5.1.2.2. Spécificité des procédés d'abréviation dans le code écrit

L'écrit connaît plusieurs types d'abréviation qui lui sont propres, accordant quelques arguments à l'hypothèse autonomiste. On se convaincra à la lecture des tables d'abréviations présentées comme courantes dans les dictionnaires qu'il y règne un désordre impressionnant. Les listes en effet ne se recoupent que partiellement, elles rassemblent des éléments d'utilisation générale autant que spécifique à des groupes de locuteurs et ne proposent pas de systématisation de l'ensemble 128 . Anis et al. (1988:139-144) proposent leur traitement au sein d'une catégorie d'unités qu'ils dénomment logogrammes et pour laquelle ils proposent 5 groupes :

Logogrammes La série concernée est : $, £, §, &… Ces items se manifestent "par une forme matérielle indécomposable (accessible sur les claviers des machines à écrire), et sont l'équivalent d'une séquence d'alphagrammes 129 " c'est-à-dire d'un mot. Exemple : voir § suivant
Symboles mathématiques Il s'agit là, des chiffres (qui peuvent composer des nombres), et des opérateurs. À ces derniers s'ajoutent les items suivants : =, %, <, >, mais la liste n'est pas définie, la frontière devenant floue quant à certaines unités telles que les unités de mesure. Exemple : 25% des Français ont regardé le match.
Abréviations et sigles Dans cette classe, selon Anis et al. (1988:141), "Les abréviations comme M., p., correspondent à des noms communs, alors que les sigles correspondent à des quasi noms propres". Il est aussi signalé que les unités qui composent abréviations et sigles sont "des alphagrammes détournés de leur utilisation normale" et que ce "détournement est habituellement signalé par des topogrammes 130 déviés eux aussi de leur usage normal". Exemple : M. Janu procède à l'état des lieux.
Logos Anis et al. (1988:142) font entrer dans leur classification ce phénomène récent qui "consiste pour une société qui veut augmenter l'impact sur le public de son nom, à figer l'écriture de celui-ci dans un dispositif graphique particulier."
Topogrammes détournés Ce cas est celui de points d'interrogation et de points d'exclamation employés seuls "pour exprimer de manière elliptique des valeurs sémantiques proches de celles qu'ils expriment dans leur usage normal". Cet usage chercherait à "simuler par ce procédé les mimiques expressives de l'échange oral" – Anis et al. (1988:143). Exemple : "Marie est arrivée. – Ah ??!!".

Pour ce qui nous concerne, nous traiterons des deux premiers types dans cette section, l'utilisation des logos n'apparaissant pas dans notre corpus et les topogrammes détournés étant traités au point concernant la ponctuation. Les sigles font l'objet de la section suivante.

Quant aux listes d'abréviations données pour la langue française 131 , dont nous mentionnions l'hétérogénéité, il est possible de repérer quelques types réguliers. L'un d'eux consiste à ne retenir qu'une lettre de l'unité lexicale. Ce procédé concerne par exemple les points cardinaux (nord N, sud S…). L'abréviation des unités de mesure retient une ou plusieurs lettres de l'unité lexicale de base et est invariable (kilogramme(s) kg, minute(s) min, centimètre(s) cm…). Les ordinaux sont convertis en chiffres arabes accompagnés de la finale de l'unité lexicale de base en exposant, fléchie pour le genre et le nombre le cas échéant (premier 1 er , premiers 1 ers , première 1 re , deuxième 2 e ). La sélection de la première lettre de l'unité lexicale et de la finale (à l'exposant) est utilisée pour les titres de civilité M. ou M r pour monsieur, D r pour Docteur, M me pour madame, M lle pour mademoiselle et quelques autres comme C ie pour compagnie… Une abréviation peut aussi, à l'écrit, ne se composer que des premières lettres du mot et dans ce cas, elle se termine par un point (référence réf.). Elle peut ne comporter que la première et la dernière lettre d'une unité lexicale et dans ce cas, elle se termine par la dernière lettre du mot et ne comporte pas de point final (boulevard  bd).

Nos corpus présentent ces types d'abréviations conventionnelles normées ; on constate un écart à la norme concernant les caractères qui devraient être en exposant et la ponctuation afférente. L'abréviation des unités de mesure temporelle correspond souvent à la norme anglo-saxonne.

Notes
128.

On pourrait objecter aux deux dernières remarques qu'il ne s'agit pas des objectifs des dictionnaires. Cependant, si la nomenclature et le choix de la présentation alphabétique les masquent, il y paraît pour les unités lexicales quelques tentatives de catégorisation.

129.

Lettres de l'alphabet.

130.

Signes de ponctuation.

131.

Cf. Grevisse & Goosse (1993), Robert, Rey-Debove et Rey, (1993), Imprimerie Nationale (1990).