3.4.1. La décision d’élargissement de la zone de prospection

Les résultats économétriques 66 du probit bivarié estimé sur l’échantillon des employés ayant démissionné (colonne 2) et pour ceux qui ont quitté leur emploi pour fin de contrat (colonne 3) sont consignés dans le tableau 4. Les résultats pour les licenciés économiques non-adhérents obtenus à partir de l’estimation du probit trivarié correspondent à la première colonne du tableau 4. Afin d’expliquer le choix de la stratégie d’élargissement de la zone de prospection, nous avons testé l’effet des attributs individuels, de la composition de la famille, des modes alternatifs de prospection, des motifs d’entrée au chômage, des contraintes de ressources, des contraintes de déplacement et de la localisation géographique.

Tableau 4 : Estimation économétrique de la décision d’élargissement de la zone de prospection selon la cause d’entrée au chômage
Tableau 4 : Estimation économétrique de la décision d’élargissement de la zone de prospection selon la cause d’entrée au chômage

Les résultats de l’estimation de la distance de prospection pour l’ensemble de la population des chômeurs sont consignés dans le tableau 1 dans l’Annexe 2.E. Les variables indicatrices de la cause d’entrée au chômage ont été introduites dans l’estimation. Dans un premier temps, il est possible d’apporter une interprétation relative à la cause de la séparation. Ainsi, on observe que les individus ayant démissionné et les licenciés économiques non-adhérents ont une plus forte probabilité d’être mobiles par rapport aux individus ayant quitté leur emploi pour cause de fin de contrat. Ce comportement peut s’expliquer en tant que volonté d’augmenter le nombre d’offres d’emploi au vu des difficultés de réinsertion rencontrées. Les licenciés économiques connaissant des faibles taux de sortie du chômage, peuvent être prêts à consentir une certaine mobilité afin à la fois d’obtenir de meilleures opportunités d’emploi ou d’en augmenter le nombre. En effet, leur licenciement peut être lié à un contexte local en crise. Ces derniers auront donc peut-être plus intérêt à élargir leur horizon spatial de recherche pour retrouver un emploi. L’analyse non-paramétrique a montré que les effets de l’éloignement, notamment par rapport à l’Agence Locale pour l’Emploi compétente et par rapport aux emplois, étaient plus marqués pour ce type de chômeurs. Il importe donc d’effectuer une analyse spécifique à ce type de salariés afin de mettre en évidence l’impact de certaines caractéristiques telles que le niveau d’ancienneté ou la cause du licenciement en elle-même sur leur comportement de mobilité.

Dans un deuxième temps à partir du tableau 4, nous procédons à l’analyse des résultats relatifs à l’influence des attributs individuels sur la décision d’élargissement de la zone de prospection (les interprétations concernent toutes les causes de séparation). On observe tout d’abord que les ménages avec enfant manifestent une plus faible propension à élargir le champ spatial de leur recherche. Conformément à l’étude de Van den Berg et Gorter (1997) sur données hollandaises, le nombre d’enfants semble réduire sensiblement la disposition marginale soit à accepter des temps de parcours domicile-travail plus longs pour accéder aux emplois ou à déménager (Böheim et Taylor, 1999). Par ailleurs, si l’acceptation d’une mobilité spatiale s’accompagne d’un déménagement, dès lors les enfants sont amenés à faire face à des problèmes de réadaptation, notamment d’un point de vue scolaire (Long, 1975). Ce résultat n’est toutefois pas confirmé pour les personnes ayant démissionné. En effet, le caractère volontaire de cette séparation implique un raisonnement différent de la part du salarié concerné, que ce soit en termes de déplacement ou de recherche d’emploi.

L’analyse relative à l’environnement montre que, compte tenu des contraintes de proximité supportées par les individus, le fait d’habiter à proximité d’une ALE (correspondant à la variable x dans le modèle théorique) réduit la probabilité d’élargir la zone de prospection. Les individus ayant démissionné ne sont cependant pas affectés dans leur décision d’élargissement de la zone de prospection par la proximité de l’ALE. Ces derniers privilégient plutôt une stratégie de recherche plus active (réseau professionnel). Le degré d’éloignement vis-à-vis des zones d’emplois (correspondant à la variable y dans le modèle théorique) conditionne très sensiblement et de manière positive la décision d’élargissement de la zone de recherche, toutes causes d’entrée au chômage confondues. Conformément aux résultats de la littérature sur le spatial mismatch,cet indicateur a un rôle prépondérant dans le processus de recherche des demandeurs d’emploi. Les salariés dont l’emploi précédent était assorti d’un temps de parcours domicile-travail élevé (plus d’une heure) ont une plus forte probabilité d’augmenter leur distance de prospection. De fait, le comportement passé en termes de temps du trajet domicile-travail a un impact positif sur leur disposition à consentir une certaine mobilité dans l’avenir (Newbold, 1997).

