9.3.1.5. Morphèmes de mode : futur simple et futur périphrastique, conditionnel, subjonctif, impératif.

Touratier (1996:176) propose d'attribuer le signifié de "projeté" au morphème de futur. Plusieurs tiroirs le présentent : le futur simple, le conditionnel, le futur antérieur et le conditionnel passé. Nous présenterons également ici les valeurs du futur dit prochain ou périphrastique se réalisant par un morphème à signifiant discontinu aller+prés. Vinf.

Le futur simple connaît des emplois temporels et non temporels. Il indique que le locuteur projette ou prévoit la réalisation d'un procès après le moment où il parle. Il s'agit là de la valeur intuitivement la plus courante, cependant, la référence par rapport à laquelle le procès dénoté par un verbe comportant le morphème de "projeté" est dit ultérieur n'est pas toujours le moment de parole. Touratier (1996:177) précise qu'il "peut faire suite à un présent employé dans un énoncé de vérité générale […] ou à un impératif de portée générale […] [correspondant alors à] une conséquence logique. Il peut faire suite aussi à un présent dit de narration […] ou même à un passé simple dans ce qu'on appelle le futur historique". Il connaît donc des emplois absolus ou relatifs.

Parmi les autres emplois on distingue des emplois qui se rapprochent de ceux du morphème de volonté, exprimant l'ordre, la prière. Mais on peut reconnaître avec Touratier (1996:179) que ce n'est pas le morphème de projeté qui contribue ces valeurs, mais bien le contexte plus ou moins large de l'énoncé.

Le futur simple peut être utilisé pour exprimer une vérité générale, il est alors dit pantemporel ou gnomique.

‘(39) Qui vivra verra’

Certains futurs sont employés pour dénoter des procès actuels, voire passés.

‘(40) C'était quoi ce bruit?’ ‘ Ce sera le chat qui a encore renversé la corbeille’

Ces emplois sont dénommés futurs de conjecture.

On reconnaît encore des futurs d'atténuation et de protestation

‘(41) Je ne vous cacherai pas que je me suis un peu ennuyée à cette soirée’ ‘(42) Quoi, je souffrirai, moi, qu'un cagot de critique’ ‘ Vienne usurper céans un pouvoir tyranique (Molière, Le Tartuffe, I, 1.) 414

Leur particularité est que tous les deux concernent des procès actuels.

Enfin, le futur simple est dit d'éventualité lorsqu'un locuteur présente une objection possible mais réfutable.

‘(43) C'est là, me direz-vous, une erreur, mais on peut envisager les choses autrement.’

Dans nos corpus, les emplois du futur dit simple sont toujours temporels et projettent ou prévoient la réalisation d'un procès après le moment de parole.

‘Extrait du Corpus F5’ ‘*PAB: PCZ je ne sais pas si il y a une réelle efficacité...... mais chose sure..... c'est que ca rendra ton rhume plus joyeux :P’ ‘%add: PCZ’

Le futur périphrastique est dit prendre seulement des valeurs proprement temporelles. Il concerne fréquemment un procès projeté dans un avenir proche, mais il ne s'agit pas là d'une contrainte stricte.

‘(44) Pierre,il va prendre sa retraite dans trois ans.’

De plus, Touratier (1996:181-182) remarque que le futur périphrastique peut s'appliquer à des procès qui ont une étendue temporelle importante.

‘(45) Ça va durer dix-sept ans comme ça. (Labiche, Le cachemire XBT, sc. 7.) 415 .’

Il propose alors, reprenant la terminologie de Guillaume, de qualifier le morphème aller…Inf de futur efférent. Ceci englobe les emplois où le morphème se combine à celui de l'imparfait et forme une postériorité efférente.

‘(46) Il allait faire ses devoirs quand Marie est arrivée.’

Ces énoncés véhiculent en général une présupposition sur l'événement dénoté par le verbe modifié par aller+impft…Vinf. Cet événement en effet est présupposé ne pas s'être déroulé comme il était attendu.

Dans nos corpus, les emplois du futur périphrastique concernent le plus fréquemment des événements dont la réalisation dans le futur est plus que probable et dépendent souvent de la volonté du locuteur (acte de langage indirect de la famille des ordres).

