8.2. Phrase simple vs complexe

Il existe un lien implicite dans la théorie syntaxique entre intégration syntaxique et complexité. La littérature 298 présente plus ou moins ouvertement les équations "parataxe = simplicité", "hypotaxe = complexité". Il y paraît implicitement ou explicitement l'hypothèse que l'emploi de la parataxe serait l'apanage de l'oral tandis que les phénomènes d'intégration se présenteraient essentiellement à l'écrit.

La phrase complexe est définie comme une unité phrastique intégrant plusieurs unités phrastiques 299 . Dès lors se pose le problème des limites de l'unité supérieure ainsi considérée et des types d'intégration.

La grammaire traditionnelle distingue deux types d'intégration phrastique : subordination et coordination. D'une part ces notions sont remises en cause (Givón 2001:327-387) 300 et d'autre part la linguistique textuelle renouvelle les problématiques en ajoutant à un niveau supérieur l'étude des marqueurs d'organisation entre les phrases 301 .

Il convient de déterminer ce que la grammaire entend par phrase complexe étant entendu que l'étude de ces phénomènes est fortement influencée par la culture de l'écrit. On n'aura pas de peine à reconnaître, pour la notion de subordination qu'il s'agit d'une notion de dépendance (comme le subordonné prend ses ordres de son supérieur hiérarchique), mais on s'interroge au vu des faits présentés sous cette section par la grammaire sur la nature des unités en relation de dépendance et sur la nature même de la dépendance. D'autre part on se demandera quels critères permettent d’opposer et d'identifier systématiquement coordination et subordination.

Andersen (1995:43-56) tente d'établir une typologie des relations de dépendance propositionnelle. Elle distingue trois types, conformément à la tendance générale : subordonnée, coordonnée et juxtaposée, les deux premières étant typiquement introduites respectivement par un élément subordonnant ou coordonnant, tandis que les dernières ne seraient introduites par aucun morphème.

Il est intéressant d'affiner ces distinctions et de considérer, avec Koch (1995:13-42) qu'il existe différents niveaux d'imbrication. Ainsi, on serait à même de rendre compte d'énoncés tels que les suivants :

‘(95) Si tu écoutais les disques que je te prête, tu reconnaîtrais l'air qui passe.’

Koch (1995:13-42) distingue ainsi six types d'intégration, en référence à l'étude du phénomène de jonction présenté par Raible (1992) 302 . Le premier type, celui de la parataxe asyndétique, correspond aux cas où les clauses sont simplement juxtaposées.

‘Extrait du Corpus F3’ ‘*PCA: et parlez pas aux chiens inconnus’ ‘*PCA: on sait jamais’

Le second type est celui de la parataxe à reprise (anaphorique). Koch ne donne pas de précision à ce sujet, on peut cependant envisager plusieurs types : soit l'élément anaphorique reprend toute une unité phrastique (c'est le cas de l'exemple de Koch), soit il n'en reprend qu'un élément. Le premier type ne se trouve dans nos corpus que lorsque ça reprend une unité phrastique précédente ; tandis que le second type est plus fréquent.

‘Extrait du Corpus F3’ ‘*PBD: moi non plus, et en plus, ce soir grenoble joue a domicile... ca va faire du barouf ds les rues :(’

Le troisième type concerne les mises en relation par des connecteurs

‘Extrait du Corpus F3’ ‘*PAY: PBW je comprends mo j'en ai marre de la neige’ ‘(1)’ ‘*PAY: mais dans 15 jours on part au soleil :)’

Koch (1995:16) lui donne le nom de parataxe syndétique.

Le quatrième type dégagé comprend deux sous types et concerne les cas d'hypotaxe (subordination) à verbe conjugué (relatives) et non conjugué (infinitives).

