Chapitre 5
Le code écrit des IRC

La recrudescence de l'intérêt pour la chose parlée, qui est spécifique à la linguistique du XX e siècle, contribue à la réflexion sur la distinction qui paraît fondamentale entre l'oral et l'écrit. Françoise Gadet (1996:13) affirme que "différents facteurs, liés aux modifications des modalités d'échange au XX e siècle, rendent cette distinction de plus en plus fragile, au-delà de l'évidence matérielle de différences entre les chenaux".

Le dispositif de communication qui engendre nos corpus est, selon son inventeur, "basé sur le texte" 113 , c'est-à-dire en fait sur l'écrit dactylographié. Nous montrerons toutefois qu'il ne répond pas à la distinction oral/écrit telle qu'elle est formulée traditionnellement. On pourrait certes arguer qu'il s'agit d'un phénomène marginal, qui ne justifie donc pas de revoir la terminologie. Mais les observations que nous faisons semblent s'appliquer à d'autres dispositifs de communication eux aussi basés sur le texte écrit tels que les courriers électroniques, les jeux en réseau, et les textos GSM qui réalisent une plus grande couverture de la population. Les campagnes publicitaires fixes (affiches, pages de magazines ou de presse) présentent des phénomènes similaires. Ce que les nouveaux moyens de communication révèlent, ce sont en partie des usages volatiles et incontrôlables de l'écrit : notes de cours, listes de courses, mémos… 114 Le primat du matériau dans la considération des distinctions est sans doute à revisiter à l'exemple du travail de Biber (1988) et peut-être même faudrait-il ainsi abandonner la dénomination de la distinction au profit d'une typologie des produits linguistiques, ou tout au moins revoir la définition de ces termes et affirmer plus explicitement que la distinction oral/écrit recouvre deux réalités : un matériau sémiotique et un "style" prototypique.

Au sujet de l'écrit on relève dans la littérature deux attitudes principales : celles qui adoptent une perspective autonomiste (les unités graphiques ne sont pas signes de signes mais signes de choses, la langue écrite est un système spécifique qui n'est qu'en partielle interaction avec la langue parlée) et celles qui maintiennent la relation de représentation de l'écrit à l'oral. Les systèmes d'écritures dont la relation à l'oral est distante 115 facilitent la première position, ainsi Anis, Chiss et Puech (1988:11) posent "l'indépendance, autonomie de la graphie qui exploite les trois dimensions de l'espace alors que la parole et l'écriture phonétisée se déploient dans une unique dimension spatiale chargée de figurer la linéarité du temps." Une description autonomiste du système graphique du français se trouve dans Anis et al. (1988:87-144). Toutefois, si des spécificités doivent être reconnues pour chacun des matériau sémiotiques, l'autonomie de l'écrit est une position qui se heurte à de graves objections. Nous verrons, à travers ce chapitre, que cette position radicale n'est pas soutenable. Incontestablement, notre corpus est de l'écrit de par la nature du canal et du matériau sémiotique. Il n'est toutefois pas un écrit prototypique.

Notre intérêt se porte donc en premier lieu sur le code. La communication basée sur l'écrit en présence de laquelle nous sommes, est synchrone 116 , mais à la différence des dispositifs synchrones basés sur l'oral 117 , outre qu'elle dépouille les messages des éléments qui accompagnent sa production (gestes, mimiques, postures, orientation des regards…), elle prive également les interlocuteurs des informations portées par la prosodie.

Dans le corpus étudié, nous avons pu relever différents phénomènes dont certains semblent relever de différents types de représentations de caractéristiques acoustiques et non-verbales de l’oral en situation.

Une première partie de ce chapitre sera consacrée à l'inventaire des divergences constatées en ce qui concerne le code graphique, en examinant les phénomènes de réduction formelle, puis les phénomènes n'impliquant pas de réduction formelle. Nous supposons en effet que la contrainte temporelle imposée par la synchronicité du dispositif influe sur la longueur des unités linguistiques, ainsi que nous l'avons vu au chapitre 3. Nous verrons toutefois que l'hypothèse de la contrainte temporelle ne suffit pas à expliquer l'ensemble des phénomènes de réduction formelle ni l'ensemble des phénomènes s'écartant de la norme de l'écrit. Dans une seconde partie, nous examinerons une spécificité reconnue des écrits Internet : les émoticones.

Notes
113.

Jarkko Oikarinen http://www.kumpu.org/jto/research/index.html

114.

Branca-Rosoff (1998).

115.

On pourrait ainsi dessiner une échelle de distance qui placerait les systèmes mythographiques à un extrême, puis comporterait successivement les systèmes idéographiques, logosyllabiques, syllabiques puis alphabétiques.

116.

Elle requiert que les participants soient engagés dans le même temps.

117.

Téléphone, CB, interphone,…