Résider dans une zone d’emploi dans la région Ile-de-France se révèle peu discriminant, ceci peut notamment s’expliquer par un réseau de transport dense. Par contre, les individus résidant dans la zone d’emploi de Lens ont plus de chances d’élargir leur zone de prospection par rapport à celle de Roubaix. D’autres variables caractéristiques des conditions d’accès aux modes de transport (facilité d’accès aux transports ou bénéficier gratuitement des transports, voir tableau 1, Annexe 2.D) ou de qualité du marché local (tissu industriel, taux de chômage, voir tableau 2, Annexe 2.D) ont été systématiquement introduites dans les estimations sans apporter cependant une contribution significative. Le fait d’être propriétaire n’a pas ici d’effet significatif sur la distance de prospection, contrairement à l’hypothèse émise par Oswald (1997) selon laquelle : il est plus coûteux pour les propriétaires de saisir des opportunités d’emploi nécessitant un déménagement.

Enfin mobiliser comme moyens de prospection, les procédures marchandes (les candidatures spontanées) et les missions d’intérim augmente, par rapport au recours au réseau personnel ou professionnel, la probabilité d’élargissement de la zone de prospection. Comme le montre Schwartz (1973), la perte de réseau social sur le site de départ peut décourager la mobilité : plus la distance parcourue augmente et plus il devient difficile de fréquenter les membres du réseau social restés sur le site de départ. Cependant, le fait de mobiliser les missions d’intérim ne joue positivement et de manière significative sur l’accroissement de la zone de recherche que dans le cas des fins de contrat. En effet, la recherche par l’intermédiaire des services d’intérim suppose en général l’acceptation implicite d’une certaine mobilité tant au niveau de la durée des contrats offerts qu’au niveau géographique. De plus, ce type de demandeurs d’emploi ont souvent recours à ce mode de prospection. On note également que les contraintes de ressources, mesurées à partir du droit à l’allocation logement, réduisent la probabilité de recourir à une telle stratégie. L’effet de cette variable n’est pas significatif pour les licenciés économiques. Ainsi, certaines contraintes de déplacement (posséder une automobile) ou de niveau de vie (allocation d’aide au logement) se révèlent non significatives pour les licenciés économiques par rapport aux autres causes de séparation. Hughes et McCormick (1981) ont montré à ce sujet, à partir de données anglo-saxonnes, que le système d’habitation à loyers modérés décourageait les migrations.

En centrant l’analyse sur la cause de licenciement, on note que ce sont les salariés ayant subi un licenciement économique individuel qui sont le plus amenés à élargir leur zone de prospection par rapport à ceux qui ont subi un licenciement collectif avec fermeture d’établissement. On peut penser que ce type d’employés sont plus susceptibles de subir un stigma lié à la cause de leur licenciement en raison d’une possible sélection effectuée par leur employeur et de ce fait sont contraints d’accepter une certaine mobilité. Les variables concernant l’emploi précédent (ancienneté, qualification…) n’ayant pas d’effet significatif, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, nous ne les avons pas reportées dans le tableau 3.

Dans un troisième temps, les résultats du probit trivarié (voir tableau 2, Annexe 2.E pour une présentation complète des résultats) permettent de mettre en évidence la nature de la relation entre ne pas adhérer au dispositif et le fait de consentir une mobilité spatiale. En effet, le coefficient de corrélation ( 2 = 0.60) entre le résidu de l’équation de non accès à la convention de conversion et celui de l’équation d’augmentation de la zone de prospection est positif. La sélection à la non-participation au dispositif joue donc ici en faveur de ceux qui, toutes choses observables par ailleurs, ont plus de chances d’accroître leur zone de prospection. Ce sont les individus qui sont le moins mobiles qui décident d’adhérer à une convention de conversion afin de bénéficier des opportunités d’emploi proposées dans la zone de compétence des Agences Locales pour l’Emploi (Frederiksson et Johansson, 2003). L’hypothèse d’effet de lock-in est ici vérifiée. Nous avons montré 67 que les adhérents sont en moyenne plus âgés (Baccaïni, 1993) et ont des niveaux d’ancienneté plus élevés (Bartel, 1979) ce qui peut également expliquer qu’ils subissent des coûts importants à migrer. Par ailleurs, on note également que les individus pouvant participer à une convention de conversion (moins de 57 ans et plus de deux ans d’ancienneté) mais qui ont choisi de ne pas y adhérer ont une plus forte probabilité d’élargir leur zone de prospection que les non-éligibles. Pour ces derniers, une telle stratégie de recherche peut être perçue comme une solution de « repli » plutôt que comme un choix, ils auraient peut-être voulu participer au dispositif mais ils ne le pouvaient pas. A l’opposé, elle semble plutôt représenter un choix délibéré pour les licenciés ayant décidé de ne pas intégrer le dispositif d’accompagnement.

Les valeurs simulées sur toute la population (censurés et non renseignés) de la variable MOB (MOBestimée) ont été introduites dans l’estimation d’un modèle de durée afin de pouvoir mesurer l’impact d’un élargissement de la zone de recherche sur la durée de chômage.

Notes
66.

Les résultats présentés ici tiennent compte d’un contrôle par les variables du secteur de l’ancien emploi, ces dernières n’étant pas statistiquement significatives, les résultats n’ont pas été reportés.

67.

Au cours du chapitre 1.