‘Extrait du Corpus F3’ ‘*PAA: PBF emploi pas des mots que tu connais pas :/’ ‘Extrait du Corpus P8’ ‘*(action): PAN s echauffe les doigts pour clik plus vite :)’

Le second sous-type serait plus intégratif que le premier dans la mesure où un élément de la phrase matrice se représente en tant que trace dans l'unité intégrée (ce qui est le cas également de la relative) et où l'absence de marques temporelles et personnelles sur le verbe de cette unité induirait une dépendance plus importante, la référence temporelle du procès dénoté par le verbe intégré s'appuyant sur les marques portées par le verbe de l'unité phrastique matrice.

Le cinquième type d'intégration relevé par Koch (1995:18) regroupe les cas d'hypotaxe à verbe non conjugué participe et infinitif. Koch (1995:18) propose d'inclure ici des "adjectifs, voire des substantifs employés à la manière d'un participe".

‘Extrait du Corpus F3’ ‘*PAY: 'vais prendre une douche en écoutant du metal a fond, ca devrait me detendre...’

Enfin, le type de jonction le plus intégré selon Koch (1995) – donc le sixième type – serait la nominalisation, dans laquelle la représentation d'un état de choses du monde apparaîtrait sous forme d'un nom 303 .

On peut critiquer cette hiérarchie à plusieurs points de vue 304 , mais notamment sur le fait qu'elle ne tient pas compte de la distinction entre les trois types de relations de subordination.

Il est distingué en effet deux types de subordonnées, selon la fonction de l'unité phrastique enchâssée dans l'unité phrastique matrice. Foley & Van Valin (1984) analysent ainsi une unité phrastique en trois éléments : le nucleus, le core (coeur, i. e. comprenant les arguments valenciels du verbe), et la périphérie (comprenant les autres éléments, i. e. circonstants et participants secondaires). La proposition est donc de distinguer entre les unités phrastiques enchâssées faisant partie du noyau et celles relevant de la périphérie. Les unités phrastiques "subordonnées" faisant partie du noyau ou de la périphérie ont la propriété de connaître des possibilités de modulation énonciative bloquées, et les celles qui font partie de la périphérie fonctionnent comme des constituants nominaux en fonctions d'obliques. On peut noter également que les unités phrastiques faisant partie du noyau ou de la périphérie peuvent être modifieur d'un constituant nominal appartenant à un constituant argument central ; ainsi les complétives peuvent saturer la valence d'un verbe et faire alors partie des arguments 'core', ou encore saturer la valence d'un nom tandis que les relatives se trouvent essentiellement en fonction de modifieurs de noms.

Toutefois, Koch (1995) introduit un autre critère : celui des degrés de subordination. En effet, les types 4 à 6 peuvent être intégrés à divers degrés, ainsi que nous l'annoncions. Sont distingués 4 degrés. L'énoncé (96) présente deux subordonnées de premier degré et une subordonnée de deuxième degré.

‘(96) Si tu écoutais les disques que je te prête, tu reconnaîtrais l'air qui passe.’

En effet, la phrase matrice intègre en position de modifieur du nom une relative (premier degré) et en position d'adverbial une conditionnelle (premier degré) qui elle-même intègre en position de modifieur du nom une relative (deuxième degré).

Koch (1995) examine également la position de la subordonnée par rapport à la régissante. La subordonnée peut se trouver à droite, c'est-à-dire à la suite de la régissante. Dans notre exemple, la relative qui passe a cette propriété. Elle peut se trouver à gauche, c'est-à-dire qu'elle précède strictement la proposition régissante, ainsi que le fait la conditionnelle dans notre exemple. Enfin, la subordonnée peut être emboîtée dans de la proposition régissante ainsi que l'est la relative de deuxième degré de notre exemple.

Nous avons donc codé les structures enchâssées selon ces critères et en distinguant les différents types de clauses enchâssées selon leur fonction syntaxique : compléments argumentaux, modifieurs du nom, adverbiaux (circonstancielles), ainsi que le degré de leur imbrication.

