8.2.1. Relatives

La relativisation est une procédure d'enchâssement syntaxique reconnu dans les langues du monde. Selon Creissels (2000c:11;1) la relativisation est "une construction employée typiquement pour restreindre le référent d'un terme nominal d'une unité phrastique (la principale) en lui attribuant une propriété construite en prenant une variable comme terme d'une autre unité phrastique" 306 .

La structure de la relativisation en français standard est postnominale. La relative est enchâssée dans le constituant relativisant de la structure phrastique principale, ce dernier ayant pour tête lexicale un nom auquel succède la relative qui a les caractéristiques syntaxiques d'un modifieur et dont la fonction est de restreindre l'extension du nom.

Une propriété majeure de la relative est l'impossibilité de rétablir dans sa forme et sa position canonique le terme de l'unité phrastique indépendante correspondante. Elle constitue ainsi un trou syntaxique 307 comblé par le relativiseur.

‘(102) Je connais la personne qui _ parle’

L'élément relateur dans la relativisation, que les grammaires traditionnelles nomment pronom relatif, marque la frontière d'une clause enchâssée, il est le représentant du syntagme nominal relativisé et marque la fonction du terme relativisé dans la clause enchâssée, c'est ainsi qu'on lui accorde depuis Chomsky (1968) une double fonction. Les différentes fonctions syntaxiques de constituants nominaux auxquelles accèdent les relatives sont des inventaires variables selon les langues.

Pour le français, la liste des morphèmes relativiseurs se décompose en deux catégories 308 . D'une part qui, que, quoi, dont, où et d'autre part les dérivés du pronom relatif – lequel, laquelle, lesquels, lesquelles, auquel, auxquels, auxquelles, duquel,… – qui résultent de l'assemblage de l'article défini et de l'interrogatif quel. La seconde catégorie varie en genre et en nombre en fonction du syntagme nominal relativisé. La terminologie traditionnelle présente les pronoms relatifs (i. e. qui, que, quoi, dont, où) mais les dérivés de lequel sont dénommés adjectifs relatifs. Dans nos corpus cette deuxième catégorie n'est pas représentée, c'est pourquoi nous n'en discuterons pas plus avant.

Certains pronoms relatifs peuvent être introduits par une préposition, c'est le cas de qui, et quoi.

‘(103) La personne à qui je confie mon chat ne répond pas.’

dont s'emploie pour représenter syntagme nominal prépositionnel (la préposition est comprise dans sa forme). Notons qu'il est le seul "pronom relatif" qui ne puisse pas s'employer aussi comme "pronom interrogatif".

‘(104) Je connais la personne dont tu parles.’

Après ce premier tour d'horizon, des cas problématiques se présentent en l'absence de pivot de la relativisation. Ainsi, Blanche-Benveniste (1997:94-96) relève une différence de stabilité du /i/ de qui lorsqu'il est pronom relatif sans antécédent, pronom relatif précédé d'une préposition ou interrogatif et lorsqu'il est pronom relatif sujet, ce qui l'amène à considérer deux formes [ki] homographes mais non homophones le premier étant marqué du trait [+ humain] à l'inverse du second.

Dans certains cas, il se présente un substitut du pivot de la relativisation, soit en relation d'anaphore (105) avec un autre élément de l'unité phrastique matrice, soit indéfini (106).

‘(105) Cette confiture n'est pas celle que nous avons faite hier.’ ‘(106) Ceux qui l'ont goûtée l'ont aimé.’

Le second type (106) présente des structures parfois qualifiées de fausses relatives 309 ou de relatives périphrastiques, n'ayant pas de véritable antécédent.

On trouve encore, dans la littérature, des relatives sans antécédent dénommées substantives pour les différencier de celles qui se trouvent en position de modifieur du nom.

‘(107) Qui m'aime me suive.’ ‘(108) Sauve qui peut.’ ‘Extrait du Corpus P8’ ‘*PBA: Qui péri jeune ne pourri’

Les cas de pronoms résomptifs tels qu'ils sont identifiés par Chomsky (1987:89-91), sont ceux dans lesquels le terme relativisé apparaît comme dans la phrase indépendante correspondante en relation d'anaphore discursive avec l'antécédent.

‘(109) J'ai rencontré un mec que quand il te parle tu le comprends pas.’ ‘(110) Il faut que je lui trouve un disque dont je suis sûr qu'il l'a pas déjà.’

Les pronoms résomptifs se rencontrent dans la variété standard 310 dans des relatives de second degré, ou lorsque une unité phrastique subordonnée à la relative éloigne le relativiseur de la trace. Dans ces cas se trouve un décumul des fonctions, le relativiseur ne portant plus que celle de démarcation.