‘Extrait du Corpus F5’ ‘*PBP: haaaaaaaaaa MAIS JE VEUX PAS TRAVERSER LA RUE MOI!’ ‘%add: PDH’ ‘(2)’ ‘*PDH: sisi tu vas traverse la rue’ ‘%add: PBP’

Pour ce qui concerne les formes aller+impft…Vinf, on peut constater, dans nos corpus, qu'elles ne présentent pas toujours la valeur mentionnée plus haut. Ainsi, dans le discours indirect, la complétive objet (Extrait du Corpus F8) qui intègre un aller+impft…Vinf ne peut être analysée comme portant la présupposition.

‘Extrait du Corpus F8’ ‘*PDT: bon... nous disions donc que PBO allait faire la vaisselle ;)’

Des contraintes de concordance imposent en effet l'utilisation de ce tiroir, et dans ce cas la présupposition ne se réalise pas sur l'événement mais sur le dire.

En ce qui concerne le conditionnel, certaines grammaires récentes en accord avec la proposition de Guillaume, le considèrent comme un temps plutôt que comme un mode. Il est d'une part constaté que l'emploi du conditionnel n'a pas toujours valeur modale et d'autre part, que d'autres temps peuvent prendre des valeurs modales, sans qu'on parle de mode à leur sujet (ex: imparfait pour la supposition, l'hypothèse). Le conditionnel pourrait donc être envisagé comme temps ayant la possibilité d'exprimer des valeurs modales. Cette considération est appuyée par le fait que les diachroniciens du français attribuent la désinence du conditionnel à la forme de avoir à l'imparfait, tandis que la terminaison du futur provient du verbe avoir au présent (un nouvel auxiliaire apparaît : avoir, qui est à l'origine d'un nouveau futur et du conditionnel ; "cantare habet > chantera" 416 ). La position de Touratier, est de le compter parmi les morphèmes de mode, puisqu'il combine le morphème de "projeté" (modal) et celui de non actuel. C'est donc en se basant sur la morphologie que Touratier attribue le statut de morphème de mode.

On compte une valeur temporelle pour ce tiroir. Le conditionnel peut en effet prendre une valeur de futur dans le passé, les deux morphèmes actualisant une valeur temporelle.

‘(47) À ce moment là j'ai pensé qu'il partirait le lendemain.’

Les autres valeurs sont modales, et présentent l'hypothèse. Touratier (1996:183) l'explique par le fait que le "projeté" "indique simplement qu'une hypothèse est envisagée" et le "non actuel" "pris lui aussi dans une acception non temporelle, précise que cette hypothèse est étrangère à la réalité objective".

Des effets de sens tels que l'indignation, l'atténuation ou la politesse lui sont également reconnus.

Dans nos corpus, le conditionnel présente seulement les deux dernières valeurs de façon fréquente.

‘Extrait du Corpus F7’ ‘*PFN: qqun pourrait traduire siouplait? ce seraitbien urbain’ ‘%add: ALL’

Les valeurs combinées de non actuel et de projeté, dans ces cas, permettent en effet le glissement fonctionnel. Elles fonctionnent comme adoucisseur de FTAs.

Enfin les deux derniers tiroirs dont nous allons recenser les valeurs sont le futur antérieur et le conditionnel passé, qui sont les formes composées du futur simple et du conditionnel et leur ajoutent donc le morphème d'accompli.

Le futur antérieur peut marquer l'antériorité d'un procès par rapport à un autre procès projeté.

‘(48) Je reviendrai quand tu auras appris ta leçon.’

Cependant il peut marquer la probabilité s'il est en rapport avec un procès passé.

‘(49) C'était quoi ce bruit ?’ ‘ C'est le chat qui aura renversé la corbeille.’

On lui relève encore des effets de sens de protestation ou d'atténuation.

‘(50) Tu auras tout manqué par ta bêtise.’ ‘(51) Tu auras appris que rien ne sert de s'énerver.’

Dans nos corpus, le futur antérieur se fait rare et sert seulement l'antériorité d'un procès par rapport à un autre procès projeté.

