Conclusion générale 

L’évaluation de l’impact des conventions de conversion sur les trajectoires des licenciés économiques a été explorée à travers deux dimensions. Partant du constat qu’il existe une hétérogénéité des demandeurs d’emploi en fonction des causes d’entrée au chômage, les deux premiers chapitres de cette thèse se sont attachés à déterminer les spécificités des licenciés économiques que ce soit en termes de coûts de reclassement ou de stratégies de recherche d’emploi qu’en termes de contraintes spatiales.

De par leur ancienneté et le caractère involontaire de leur situation, les licenciés économiques ne retrouvent pas instantanément un emploi, comparable à celui qu’ils occupaient sans subir des coûts de reclassement (durées de chômage et pertes salariales). Les licenciements économiques ont des conséquences d’autant plus dramatiques qu’ils se déroulent dans une zone géographique défavorisée, dans laquelle les travailleurs licenciés ont très peu de chances de retrouver un emploi. Les spécificités institutionnelles relatives aux mesures de protection de l’emploi, en matière de coûts de licenciement, permettent d’expliquer en partie ces coûts. Ces éléments nous ont amené à conclure à une nécessaire différenciation des politiques de l’emploi mieux à mêmes de tenir compte de l’hétérogénéité des parcours des licenciés économiques (chapitre 1).

Les contraintes spatiales subies par les chômeurs au cours de la recherche d’emploi peuvent influer sur leur participation à une mesure active. La suppression des postes pouvant résulter d’un contexte local en déclin (secteur d’activité ou région touchés par un taux de chômage élevé) et l’existence d’un dispositif actif conduisent à transformer les comportements de mobilité spatiale des adhérents et non-adhérents. Ces derniers, plus mobiles, consentent dès lors à augmenter leur rayon de prospection d’emploi (chapitre 2).

L’impact des conventions de conversion sur les trajectoires individuelles des licenciés économiques a été appréhendé à travers deux dimensions principales permettant d’évaluer l’efficacité du dispositif sur le reclassement : la durée de chômage et la qualité de l’emploi retrouvé (statut et salaire). L’évaluation a par ailleurs pris en compte les caractéristiques du programme (durée de la mesure, formation, possibilité de quitter le dispositif avant son échéance).

Que ce soit en termes de durée de chômage (chapitre 3), de qualité du contrat ou du salaire retrouvé (chapitre 4), les effets du dispositif bien que positifs sont mitigés car ils ne concernent qu’une faible proportion des adhérents. En effet, l’efficacité du passage par le dispositif a été relativement faible pour les bénéficiaires, bien que théoriquement la majorité des personnes qui ne sont pas passées par le dispositif auraient pu voir leur probabilité de retour vers l’emploi stable augmenter si elles avaient pu en bénéficier. L’ensemble de ces résultats, qui toutefois ne concernent qu’un échantillon particulier (non représentatif de l’ensemble des licenciés en France), nous amène à conclure que le dispositif des conventions de conversion a été mal ciblé. En effet, les individus qui cumulent les caractéristiques favorisant une réduction de l’épisode de chômage, un retour à un emploi stable (que ce soit en termes de statut ou de salaire) après passage par une convention de conversion sont plus nombreux dans le groupe des non-adhérents que des adhérents. Il semble donc que le dispositif opère un tri au sein de la main-d’œuvre en ciblant les individus ayant un niveau d’employabilité plus faible. Cependant, le passage par une telle mesure ne bénéficie qu’aux individus qui parmi les adhérents cumulent les caractéristiques favorables à un meilleur reclassement. En ce sens, certes les conventions de conversion ont permis de « sélectionner » les individus les plus à risque, mais elles n’ont pas permis d’améliorer la situation des plus démunis. Un ciblage plus étroit du dispositif (les moins qualifiés, les plus âgés, les femmes…) aurait ainsi pu augmenter significativement la probabilité moyenne de retour à l’emploi stable des adhérents ainsi que leur salaire.

A partir des résultats obtenus dans cette thèse, il est possible de tirer un bilan sur la pertinence du ciblage des politiques actives, et ce dans deux directions.

La première direction concerne directement la population des licenciés économiques et ses spécificités. Les études empiriques menées tant au niveau macro-économique que micro-économique mettent en exergue l’importance d’un ciblage adapté de la politique d’emploi. Il est important que les programmes ciblent une catégorie de demandeurs d’emploi la plus homogène possible (Fay, 1996).