Sont également identifiées comme des cas de relativisation certaines structures participiales 311 . Ces cas ne sont pas reconnus par les grammaires traditionnelles

‘(111) Un chasseur sachant chasser doit savoir chasser sans son chien.’

Du point de vue du rôle joué par les relatives, la littérature recense principalement trois cas : relatives restrictives (déterminatives), explicatives (descriptives, appositives), narratives – les deux premiers étant les plus établis. Ce qui justifie de considérer les relatives restrictives comme prototypiques est le fait que les autres types ne se présentent pas dans toutes les langues.

La définition présentée au début de cette section se résume en deux points : elle revient à considérer comme relatives des structures marquées par un "pronom relatif" qui a pour fonction syntaxique de déterminer l'"antécédent" du "pronom relatif".

Si on examine les exemples suivants, on est forcé de reconnaître que la relative ne vient pas en détermination de l'antécédent :

‘Extrait du Corpus P2’ ‘*PAG: non mais j' y suis revenu en taxi qui m' a fait faire 2 fois le tour du boulevard circulaire parce que lui aussi savait pas aller a l'afnor’ ‘(112) Je suis passé sous le pot de fleurs qui m'est tombé dessus au moment où Marie m'appelait.’

L'exemple (112) permet trois lectures. La première établit que les événements représentés par les verbes successifs se déroulent dans l'ordre où ils apparaissent dans la phrase. La deuxième suppose que le pot de fleur sous lequel passe le locuteur est déterminé et référentiellement repérable par le fait qu'en un moment passé ce pot de fleur était tombé à un moment où Marie appelait le locuteur. La troisième lecture suppose que l'événement présenté par le premier verbe survient chronologiquement au même moment que l'événement présenté par le dernier verbe et que le pot de fleur est référentiellement repérable par l'allocutaire par le fait qu'il était tombé sur le locuteur en un moment antérieur à celui impliqué pour le premier et le dernier verbe.

Ces différentes lectures ne sont plus possibles dans le cas où l'événement dénoté par la "relative" n'est pas réversible.

‘(113) J'ai fais une tarte que j'ai mangée à midi.’ ‘(114) J'ai donné le rôti à Paul qui l'a mangé.’ ‘(115) Marie a fabriqué ce lustre pour Paul qui l'a cassé.’

De même certaines relatives présentent des lectures ambiguës entre détermination et explication :

‘(116) Le chat qui était sur le piano a renversé le pot de fleur.’ ‘(117) Le chat que j'ai trouvé ne m'appartient pas.’ ‘(118) Marie qui est très intelligente a réussi ses examens.’ ‘(119) J'ai confié les comptes de la société à Mina qui est très forte en comptabilité.’

On notera que le cas où la relative s'applique à un nom propre et plus sûrement à un nom propre de personne n'est pas ambigu. En effet, il est rare qu'on ait à restreindre l'extension d'un nom propre 312 par une détermination et si cette éventualité se présente, le nom propre présente un fonctionnement proche de celui d'un nom commun.

‘(120) J'ai donné ce papier à la Sophie qui est dans ton bureau.’ ‘(121) Tu parles de Paris ? –Non, le Paris qui est au Texas.’

Il convient donc de considérer que ces mécanismes d'intégration de structures phrastiques ne se distinguent pas de ceux relevés pour les relatives restrictives, et reconnaître avec Creissels (1995:316) la relativisation comme "tout mécanisme d'intégration de structures phrastiques qui a comme condition nécessaire l'identification de deux termes nominaux mais qui n'impose pas que les deux termes nominaux concernés occupent chacun une fonction précise dans les deux structures phrastiques donnant lieu au mécanisme d'intégration en question".

Notons que la première seulement des catégories de relatives jusqu'ici envisagées reçoit une caractérisation en terme de fonction syntaxique et que pour les deux types restant ce sont des considérations sémantico-discursives qui permettent de les distinguer.

Les relatives de nos corpus ont été codées en fonctions de ces différents critères, ainsi que des critères établis pour les degrés de subordination et la position de la subordination.

On notera la très faible quantité de relatives dans nos corpus : 288 structures seulement pouvant être analysées comme appartenant à cette catégorie.

L'inventaire du type de pronoms relatifs se trouve restreint dans nos corpus par rapport aux possibilités théoriques.

Tableau (8-7) – Inventaire des pronoms relatifs du corpus
type nombre
qui 182
que 90
quoi 1
dont 1
15

On remarque que près de 95% des emplois présentent qui ou que. Les trois dernières formes relatives sont très peu fréquentes dans nos corpus, conformément à la tendance que présentent les corpus d'oral.