Quant aux unités phrastiques coordonnées, nous ne les considérons comme relevant de la syntaxe de la phrase que dans deux cas présents dans nos corpus. Le premier concerne la coordination d'unités phrastiques subordonnées (exemple 97), et le second la coordination d'unités phrastiques modifiant des propriétés morphosyntaxiques des énoncés indépendants correspondant (exemple 98). Les autres cas de coordination d'unités phrastiques sont relégués au niveau discursif.

(97)

‘Extrait du Corpus F2 305 ’ ‘*PZZ: PAS cherche une nana moche, conne, bossue avec des poils, aimant les nouilles et faire de la mobylette’

(98)

‘Extrait du Corpus F7’ ‘*PEI: PAK tu n' a rien lu, rien vu lol’

Nous avons également codé le type sémantique des enchâssées adverbiales et relatives, ainsi que leur position dans la phrase matrice. À ce sujet, il convient d'apporter quelques précisions.

On distingue en effet trois positions pour les unités phrastiques subordonnées : enchâssée au centre, à droite ou à gauche. Ces critères ne s'imposent pas d'eux même. On considère la position à droite dans la mesure où l'unité phrastique subordonnée apparaît en fin de phrase.

‘(99) Je mangerai le gâteau qui est sur la table.’

La position à gauche est celle tenue par une unité qui se place avant l'unité phrastique matrice :

‘(100) Si tu es d'accord, je mangerai le gâteau.’

On peut noter d'emblée que les relatives dans cette position seront d'un type particulier et peu fréquent (cf. infra).

La position au centre, est celle d'une unité phrastique qui interrompt l'unité phrastique matrice :

‘(101) La jeune fille qui est venue a mangé le gâteau.’

Dans notre codage, la position de l'unité phrastique subordonnée est toujours observée par rapport à l'unité phrastique matrice du niveau immédiatement supérieur. Ainsi, dans l'exemple (95) qui apparaît au début de notre exposé,

‘(95) Si tu écoutais plus souvent les disques que je te prête, tu reconnaîtrais l'air qui passe.’

la relative de niveau 2 que je te prête est dite à droite, bien qu'elle se trouve à gauche de la principale tu reconnaîtrais l'air.

Ce codage permet d'obtenir une première information sur les types de structures en usage dans les IRC, et de procéder à un rapprochement avec d'autres types de textes étudiés.

Notes
298.

Beaman (1984), Kroll (1977), O’Donnell (1974), Chafe, (1982), Lakoff (1979), Ochs (1979), Koch (1995).

299.

La question de la complexité n'est pas triviale. On associe souvent simplicité avec facilité et complexité avec difficulté de traitement. Pourtant, des tâches complexes peuvent être réalisées facilement après entraînement. Faut-il alors considérer que la complexité se définit par le nombre de modules de traitements impliqués et les relations qu'ils entretiennent ? La complexité est-elle du coté de l'objet ou du côté de son traitement ? Nous envisagerons ici cette question de façon traditionnelle, on se reportera à Gayraud (en préparation)pour une discussion approfondie.

300.

En effet, l'opposition se formule en termes de dépendance. Le caractère d'indépendance des coordonnées est, selon Givón (2001:327-328), illusoire qu'on le considère d'un point de vue fonctionnel ou syntaxique, la dépendance serait plutôt une question de degrés puisque "aucune clause dans un discours connecté, cohérent n'est fonctionnellement 100% indépendante de son contexte local ('linéaire') ou même global ('hiérarchique').", en anglais dans le texte : "no clause in connected coherent discourse is functionnaly 100% independant of its local ('linear)' or even global ('hierarchic') context."

301.

Roulet et al. (1987).

302.

Cité par Koch (1995).

303.

Une position similaire est adoptée dans Halliday (1985), Chafe (1982).

304.

En particulier, les critères permettant d'établir la hiérarchie de sont pas clairement problématisés. Il serait par exemple intéressant d'étudier si l'interprétation des relations sémantiques entre phrases est facilitée par la présence d'un élément morphologique ou non. D'autre part les critères précis d'identification des structures n'apparaissent pas dans le texte.

305.

Cet exemple contrevient au principe de "coordination of likes".