9.3.1.3. Morphèmes d'aspect : passé composé, plus-que-parfait, passé antérieur, temps surcomposés.

Le passé composé est reconnu recevoir des valeurs temporelles et non temporelles. Les emplois non temporels du passé composé relevés par Touratier (1996) sont en fait des emplois dans lesquels seule la valeur aspectuelle du tiroir serait décodée. Le procès serait alors présenté comme achevé sans être situé dans le temps.

‘(30) Quiconque a beaucoup vu peut avoir beaucoup retenu (Lafontaine, Fables, I, p.8) 411

Toutefois, ce qui est achevé est presque nécessairement antérieur à un moment de référence (pour dire que quelque chose est achevé, il faut qu'un intervalle de temps si petit soit-il, se soit écoulé, permettant le constat). Ainsi le passé composé correspond-il souvent à une antériorité.

Les emplois temporels relevés réfèrent à l'époque passé. On relève également dans la littérature des passés composés gnomiques, mais ces derniers s'appuient sur d'autres constituants à référence temporelle.

Dans nos corpus, les passés composés reçoivent essentiellement des valeurs temporelles. Ils présentent un procès borné antérieur au moment de parole (extrait du Corpus F2).

‘Extrait du Corpus F2’ ‘*PAL: PAG il a abuse de son pouvoir et s'est entete dans ses conneries’

La littérature relève, pour le plus-que-parfait, tiroir combinant les morphèmes portant les signifiés d'accompli et de non actuel, des valeurs temporelles et non temporelles.

Un procès achevé dans le passé peut être dénoté par un plus-que-parfait, ou encore, l'antériorité d'un procès par rapport à un procès passé. Dans le récit, le plus-que-parfait ne concernerait que les procès qui n'appartiennent pas à la trame événementielle.

L'irréel du passé se présente pour le plus-que-parfait dans le contexte des subordonnées conditionnelles attachées à un verbe au conditionnel passé, ou à l'imparfait.

‘(31) Si il avait mangé tout le gâteau, il aurait été malade.’ ‘(32) Si je n'avais rien dit, il venait.’

Le plus-que-parfait n'aurait qu'une valeur temporelle d'antériorité dans les énoncés de structure similaire mais présentant un verbe principal au conditionnel présent.

‘(33) Si il avait mangé tout le gâteau, il serait malade.’

Dans cette structure, il aurait une simple valeur d'accompli, lorsque le verbe principal engage l'avenir. Cette seule valeur est également reconnue lorsque le plus-que-parfait est construit avec comme si.

‘(34) Si demain vous aviez perdu toute votre fortune, que feriez-vous (Sten, 1952:225 412 )’

Dans nos corpus, excepté les valeurs contribuées par les conditionnelles, les plus-que-parfaits ne répondent évidemment pas aux valeurs identifiées pour le récit. Ils dénotent effectivement l'antériorité d'un procès par rapport à un procès passé dans certains énoncés (Extrait du Corpus P9).

‘Extrait du Corpus P9’ ‘*PAB: g failli lui gerbé dessus’ ‘%add: PAZ’ ‘*PAZ: lol PAB’ ‘%add: PAB’ ‘*PAB: rigol pas heureusement k'eel mavé pressé un jus d'orange :p’ ‘%add: PAZ’ ‘*PAB: g pu rincer’ ‘%add: PAZ’

Mais cette valeur se rapproche parfois de celle avancée pour l'imparfait de discours. L'événement au plus-que-parfait est posé comme ayant été vrai dans un passé antérieur à un événement souvent implicite après lequel l'événement au plus-que-parfait n'est plus vrai (Extrait du Corpus F1).

‘Extrait du Corpus F1’ ‘*PZZ: PAD donne un susucr a PCJ lol gentil garcon gentil ;)’ ‘%add: PCJ’ ‘*PCJ: j'av lu un suçon lololololololol’ ‘%add: PAD’

Le passé antérieur, lui, combine le morphème d'accompli avec le morphème de passé factuel. Il en résulte plusieurs valeurs possibles. Soit le morphème d'accompli n'est pas appliqué à la localisation temporelle, et le passé antérieur dénote un procès accompli dans le passé qui appartient à la trame événementielle dans le récit. Toutefois, il semble que le plus souvent, le morphème aspectuel soit appliqué à la localisation temporelle relative, c'est-à-dire qu'il permet de spécifier un procès comme s'étant produit antérieurement à un autre, mais appartenant à la trame événementielle.

‘(35) La cigale ayant chanté tout l'été se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue.’

Pour cet exemple, Touratier (1996:158) précise que "Lorsque la proposition au passé antérieur vient en second, le procès antérieur est simplement signalé comme étant une authentique donné factuelle spécifique, sans pour autant être intégré à la trame événementielle".

Dans nos corpus, l'utilisation du passé antérieur est très sporadique et correspond à un changement ludique de niveau de langue.

‘Extrait du Corpus F6’ ‘*PCW: PBF j'eûs aimé une réponse’ ‘%add: PBF’

Les temps surcomposés, selon l'analyse proposée par Touratier (1996) présentent deux marques d'accompli. Ainsi, l'une se spécifierait dans la dénotation de l'antérieur tandis que l'autre marquerait l'accompli, le tout dénotant finalement un procès achevé antérieur à un autre procès passé. En français standard, les emplois des temps surcomposés sont essentiellement relevés dans des subordonnées temporelles ou en combinaison avec des spécifications lexicales de brièveté.

‘(36) Dès qu'il a eu mangé, il s'est vautré devant la télé.’ ‘(37) Il a eu vite fait de virer sa femme.’

Pour des variétés régionales du français (notamment du sud de la France) les auteurs relèvent un usage moins limité, le premier morphème d'accompli apportant la valeur temporelle de passé et le second celle d'antériorité 413 , ce qui aurait pour conséquence de marquer un passé éloigné ou lointain.

‘(38) La marseillaise, je l'ai eu sue par cœur.’

Mais la spécification du degré d'éloignement n'est pas interprétable dans tous les cas, l'exemple de Foulet (1925:227) faisant dire à Touratier (1996:161) qu'alors "il n'est guère possible en effet de parler de recul dans le passé" mais simplement d'un "accompli dans le passé".

‘(38) J'ai eu fini de bonne heure aujourd'hui. (Foulet 1925:227)’

Nous n'avons relevé aucune occurrence de formes surcomposées dans nos corpus.

Notes
411.

Cité par Touratier (1996:146).

412.

Cité par Touratier (1996:157).

413.

Blanche-Benveniste (1977:144-145) cité par Touratier (1996:164).