‘Extrait du Corpus F1’ ‘*PAY: cool PAZ je te dirai ou on sera alle :)’ ‘%add: PAZ’

Quant au conditionnel passé, il peut signifier l'antériorité d'un procès par rapport à un autre présenté au conditionnel et ayant pour valeur le futur dans le passé. Il peut encore formuler une hypothèse sur le passé. Cet emploi est fréquent dans la production journalistique.

‘(52) Le premier ministre aurait reçu la visite du maire de paris ce matin.’

Cette hypothèse peut connaître des degrés de probabilité.

Si une subordonnée conditionnelle ou un syntagme prépositionnel exprime une condition, la valeur du conditionnel passé est alors l'irréel du passé.

‘(53) Si j'avais eu un manteau, je l'aurais emporté.’

Les effets de sens du conditionnel passé sont également la protestation ou l'atténuation.

Il faut constater une ambiguïté quant au conditionnel "passé". Soit il présente l'attitude épistémique comme irréelle (54), soit il manifeste l'hypothèse que fait le locuteur (55).

‘(54) (Il paraît que) il aurait su que Pierre partait.’ ‘(55) (Si j'avais téléphoné) il aurait su que Pierre partait.’

Quant à la modalité rapportée et le conditionnel, on remarque, dans ces structures complétives, que l'attitude épistémique rapportée (56) (57) est mise en doute, ou soumise au statut d'hypothèse lorsque le verbe épistémique est au "conditionnel", tandis que c'est l'objet de l'attitude épistémique rapportée (58) qui est mise en doute, ou soumise au statut d'hypothèse par le locuteur lorsque le verbe de la complétive porte la marque en -rai.

‘(56) Il constaterait que Pierre est parti.’ ‘(57) Il aurait constaté que Pierre est parti.’ ‘(58) Il constate que Pierre serait parti.’

Dans nos corpus, le conditionnel passé présente la valeur d'irréel du passé (extrait du Corpus F7) et l'hypothèse sur le passé se trouve dans des interrogatives seulement (extrait du Corpus P9).

‘Extrait du Corpus F7’ ‘*PAK: tu as raison PIW.... le vrai m'aurait déjà insulté depuis longtemps lol’ ‘%add: PIW’ ‘Extrait du Corpus P9’ ‘*PBG: je drague?? ah bon??? on m'aurait menti alors???’ ‘%add: PAA, PAZ,’

Au sujet du subjonctif, on relève dans la littérature deux attitudes selon qu'il est envisagé de façon unitaire ou non. Pour Guillaume (1929), le subjonctif se caractérise par une image moins élaborée que celle de l'indicatif, ne connaissant que la distinction accompli/non-accompli. Si on se rapporte à l'étymologie du terme subjonctif on est tenté d'y voir le mode de la subordination, il peut toutefois être employé dans des unités phrastiques simples ou matrices. Le subjonctif a alors valeur d'impératif ou d'optatif. 417

‘(59) Que personne ne sorte !’ ‘(60) Que personne ne sorte avant qu'il entre !’

Il faut aussi mentionner quelques structures archaïsantes telles que :

‘(61) "Je ne sache pas que ce travail ait paru." 418

Les exemples en proposition subordonnée foisonnent également

‘(62) Je ne crois pas qu'il vienne.’ ‘(63) Il doute que tu sois tout à fait guérie.’ ‘(64) Je ne doute pas que tu sois venue.’ ‘(65) Je suis venue vous dire au revoir avant que vous ne partiez.’

En proposition subordonnées, les valeurs relevées pour le subjonctif, sont la possibilité, ou le non-engagement du locuteur sur la vérité de ce qu'il dit. Toutefois, des cas présentent le subjonctif dans des contextes où le locuteur asserte une certitude :

‘(66) Il n'est pas possible que tu t'en ailles.’ ‘(67) Il n'est pas possible que les philosophes soient des caméléons.’ ‘(68) Il est exclu qu'il parte.’ ‘(69) Il est impossible qu'il prenne le train de 4 heures.’

Dans le champ de la négation, de l'interrogation, de l'hypothèse, l'indicatif et le subjonctif sont en concurrence.

