Chapitre 2
Les « bonnes femmes » de Paris et leur milieu

Les sources parisiennes attestent l’existence d’au moins onze communautés de « bonnes femmes » dès le milieu du XIVe siècle. En ce qui concerne la plupart de ces communautés, les renseignements dont nous disposons sont très maigres : seules des mentions brèves subsistent, éparpillées dans les comptes, registres fonciers et testaments provenant des archives d’autres institutions. Cependant, les dossiers concernant trois communautés sont plus complets : ceux des groupes fondés entre la fin du XIIIe et le milieu du XIVe siècle par Constance de Saint Jacques, Jean Roussel et Etienne Haudry.

La conservation de ces dossiers semble être due à la tutelle exercée sur ces communautés par d’autres institutions et, dans les cas des femmes d’Haudry et de Constance de Saint Jacques, à leur absorption par les ordres religieux à l’époque moderne. Le plus ancien groupe de « bonnes femmes » fut en effet réuni en 1283 par Dame Constance, veuve d’un bourgeois de Paris, en collaboration avec les cheveciers-curés de l’église de Saint Merry. 152 En 1621, ces « bonnes femmes » acceptèrent les constitutions des Ursulines de la rue Saint Jacques, devenant ainsi de vraies religieuses. 153 Dans le second cas, les héritiers de Jean Roussel firent donation au Temple, devenu un prieuré des Hospitaliers de Saint Jean, des bâtiments construits dès 1334 par leur aïeul pour loger ses « bonnes femmes. » 154 Cette action ne semble pas avoir aidé la communauté à survivre, mais comme les documents en question sont conservés dans les archives du Temple, il semble que nous devions notre connaissance de ces « bonnes femmes » aux archivistes des Hospitaliers. Quant aux « bonnes femmes » d’Etienne Haudry, restées sous l’autorité de la famille fondatrice depuis leur fondation, vers 1305, jusqu’aux années 1370, elles passèrent ensuite sous le gouvernement de l’échevinage. 155 Quelques années plus tard, en 1382, l’aumônier royal fut chargé d’administrer la communauté. 156 Enfin, sous l’initiative du Cardinal de la Rochefoucauld, Grand Aumônier de France, les « bonnes femmes » d’Etienne Haudry acceptèrent en 1621 la règle de Saint Augustin et l’habit des Filles de l’Assomption. 157

Ainsi, grâce à l’intervention d’autorités extérieures, ces trois communautés sont mieux connues que les autres. Le dossier concernant les « bonnes femmes » de Constance de Saint Jacques comprend en effet un « vidimus » de l’acte original de fondation, 158 des statuts 159 et un acte de vente d’une maison qui permet de vérifier certains aspects de l’organisation de la communauté. 160 Quant aux « bonnes femmes de Jean Roussel », il existe l’acte de donation que nous avons évoqué, auquel s’ajoute l’acte de fondation 161 et une série de mentions dans les registres fonciers du prieuré du Temple. 162 Enfin, un fonds important concernant les « bonnes femmes » d’Etienne Haudry est conservé dans les archives des Filles de l’Assomption. Ce fonds recèle des statuts, ainsi que des titres relatifs à la chapelle de la communauté et des centaines d’actes fonciers. 163 Grâce à la richesse de ce dossier, nous sommes parvenu à reconstruire en détail le réseau social de cette communauté. Comme ce sujet sera traité dans le chapitre suivant, nous nous en tenons pour l’instant à cette description brève des sources relatives à la communauté.

Pour les autres communautés, les traces documentaires sont peu nombreuses, mais elles nous permettent néanmoins de dresser un bilan du profil social des fondateurs et de l’implantation topographique de leurs fondations. Ces indices nous permettront d’avancer des hypothèses concernant le milieu social des « bonnes femmes. Ensuite, nous essayerons d'appréhender le statut religieux des "bonnes femmes" et les formes d'organisation auxquelles leurs communautés étaient soumises. Ayant ainsi dessiné à grands traits le milieu des "bonnes femmes" et le caractère de la vie religieuse qu'elles menaient, nous pourrons mieux asseoir les analyses plus approfondies que nous développerons dans les chapitres suivants.

Notes
152.

AN L 1078 (vidimus du Châtelet, daté du 29 septembre 1463, d’un acte original de l’officialité de Paris, daté de 1283).

153.

Léon LE GRAND, « Les béguines de Paris », dans Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, t. 20, 1893, p. 340.

154.

AN S 5074A2 (ancienne cote S 5073, no 41, daté de 1415).

155.

AN L 1043, no 32.

156.

Ibid.

157.

LE GRAND, op. cit., p. 341.

158.

Voir supra, p. 46, n1.

159.

Ces statuts ont été publiés par LE GRAND, op. cit., p. 354-57. Les statuts étaient joints à un acte notarié daté de 1548, concernant la réception de deux « bonnes femmes. » Cet acte, antérieurement conservé à la Bibliothèque Carnavalet sous la cote ms. 30802, n’existe plus : les archivistes de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris (BHVP) ont confirmé qu’il a été perdu, avec d’autres manuscrits, lors du transfert des fonds du Musée Carnavalet à la BHVP.

Malgré la date tardive à laquelle les statuts furent copiés, l’éditeur estime que le document peut être utilisé pour étudier la vie de la communauté au Moyen-Age, car il est précisé dans le préambule que les ordonnances avaient été observées « de tout temps et ancienneté. »

160.

AN S 5068B (acte du Châtelet, daté du jeudi 6 mai 1380).

161.

AN S 5074A2 (ancienne cote AN S 5073, no 40) ; cette pièce est un vidimus du Châtelet daté du 1 juillet 1407, reprenant un acte original du prieur de l’hôpital de Saint Jean de Jérusalem, jadis le Temple, daté de 1334.

162.

AN MM 131-153 (1372-1483).

163.

Le fonds des « bonnes femmes » d’Etienne Haudry, est conservé aux Archives Nationales. Les statuts, ainsi que les titres concernant la chapelle, sont conservés dans le carton coté L 1043 et les actes fonciers dans la série S, sous les cotes 4623-4637. Les statuts ont également été publiés ; voir LE GRAND, op. cit., p. 349-54.