Les types de relatives que nous avons codés sont au nombre de 10. Il s'agit : du cas prototypique, des relatives sans pivot de relativisation, des relatives sans pivot de la relativisation qui apparaissent dans des structures interrogatives directes, des relatives avec substitut de pivot de relativisation et des relatives intégrées dans des dispositifs syntaxiques. Les dispositifs 313 en question sont les structures pseudoclivées (122) et clivées (123) 314 ; les structures du type il y a SN qu… (124), et avoir SN qu… (125), les constructions sans verbe (126),

‘(122) Extrait du Corpus F8’ ‘*PDE: Ah bon ce que tu fais là avec nous c'est quoi alors?’ ‘(123) Extrait du Corpus F5’ ‘*PCZ: c'est PAC qui va qque part’ ‘(124) Extrait du Corpus P2’ ‘*PAY: y en a qui sont pas exclusif’ ‘(125) Extrait du Corpus P4’ ‘*(action): P03 tel un poulpe geant a ses bras et ses jambes qui repoussent ’

Le tableau suivant (8-8) présente les proportions pour chaque type rencontré.

Tableau (8-8) – Inventaire des types de relatives
Type Proportion (%)
prototypique 44,79
dans une structure clivée 19,79
avec substitut 14,58
il y a N qu… 9,03
sans antécédent 3,82
avoir X qu… 3,13
sans antécédent dans structures interrogatives 1,74
dans une construction sans verbe 1,74
dans une structure pseudo clivée 1,04
Total 100

Les structures prototypiques sont en plus grand nombre, alors qu'on pourrait s'attendre, comme on l'attendrait d'une conversation orale, que les dispositifs syntaxiques absorbent la majorité des emplois.

Quant à la nature de l'antécédent, elle dépend évidemment du type de relative envisagé. Nous avons distingué s'il s'agissait d'un nom commun ou d'un nom propre, d'un nom déictique, d'un substitut, d'une réduction discursive (extrait ci-dessous), etc.

‘Extrait du Corpus F7’ ‘*PBN: PBP pour la pub? fallu jlenleve mais on en remet un mieux scripté et tout cette semaine qui va les classé auto’
Tableau (8-9) – Inventaire des types d'antécédents
Type Proportion (%)
nom 44,79
nom propre 3,82
noms déictiques 19,44
substitut 19,44
sans support 3,82
réduction discursive 3,82
1,04

En ce qui concerne la position de l'antécédent, conformément à ce qu'on pouvait attendre, les cas où il est dissocié du relatif sont rares et représentent 6,25%.

La position de l'unité enchâssée par rapport à la phrase matrice est également bien plus occurrente à droite, seuls 14,26% des cas présentent un enchâssement au centre, c'est-à-dire interrompant l'unité phrastique matrice. Un seul cas de position à gauche étant répertorié (relative sans support).

La fonction syntaxique occupée par le syntagme auquel se rattache la relative dans la phrase matrice peut être sujet, objet, attribut, datif, oblique, un syntagme nominal génitival. Les positions d'objet, datif et oblique rassemblent 50,7% des occurrences de relatives, la position sujet n'en comptant que 5,2%. Les autres cas sont les dispositifs syntaxiques, ainsi que les structures sans verbe (15,97%)

La fonction de la trace peut se déduire des formes relatives. Elle est sujet dans 61,7% des cas, objet, ou oblique dans 33,44% des cas.

Quant à la fonction discursive de la relative, elle est le plus souvent déterminative 55,6%, les relatives explicatives sont les moins nombreuses (7,69%) enfin, les narratives sont en nombre assez important (18,18%). Les autres cas correspondent aux dispositifs syntaxiques auxquels les relatives sont intégrées.

Notes
306.

C'est nous qui soulignons.

307.

Sag & Wasow (1999:335-354).

308.

Godard (1988:75-84).

309.

Riegel et al. (1994).

310.

Gadet (1989:115) identifie plusieurs types de relatives résomptives (i. e. qui comportent un pronom résomptif l'homme que j'en parle, un groupe prépositionnel l'homme que je parle de lui, ou un possessif l'homme que je parle de sa femme, dans une relative de premier degré). Ces types ne se trouvent pas dans nos corpus.

311.

Foley & Van Valin (1985:304) ; Creissels (2000b).

312.

Certains auteurs excluent cette possibilité, cf. Lambrecht (1994:23).

313.

Koenig & Lambrecht (1999).

314.

Un questionnement sera présenté plus loin à ce sujet.