distances, les raisons professionnelles, dans le cas des longues distances.

Dans un deuxième temps, du point de vue du mode de mobilité et compte tenu des coûts directs et indirects de migration, il est possible de distinguer une première forme de mobilité se définissant comme la décision individuelle du demandeur d’emploi d’être prêt à accepter, pour le nouvel emploi, une distance de déplacement domicile-travail plus longue que celle jusqu’alors consentie dans l’emploi perdu. Une deuxième forme de mobilité, plus classique, peut relever de la décision collective du ménage de déménager vers un marché local plus propice au retour à l’emploi. Du point de vue de la chronologie des événements, qui ne sont pas renseignés dans les enquêtes, entre la décision de mobilité du ménage et la recherche du nouvel emploi, cette dernière peut être entreprise directement sur le lieu de destination après la migration du ménage, ou au contraire à distance (avant la migration du ménage). La première difficulté liée à la construction de la variable mesurant l’élargissement de la zone de recherche tient donc à son caractère indirectement observable. Les informations dont on dispose dans les enquêtes quant à cette question varient selon la population concernée. Plusieurs situations sont envisageables.

Pour la population non censurée de l’échantillon, c’est-à-dire pour laquelle on observe un épisode complet de chômage entre deux emplois, on dispose des localisations du domicile (la commune de résidence), de l’ancien et du nouveau lieu de travail et éventuellement du nouveau domicile en cas de déménagement (impliquant une grande distance) consécutif au retour à l’emploi. En comparant les distances domicile-travail observées pour le précédent emploi, d’une part, et pour le nouvel emploi, d’autre part (exprimées en km), on peut ainsi identifier une première forme de mobilité pour tous les individus de l’échantillon dont les écarts de distances sont positifs. Au-delà de cette première forme de mobilité, on dispose également d’une information sur les déménagements réalisés au cours de la période par les individus ayant retrouvé un emploi 62 . Comme nous l’avons souligné précédemment, l’étude des motifs de mobilité résidentielle à partir du Panel européen des ménages montre (Gobillon 2001) que plus de 76% des déménagements de courte distance relèvent de motifs liés au logement (accès à la propriété, agrandissement de la famille, volonté d’un logement plus spacieux…) et ne peuvent de ce fait être assimilés à des migrations en vue du retour à l’emploi. Compte tenu de ces résultats, nous avons alors décidé de considérer qu’une mobilité spatiale pour des raisons professionnelles ne serait retenue que dans les situations où la distance entre les deux logements était supérieure à la distance domicile–travail initialement consentie dans le précédent emploi et non dans le cas de courtes distances.

Pour la population censurée de l’échantillon (individus n’ayant pas enregistré un retour à l’emploi au cours de la durée de l’enquête) deux cas doivent être dissociés. Pour les individus de cette strate de l’échantillon qui ont déménagé dans l’état de chômage, on dispose des informations sur le lieu de résidence initial, la localisation du précédent emploi et la localisation du nouveau domicile. En appliquant la même méthode que pour les individus de la population non censurée, on a considéré qu’une mobilité spatiale avant le retour à l’emploi avait été effectuée lorsque la distance entre les deux domiciles était supérieure à la distance domicile-travail consentie pour l’emploi précédent. On peut supposer que l’on se trouve ici dans la situation décrite plus haut où la migration du ménage a précédé le retour à l’emploi (recherche d’emploi sur le nouveau site). Enfin, pour les individus de la population censurée de l’échantillon n’ayant pas manifesté de mobilité de recherche d’emploi (absence de déménagement) on dispose seulement des informations sur les localisations respectives du domicile et du précédent emploi. Ce cas de figure ne permettant pas de conclure, ces individus ne peuvent être renseignés sur l’existence d’une recherche d’emploi avec ou sans mobilité spatiale 63 . D’autres personnes sont également dans cette situation : pour une partie de la population non censurée, la distance domicile-travail du nouvel emploi n’a pas été renseignée 64 , cette distance est donc par nature inobservable pour ces individus. De plus, pour les travailleurs ayant effectivement étendu leur zone de recherche mais ayant en définitive accepté un emploi plus proche de leur domicile que l’ancien, nous ne disposons pas d’information directe sur la zone de prospection. Nous avons alors considéré qu’ils n’avaient pas consenti de mobilité spatiale.

Au total, cette codification nous permet de construire une variable latente notée prenant la valeur unitaire pour les individus de l’échantillon dont le retour à l’emploi s’est accompagné d’une mobilité ou d’une augmentation de la zone de recherche et zéro pour les autres. Une partie de l’échantillon n’est pas renseignée sur cette variable, ce taux s’élève en moyenne à 25% (toutes causes d’entrée au chômage confondues). On note ainsi que pour 71% des individus résidant en Ile-de-France, une mobilité spatiale ou une augmentation de la distance domicile-travail a accompagné l’accès au nouvel emploi, ce taux est respectivement de 51% et de 45% pour les régions Nord-Pas-de-Calais et PACA. Si l’on discrimine par cause d’entrée au chômage, on note que 63% des individus ayant démissionné ont consenti une mobilité spatiale, ce taux est respectivement de 55% et 61% pour ceux qui ont connu une fin de contrat et les licenciés économiques non-adhérents. Les individus entrés au chômage à la suite d’une fin de contrat correspondent pour la plupart à des fins de CDD. Ce type de chômeurs ont en général une plus forte probabilité de retrouver un emploi avec le même type de contrat, ce qui peut les rendre moins exigeants et dans cette mesure plus susceptibles de retrouver un emploi sur le marché local.

Compte tenu du calcul économique opéré par les individus qui sous-tend la décision de mobilité, outre le problème de construction, une deuxième difficulté rencontrée dans l’estimation économétrique proposée tient également au caractère endogène de la décision de mobilité. Celle-ci est vraisemblablement sensible aux attributs individuels, aux caractéristiques du ménage comme aux contraintes spatiales. Pour estimer le modèle économétrique en essayant de contrôler le plus rigoureusement possible l’endogénéité de la décision de mobilité, et les éventuelles erreurs de mesure sur cette variable, nous nous sommes attachés à générer des valeurs estimées de la probabilité de mobilité à partir de la méthode des variables instrumentales (Heckman et Robb, 1985). La variable P* étant par nature discrète, l’instrumentation a été menée à partir de l’estimation d’un modèle probit. Les instruments retenus concernent les attributs individuels et des variables contrôlant les contraintes perçues par les individus quant aux possibilités de déplacement et conformément au modèle théorique, à l’éloignement des emplois et des Agences Locales de l’Emploi.

Les modèles économétriques proposés pour chaque type de chômeur visent à estimer la survie dans l’état de chômage par un modèle de durée conditionnelle à la décision de mobilité spatiale. La section suivante présente la méthode d’estimation adoptée qui tient compte des possibles sources de biais de sélection.

Notes
62.

Il existe un possible biais d’attrition lié aux déménagements des individus, si ces derniers ont disparu de l’enquête, mais peu de personnes sont concernées.

63.

Nous reviendrons plus précisément lors de la présentation des modèles économétriques sur la méthode de correction permettant de prendre en compte les sources de biais potentiels pour ce type de situation.

64.

La principale source d’erreur de mesure est liée au fait que pour certains individus, la commune du nouveau lieu de travail n’a pas été renseignée. Il a été alors impossible de calculer la distance domicile-travail du nouvel emploi.