Les résultats obtenus ont permis de mettre en évidence que la population des licenciés est hétérogène : alors que certains travailleurs licenciés retrouvent un emploi sans passer par le chômage, d’autres individus connaissement des longues périodes de non emploi. Les différences observées portent en général : d’une part sur le niveau d’ancienneté et d’autre part sur l’effet de signal associé à un licenciement. Les salariés licenciés ayant pour la plupart un niveau d’ancienneté élevé et un attachement fort à leur secteur d’activité, ceci conduit à freiner leur retour à l’emploi et à augmenter les pertes salariales. En outre, si la suppression de poste n’est pas consécutive à la fermeture de l’établissement, les individus subissent un a priori négatif quant à leurs compétences. Il est cependant difficile, mais important, de discerner si le licenciement crée ces difficultés ou si ce sont les caractéristiques individuelles des salariés qui sont à l’origine des coûts supportés. Les conventions de conversion ayant été supprimées dans le cadre de la mise en place du PARE en 2001, la question relative à la pertinence du ciblage d’une politique active sur les licenciés économiques semble avoir été tranchée 121 .

La deuxième direction concerne le cadre général des politiques d’emploi. L’évaluation des conventions de conversion confirme les résultats d’autres études sur l’impact des programmes d’emploi ou de formation proposés dans le cadre des politiques actives du marché du travail : dès lors que les individus éligibles à un dispositif ont la possibilité de se porter candidats et d’accepter ou non l’offre de formation qui leur est faite, ce ne sont généralement pas ceux qui semblent a priori les moins armés pour retrouver rapidement un emploi stable (ou rémunérateur) qui entrent dans le dispositif. L’impact global est de ce fait affaibli et les considérations d’efficacité, étant donné le coût 122 de ces dispositifs, militent généralement pour qu’ils soient offerts en priorité aux personnes ayant un plus faible niveau d’employabilité. Une autre dimension du ciblage concerne l’aspect local. Mener des mesures au niveau local permet non seulement de mieux cerner les besoins des bénéficiaires mais aussi de développer des programmes correspondant aux exigences du marché du travail local. Mais il convient également de garder à l’esprit que l’efficacité des politiques mises en œuvre est en partie dépendante des institutions existantes.

Dans le prolongement de cette thèse, deux pistes de recherche peuvent être avancées. Heckman, Lalonde et Smith (1999) soulignent que plusieurs méthodes économétriques sont disponibles pour étudier une même politique publique. Ces techniques économétriques permettent de contrôler, à l’aide de données expérimentales et non-expérimentales, les éventuels problèmes, inhérents à l’évaluation, de sélection et d’hétérogénéité non observée. La démarche économétrique privilégiée dans cette thèse a été celle des modèles de sélection sur les inobservables. La première voie de recherche possible serait de prolonger l’évaluation en estimant l’impact des conventions de conversion par des modèles de sélection sur les observables. Il serait également nécessaire de préciser l’impact des formations sur la qualité du reclassement. La deuxième voie de recherche consiste à s’interroger sur le PARE. Ce dernier en fournissant un soutien personnalisé en contrepartie d’un engagement à chercher activement un emploi, s’inscrit clairement dans la voie d’une meilleure prise en charge des demandeurs d’emploi. Dans le cadre de son évaluation, il serait intéressant de vérifier si les trois directions que nous avons proposées : prise en compte des spécificités des différents publics, pertinence du ciblage, c’est-à-dire capacité d’attirer les individus les plus démunis et prise en compte du contexte local, sont effectivement suivies par le PARE.

En conclusion, conformément aux Etats-Unis, il est indispensable que les pays européens, et principalement la France, augmentent le nombre et améliorent la qualité des évaluations des politiques d’emploi afin que les pays de l’OCDE soient plus nombreux à pouvoir tirer des enseignements de l’expérience des uns et des autres. L’évaluation doit être intégrée dès la mise en place de la mesure, afin de pouvoir répondre aux questions des décideurs sur ce qui est efficace et ce qui ne l’est pas dans la gamme des dispositifs actifs en vigueur dans les pays de l’OCDE et entrevoir des dispositions concrètes pour renforcer l’efficacité des mesures actives.

Notes
121.

Le PARE anticipé se substitue aux conventions de conversion.

122.

Voir introduction générale.