1.4. Les expérimentations contrôlées

Les expérimentations contrôlées ont été présentées comme un moyen de limiter le biais de sélectivité inhérent aux études sur données naturelles. Elles permettent d’affecter de manière aléatoire (par tirage au sort) les individus potentiellement intéressés par un dispositif de réinsertion ou de formation soit à un groupe de personnes qui bénéficieront du dispositif, soit au groupe de contrôle qui n’y participera pas.

Depuis le début des années 60, les autorités fédérales et locales des Etats-Unis ont recouru à des expériences contrôlées afin d’évaluer des politiques publiques dans des domaines aussi divers que la santé, le logement, l’impôt sur les revenus du travail, l’insertion et la réinsertion sociale. Mais c’est dans le domaine des programmes de formation et d’emploi que les expériences menées ont donné lieu aux débats les plus vifs et aux contributions méthodologiques les plus significatives 75 .

Pour mener à bien des expérimentations contrôlées, certaines conditions doivent être admises par les différents acteurs. Leur respect permet non seulement de recourir à l’expérimentation et également d’en déterminer son protocole. Ces conditions sont au minimum au nombre de trois : les participants à l’expérience doivent être pleinement informés des avantages comme des risques que leur participation peut leur procurer ou leur faire courir (principe de consentement éclairé 76 ) ; dans les cas où l’on anticipe que le programme peut provoquer des risques ou des torts, il faut prévoir de compenser les individus qui seront affectés au groupe de contrôle (principe de compensation) ; enfin une expérimentation n’est envisageable que dans le cas où l’on ignore a priori si le traitement est bénéfique ou non. Si le traitement s’avère préjudiciable, il est préférable d’observer ses effets sur un nombre limité d’individus consentants que sur un très grand nombre d’individus contraints (principe de précaution).

Il existe toutefois plusieurs difficultés liées à la mise en œuvre de telles expérimentations. Premièrement, dans la mesure où le tirage au sort ajoute de l’incertitude dans le processus d’accès au programme, les individus les plus averses au risque peuvent décider de ne pas se porter candidats. Parallèlement, si les centres de formation chargés de la mise en œuvre du programme offrent un nombre de places limité ou s’ils sont évalués sur la base des résultats de l’expérimentation, ils peuvent être de fait incités à sélectionner les candidats les plus qualifiés ou ceux pour lesquels le programme est potentiellement le plus bénéfique.

De nombreuses réticences et oppositions se sont élevées contre ce type d’expérimentation. Un premier type de remise en cause des expérimentations a trait aux coûts élevés de leur mise en œuvre, que ce soit en termes de temps et de budget. Mais ce sont plutôt des arguments éthiques que budgétaires qui sont mis en avant pour les critiquer. Ils condamnent généralement le déni de traitement imposé aux individus du groupe de contrôle et le tort substantiel que ce déni peut leur faire subir. Si le traitement s’avère être significativement bénéfique, refuser ce traitement à certaines personnes à l’issue du tirage au sort conduit à rationner une ressource publique.

Les expérimentations contrôlées ont permis de livrer de nombreux résultats. Fougère (2000) met l’accent sur les expérimentations conduites aux Etats-Unis au cours des années 80 visant à évaluer les effets des programmes d’accompagnement et des dispositifs de sanctions sur les probabilités de retour à l’emploi des chômeurs. Par exemple, les expériences dans lesquelles étaient offertes des primes aux chômeurs retrouvant rapidement un emploi ont montré que ce type d’incitation permet de réduire la période de chômage des individus concernés, mais qu’elles n’ont aucun effet sur le niveau des salaires de réembauche (Meyer, 1995). L’expérience conduite sur le programme Restart en Grande-Bretagne (Dolton et O’Neill, 1996) confirme qu’un accroissement des aides personnalisées à la recherche d’emploi s’accompagne d’une réduction de la durée moyenne de chômage.

Notes
75.

Parmi ces programmes, on peut distinguer trois grandes catégories de dispositifs : les programmes de formation et de qualification, les programmes incitatifs offrant des primes aux chômeurs indemnisés retrouvant plus rapidement des emplois et enfin les programmes d’intensification des services d’aide à la recherche d’emploi offerts aux chômeurs par les services publics de l’emploi.

76.

La définition du principe de consentement éclairé comprend trois éléments fondamentaux : 1) l’aptitude des participants pressentis; 2) la communication des renseignements et leur compréhension; 3) le volontariat (Brodaty, Crépon et Fougère (2002b).