1.2. Les langues et Internet

Si Internet permet la communication humaine, il existe un enjeu pour les langues à travers Internet. Nous essaierons de comprendre lequel et tenterons de synthétiser l'information disponible quant au paysage linguistique de ce réseau. Cette présentation a pour objectif de placer notre objet d'étude dans son contexte proche.

1.2.1. Société de l'information

Mac Luhan 24 et le concept de village global, Alvin Toffler 25 et celui de troisième vague avaient dessiné les silhouettes de la situation actuelle. L'information prend valeur d'échange et devient matière première à traiter. Si les réseaux permettent de transporter toutes données numériques, celles-ci n'ont de valeur que si elles sont interprétables. Il ne nous appartient pas de formuler une opinion politique à ce sujet, notre intérêt ne se porte que sur l'étude de pratiques langagières affectées par la circulation sans frontières de l'information et les dispositifs qui la permettent. Le réseau n'a pas changé fondamentalement le moyen de la communication humaine : les langues. On estime en effet à 80% la part d'information électronique de type textuel 26 .

On dénombre environ six milles langues sur la planète et un nombre important de variantes de ces systèmes linguistiques. L'inquiétude que fait naître le concept de société de l'information au plan linguistique est de voir disparaître la richesse que représente la diversité des langues et dialectes au profit de quelques langues voire au profit d'une seule dans les visions les plus pessimistes 27 . L'alternative à cette situation serait de favoriser le plurilinguisme des individus d'une part, et d'autre part de développer la traduction systématique entre langues. Les industries de la langue ont sans doute encore de belles années devant elles malgré l'avertissement ressenti à la parution du rapport accablant de ALPAC 28 au sujet de la traduction automatique il y a quelques décennies. La situation aujourd'hui est que les dix langues les plus parlées dans le monde sont les dix langues les plus parlées sur Internet, l'importance de chacune de ces langues n'étant toutefois pas identique dans le monde et sur Internet. Le tableau (1-1) présente le classement des 14 langues les plus parlées dans le monde. Nous verrons à la section suivante ce qu'il en est sur Internet.

Tableau (1-1) – Les langues les plus parlées dans le monde d'après Ethnologue (1996) (codes selon le standard ISO 639-2)
1 chinois, mandarin [CHI] 885,000,000
2 espagnol [SPA] 332,000,000
3 anglais [ENG] 322,000,000
4 bengali [BEN] 189,000,000
5 hindi [HIN] 182,000,000
6 portugais [POR] 170,000,000
7 russe [RUS] 170,000,000
8 japonais [JPN] 125,000,000
9 allemand, standard [GER] 98,000,000
10 chinois, wu [CHI] 77,175,000
11 javanais [JAV] 75,500,800
12 coréen [KOR] 75,000,000
13 français [FRE] 72,000,000
14 vietnamien [VIE] 67,662,000

On relèvera aussi les préoccupations de la communauté linguistique francophone et des démiurges du dicible 29 au sujet des usages particuliers du français et notamment de son code écrit au travers des nouvelles technologies de communication.

La langue qui prédomine sur Internet est bien entendu l'anglais et on ne saurait s'en étonner à l'examen des origines et du développement d'Internet 30 . Toutefois des études récentes montrent une progression des autres langues du monde au détriment de l'anglais.

Notes
24.

Mac Luhan (1968)

25.

Toffler (1980)

26.

Kane, O. (2000) "Technologie push : mode de diffusion de l'information", Euromaster TIC, juin 2000. http://www.mediaroanne.asso.fr/tic_05/kane/publications/pushmedia/outilstraitementinformation.htm

27.

Cf. entre autres Grenoble & Whaley (1998) ; Hagège (2000) ; Chaudenson (2000) ; Calvet (1987), (1999) et (2002) ; Nettle & Romaine (2000) et sur la toile "déclaration universelle des droits linguistiques" http://www.egt.ie/udhr/udlr-fr.html, "Unesco red book of endangered languages" http://www.tooyoo.l.u-tokyo.ac.jp/Redbook/index.html

28.

ALPAC (Automatic Language Processing Advisory Council) – le rapport ALPAC de 1966 qui met en garde contre les illusions de la traduction automatique, aura pour conséquence une forte diminution de l'investissement de recherche développement pour la traduction automatique - John R. Pierce and John B. Carroll. (1966) Language and Machines, Computers in Translation and Linguistics, ALPAC report 1966, National Academy of Sciences. Voir aussi Yehoshua Bar-Hillel (1953) Some linguistic problems connected with machine translation Philos. Sci. 20, 217-223. Yehoshua Bar-Hillel (1960) The present status of automatic translation of languages. Franz L. Alt (ed.) Advances in Computers Volume 1, Academic Press (New York), pp. 91-163 ; et John Hutchins (1996) ALPAC: The (In)famous Report, MT News International 14 (June, 1996), 9-12. Ce rapport eut des conséquences sur les investissements financiers dans ce secteur de recherche pendant plusieurs années.

29.

Formule empruntée à Hagège (1985:252)

30.

Cf. section 1 de ce chapitre