1.1. Licenciement et retrait du marché du travail

De nombreuses études empiriques attestent des difficultés de réinsertion rencontrées par les chômeurs âgés sur les marchés du travail d’une grande majorité des pays industrialisés. Un licenciement économique a des implications plus ou moins importantes en fonction de l’âge des salariés. A partir des données du Displaced Workers Survey, Rodriguez et Zavodny (2000) 92 montrent que l’influence de l’âge est significativement et fortement négative à partir de 50 ans, que ce soit sur la probabilité de retour à l’emploi ou la durée de non emploi. Ce constat peut résulter de trois éléments d’explication : la difficulté de retrouver un emploi étant donné les pertes en capital humain spécifique, le refus des employeurs d’investir dans des employés qui sont proches de leur retraite, les pratiques discriminatoires envers les travailleurs âgés. La proximité de l’âge de la retraite est susceptible d’influer sur les comportements d’embauche des employeurs et sur les comportements de recherche des chômeurs âgés. L’existence de coûts d’embauche peut dissuader les firmes de recruter un travailleur proche de l’âge de départ à la retraite. De même, les gains attendus de l’occupation d’un emploi augmentent avec l’horizon de la vie active de sorte que l’effort de recherche d’emploi peut diminuer à mesure que cet horizon se rapproche (Ljungqvist et Sargent, 2003). Les licenciés économiques sont non seulement souvent âgés, mais ils touchent également une population dont les qualifications sont devenues obsolètes sur le marché du travail actuel. Les avancées technologiques détruisent partiellement le capital humain spécifique accumulé par les travailleurs âgés.

Les travaux empiriques qui étudient les effets du changement technologique sur la situation économique des travailleurs âgés s’intéressent principalement aux cessions d’activité. Les avancées technologiques constitue donc un premier élément d’explication au retrait du marché du travail de ce type de salariés. Juhn (1992) montre que l’accroissement de la dispersion des revenus, pouvant être associé au changement technologique, a contribué au retrait plus précoce du marché du travail des salariés âgés les moins éduqués. Bartel et Sicherman (1993) et Ahituv et Zeira (2000) montrent que le changement technique exerce une influence négative sur la participation des travailleurs âgés. Friedberg (2001) observe que les travailleurs âgés utilisent moins fréquemment d’ordinateurs, alors que ceux qui ont des connaissances (même basiques) en informatique quittent plus tard le marché du travail. Mais ce constat peut également émaner d’une décision de l’individu en termes d’arbitrage.

Chan et Stevens (2001) ont notamment montré qu’un licenciement pouvait fortement influencer la décision de quitter le marché du travail pour des individus âgés. En effet, le licenciement peut conduire à une réévaluation de l’arbitrage entre arrêter ou continuer de travailler. A priori, l’effet d’un licenciement sur la probabilité de se retirer du marché du travail est ambiguë. En effet, deux effets s’opposent. D’une part, les travailleurs licenciés âgés, ayant en moyenne des niveaux d’ancienneté plus élevés, sont plus sensibles à un risque de pertes salariales imputables à la perte, soit de leur capital humain spécifique, soit des rentes dont ils bénéficiaient. Ceci peut les inciter à quitter plus rapidement le marché du travail. D’autre part, les réductions de revenus liées à leur perte d’emploi peuvent les inciter à vouloir restaurer leur niveau de revenu permanent.

Chan et Stevens (1999) montrent que les travailleurs licenciés de 50 ans et plus ont une probabilité d’un tiers de retrouver un emploi deux ans après avoir été licenciés, alors que cette proportion s’élève à moins d’un tiers pour les individus de plus de 60 ans. Les individus réévaluent leur décision de quitter le marché du travail en fonction de l’information supplémentaire qu’ils acquièrent concernant leurs salaires futurs et les profits liés à une sortie du marché du travail. Stevens (1997) a par ailleurs montré que les travailleurs licenciés faisaient preuve d’une grande instabilité en termes d’emploi, connaissant ainsi des pertes d’emploi répétées. De fait, quitter le marché du travail peut se révéler plus avantageux à la suite d’un licenciement.

Les femmes peuvent également être incitées à quitter le marché du travail à la suite d’un licenciement. Les femmes mariées ont une plus forte probabilité de quitter le marché du travail après avoir été déplacées que les hommes et les femmes célibataires. (Rodriguez et Zavodny, 2001). Si elles ont des enfants, le coût d’opportunité lié au retour à l’emploi est plus élevé que celui des hommes. Par ailleurs, il peut exister une discrimination salariale en faveur des hommes (Madden, 1987).

Ces résultats ont une portée en termes de politiques actives d’emploi. Pouvoir distinguer ces différents effets est important pour l’orientation des programmes actifs. En effet, des politiques favorisant l’embauche de travailleurs âgés ou offrant des formations seront plus appropriées pour des salariés ayant un niveau d’ancienneté élevé, mais totalement inefficaces si la situation des individus est volontaire. Malgré un rôle important de la dépréciation des conditions financières attendues à la suite d’un retrait du marché du travail, les difficultés de retour à l’emploi, des coûts de recherche plus élevés et des barrières à l’emploi importantes expliquent une grande partie des départs du marché du travail pour les licenciés âgés.

Par ailleurs, les salariés licenciés qui retrouvent un emploi, n’arrivent généralement pas à obtenir les mêmes conditions que celles de l’emploi précédent. En effet, ils retrouvent pour la plupart un emploi précaire, c’est-à-dire un CDD ou un emploi à temps partiel. Ce type de transition se révèle souvent involontaire.

Notes
92.

Rodriguez et Zavodny (2000) montrent que le taux de retour à l’emploi baisse dès la classe d’âge 45-50 ans et suivant certaines périodes dès 40 ans.