Touratier (1996:167) propose de considérer que pour le subjonctif on doit reconnaître différemment les cas où il y a un choix de la part du locuteur (commutation possible avec l'indicatif) de ceux où il est obligatoire d'une part, et d'autre part, qu'il existe pour le premier ensemble deux morphèmes homonymes : morphème de volonté et morphème de possibilité.

Le morphème de volonté se trouve dans les unités phrastiques simples, matrices ou dans des subordonnées. Une valeur de supposition peut être dérivée de cette première valeur.

‘(70) Qu'il me fasse attendre encore un quart d'heure et je m'en vais. (Musset) 419

Le morphème de possibilité se rencontre essentiellement en unité phrastique enchâssée. Ainsi dans une relative, le subjonctif permet de caractériser différemment le nom auquel elle est rattachée. En (71), l'appartement est asserté exister tandis qu'en (72) il est supposé qu'il existe.

‘(71) Je cherche un appartement qui a un balcon.’ ‘(72) Je cherche un appartement qui ait un balcon.’

Cette valeur de possibilité est également recensée dans les consécutives au subjonctif.

Quand le subjonctif ne commute pas, on ne peut le reconnaître comme un morphème de mode, il est alors un simple indicateur d'enchâssement faisant partie du signifiant discontinu que… subj., puisque son apparition est limité à un inventaire défini de subordonnées. Toutes les complétives ne requièrent bien sûr pas le subjonctif, ce sont les verbes des unités phrastiques matrices qui commandent ce phénomène. Ainsi, les verbes de volonté (vouloir, souhaiter, désirer, permettre, défendre, ordonner, interdire, empêcher, …), verbes de sentiments (regretter, s'étonner, se réjouir, être content…), verbes de crainte ou de doute (craindre, redouter, douter), verbes d'opinion en contextes négatifs (croire, penser,…) et des impersonnels exprimant la nécessité (il faut que…), la possibilité (il est possible que…), sont reconnus appeler le subjonctif.

Certaines autres unités phrastiques subordonnées ne permettent pas la commutation du subjonctif avec l'indicatif. Il s'agit des adverbiales exprimant le but, des concessives (introduites par bien que, quoique, si…que, quelque…que, …), les temporelles introduites par avant que et jusqu'à ce que, les oppositives en sans que et les conditionnelles en pourvu que et à condition que.

Il reste à noter au sujet du subjonctif, que si les grammaires présentent imparfait et plus-que-parfait du subjonctif, ne sont en usage courant dans la langue moderne que le présent et le passé (forme composée). La valeur ajoutée par le morphème d'accompli au subjonctif passé peut être celle d'antériorité, par rapport à un procès actuel, passé ou futur, ou celle d'accompli.

‘(73) J'ai peur qu'il ait perdu les clefs.’ ‘(74) J'avais peur qu'il ait perdu les clefs.’ ‘(75) J'aurai peur qu'il ait perdu les clefs.’ ‘(76) Il faut qu'il ait conduit avant demain.’

Dans nos corpus, le subjonctif est essentiellement utilisé dans des constructions où il ne commute pas (Extrait du Corpus F1).

‘Extrait du Corpus F1’ ‘*PCJ: lol bah oui... moi j'ai envie que tu sois toute belle, même sur IRC. y'a pas de raison!’

Le subjonctif passé est rare, ainsi que le subjonctif relevant du morphème de volonté.

Au terme de cet inventaire pour les formes verbales, on se rendra compte qu'il est important de reconnaître les interactions qui existent entre les divers éléments d'une unité phrastique pour constituer les valeurs temporelles. Nous consignons ci-après les phénomènes relevés dans la littérature et apportons quelques précisions quant aux interactions qu'on peut relever dans le corpus.

Notes
414.

Exemple relevé par Touratier (1996:181)

415.

Exemple relevé par Touratier (1996:182).

416.

Picoche et Marchello-Nizia (1998:250).

417.

Ces deux notions sont assez proches. Ce qui différencie optatif et impératif, c'est que l'acte dépend ou non de la volonté humaine.

418.

Exemple de F.Brunot (1905). On trouvera d'autres exemples dans Grevisse et Goosse (1993:1266§865).

419.

exemple relevé par Touratier (1996:168).