3.1. Fonction de gains et hétérogénéité des travailleurs

Les pertes salariales encourues après un déplacement ont permis d’examiner le degré de transférabilté du capital humain. L’ancienneté dans l’emploi précédent est alors utilisée comme une « proxy » permettant de mesurer le capital humain spécifique accumulé par l’employé. Topel (1991) a montré que les employés déplacés ayant un niveau d’ancienneté élevé connaissent des baisses de salaires plus élevées que les autres. Ce résultat suggère qu’une partie du capital humain accumulé est détruit après déplacement. Farber (1997) interprète cet effet de l’ancienneté comme une obsolescence des qualifications. Farber (1999) estime que 30% des rendements dus à l’ancienneté peuvent être expliqués par l’hétérogénéité des individus alors que 70% sont attribuables à des rendements en termes d’investissements spécifiques. Neal (1995) montre qu’une partie des rendements de l’ancienneté sont spécifiques à un secteur d’activité. Ainsi les travailleurs déplacés qui retrouvent un emploi dans la même industrie subissent des pertes salariales plus faibles que ceux qui sont contraints de changer de branche. Dustmann et Meghir (1998) observent des retours d’ancienneté et d’expérience positifs pour les employés qualifiés mais non pour les non-qualifiés. Kriechel et Pfann (2002) montrent toutefois que l’ancienneté dans l’emploi ne permet pas d’expliquer les pertes salariales encourues par les travailleurs déplacés hollandais.

Les résultats de Burda et Mertens (2001) montrent que les travailleurs allemands ayant été déplacés en 1986 et ayant retrouvé un emploi en 1987 subissent une perte salariale de seulement 3.6% lorsqu’on les compare à un groupe d’individus étant toujours employés. Leonard et van Audenrode (1995) examinent les conséquences d’un déplacement pour les travailleurs belges et montrent que les pertes salariales sont quasi nulles. Si l’ancienneté contribue à l’accumulation en capital humain spécifique ou augmente les primes, elle devra être positivement corrélée avec les pertes salariales. Si les gains sont imputés à l’accumulation en capital spécifique à l’industrie, alors un déplacement affectera les salaires futurs dans le cas où les individus ont changé d’industrie. Les résultats relatifs aux conséquences d’un déplacement sur les salaires retrouvés sur les marchés du travail européens sont plus faibles que pour les licenciés nord-américains.

Les conséquences d’un déplacement en termes de salaire permettent ainsi de discriminer entre les différentes théories relatives à la détermination des salaires. La théorie du capital humain (Becker, 1962, Parsons, 1972) estime que les pertes salariales sont liées à la spécificité des qualifications acquises. La théorie de la recherche d’emploi et de l’appariement montre que des employés avec des niveaux d’ancienneté élevés et des salaires élevés reflètent plutôt la qualité de l’appariement en termes de productivité. Selon, la théorie de l’appariement (Jovanovic, 1979) l’adéquation d’un individu avec son emploi tend à augmenter sa productivité. L’ancienneté permet ainsi non seulement d’évaluer le stock de capital humain spécifique acquis, mais incorpore également la qualité de la relation d’emploi. La théorie de l’appariement permet donc d’expliquer les pertes salariales en termes de valeur intrinsèque à la relation employeur-employé.

Dans un modèle de recherche d’emploi d’équilibre, Postel-Vinay et Robin (2002) examinent quelle est la source de la dispersion des salaires qui n’est pas imputable aux attributs personnels et aux entreprises et/ou aux secteurs. A partir des données de panel des « Déclarations Annuelles des Données Sociales » (DADS) 107 , les auteurs mettent en évidence qu’une partie importante de la dispersion des salaires est expliquée par la qualité de l’appariement. Ils décomposent la variance des logarithmes des salaires en trois éléments : un effet individuel (compétences inobservées de l’individu), un effet lié à la firme 108 (certaines entreprises offrent des salaires en moyenne plus élevés ce qui contribue à la dispersion des salaires entre individus) et un effet reflétant les tensions sur le marché du travail (les entreprises sont en concurrence sur le marché du travail pour attirer les travailleurs). Ce dernier élément permet d’expliquer pourquoi deux individus identiques employés dans deux firmes identiques peuvent obtenir des salaires différents.

Par ailleurs, les auteurs montrent que l’effet individuel expliquant la variance des salaires diffère fortement entre niveaux de qualification. Elle explique notamment 40% du salaire des plus qualifiés (cadres) mais non celle des moins qualifiés (0%). Il apparaît que plus le poste requiert des compétences élevées et plus les travailleurs pouvant postuler sont hétérogènes. Les différences des parcours individuels sur le marché du travail, capturées par le troisième terme (tensions sur le marché du travail) expliquent – entre 40 et 60% – de la variance.

De ce point de vue, il se peut que le passage par une convention de conversion fasse également apparaître des différences de salaire entre des individus ayant les mêmes dotations en capital humain. L’explication principale avancée pour expliquer les différences entre les nouvelles conditions salariales des travailleurs déplacés américains et européens est d’ordre institutionnelle. L’existence d’indemnités de chômage élevées en Europe, ou de programmes publics de réinsertion permettent aux chômeurs licenciés de pouvoir rechercher un emploi de meilleure qualité. De fait, les demandeurs d’emploi européens ne sont pas contraints d’accepter tout de suite des emplois mal payés, ils peuvent poursuivre leur recherche d’emploi afin de trouver un emploi correspondant plus à leurs compétences. Ceci augmente donc la période de chômage ainsi que les chances d’effectuer un meilleur appariement et conduit à baisser les tensions pouvant exister sur le marché du travail.

L’évaluation de l’impact du passage en convention de conversion sur les salaires sera menée en deux étapes. Dans une première étape, nous estimons l’impact du programme sur le salaire de l’emploi retrouvé. Nous nous concentrons sur cet indicateur de succès et non sur les pertes salariales encourues à la suite d’un licenciement 109 . Dans une deuxième étape, nous examinons l’impact d’une formation sur ce salaire. L’évaluation porte donc sur des indicateurs de court terme.

Notes
107.

Ce sont des données appariées employeur-employé.

108.

Cet effet est appelé effet between.

109.

Bien que la littérature relative aux trajectoires des licenciés économiques sur le marché du travail se soit principalement concentrée sur les pertes salariales encourues à la suite d’un déplacement, nous n’avons pu considérer que l’impact du dispositif sur le salaire de l’emploi retrouvé.