I. Les fondateurs

Notre connaissance des fondateurs s’appuie tout d’abord sur deux listes de groupes de « bonnes femmes », dont la première figure dans le compte du sous-aumônier royal, daté de 1342, 164 et la deuxième dans le testament, enregistré au Parlement de Paris le 27 février 1407, de Jean Crété, maître des comptes royaux. 165 Nous présentons ces deux listes ci-dessous :

Le compte du sous-aumônier royal de 1342
Lez bonnes fames de lospital Andry marcel VIII £ parisis
Lez bonnes fames de la porte du Temple XXXII £ parisis
Lez bonnes fames de la rue auz fauconniers VI £ parisis
Lez bonnes fames de lospital Jehan gencien XL sous parisis
Lez bonnes fames de lospital Denys de saint just IIII £ parisis
Lez bonnes fames de lospital Gieffroy de flory IIII £ parisis
Lez bonnes fames de lospital Estienne haudry XVI £ parisis
Lez povres genz de la meson Jehan roussel XII £ X sous parisis
Lez bonnes fames de lospital Mestre Pierre harenc IIII £ parisis
Lez bonnes fames du pont perrin XXX sous parisis
Les bonnes fames Mestre Jehan mignon VI £ parisis
Le testament de Jean Crété, maître des comptes, le 27 février 1407
Les bonnes femmes de Sainte Avoye  
Les 13 femmes de la rue de Paradis 2 sous parisis à chacune
Les 32 femmes de la chapelle Etienne Haudry 4 sous parisis à chacune
Les 48 femmes de la rue des Poulies 2 sous parisis à chacune
Les 10 bonnes femmes de la rue des Parcheminiers 2 sous parisis à chacune
Les 7 bonnes femmes de la Tumbière 2 sous parisis à chacune
Les 16 bonnes femmes de Quiquetonne, de l’Egipcienne 2 sous parisis à chacune
Les 6 bonnes femmes des béguines 2 sous parisis à chacune
Les 3 bonnes femmes de la rue du Coq 2 sous parisis à chacune

En étudiant ces deux listes, nous relevons d’abord deux noms familiers : ceux d’Etienne Haudry, qui figure dans les deux documents, et de Jean Roussel qui est mentionné dans le premier. Ce sont en effet les fondateurs des communautés en question, ce qui permet de déduire que les autres personnes évoquées sont également des fondateurs.

Jean Roussel semble avoir été un membre de la moyenne bourgeoisie parisienne d’artisans et de commerçants. Sa relative aisance transparaît à travers la lecture des deux actes qui nous renseignent sur sa fondation. En 1334, Roussel et sa femme déclarent qu’ils ont fait construire 24 maisonnettes pour loger des pauvres, logement qu’ils comptent entretenir à leurs frais. 166 L’importance de ce projet de construction laisse déduire déjà que le couple jouissait d’une situation assez solide. La donation des maisonnettes aux hospitaliers du Temple, 81 ans après leur construction, 167 confirme que Roussel et ses héritiers respectèrent leurs obligations financières envers les résidents. De plus, les scribes qualifièrent Roussel de « bourgeois de Paris », ce qui atteste un niveau social plutôt élevé. Il est vrai que tout artisan ayant rempli les conditions nécessaires à l’exercice de son métier dans la ville possédait le statut juridique de bourgeois. Cependant, au XIVe siècle, seuls les Parisiens les plus prospères se virent attribuer le titre de « bourgeois de Paris. » 168

La communauté de Jean Roussel est également mentionnée dans la deuxième liste : ses « bonnes femmes » correspondent aux « 48 femmes de la rue des Poulies », qui bénéficient de la générosité de Jean Crété. Les actes de fondation et de donation concernant cette communauté prouvent cette correspondance. Selon les termes du premier, Roussel et sa femme donnent 8 £ parisis de rente pour subventionner les 24 « étages de maisons ou hébergements » qu'ils ont fait construire sur un terrain vide situé dans la rue des Poulies, hors la porte Barbette. 169 Dans l'acte de donation, en vertu duquel le prieuré du Temple se charge de la surveillance de la communauté, il est précisé que les habitants sont logés à raison de deux par hébergement, ce qui correspond au nombre indiqué dans le testament de Crété. 170

Pourtant, les deux listes se contredisent à propos du caractère des résidents de la communauté : pour Jean Crété, ce sont des femmes, tandis que l'aumônier royal les qualifie simplement de « povres genz. » La description fournie par les fondateurs est encore différente : d'après la donation de 8 £ de rente invoquée ci-dessus, les logements devaient accueillir des « bones genz. » Cette contradiction ne s'explique pas par un changement du caractère des habitants : selon les termes de la donation des logements au prieuré du Temple, ce sont encore des « povres genz. » Or, cet acte, daté de 1415, est postérieur au testament de Crété, selon lequel les résidents des hébergements sont des femmes. Deux autres mentions de la communauté semblent corroborer le témoignage de Crété. D'après l'un des registres fonciers du Temple, les hospitaliers perçurent un droit grâce à la vente, le 26 mai 1370, d'une rente sur l'une des maisons de leur censive. Cette maison était située « hors la porte Barbette, au lieu des Poulies, à côté des bonnes femmes que fonda feu Jehan Roussel. » 171 Un autre registre, réalisé en 1443, recèle une notice selon laquelle le Temple perçut un cens de 24 sous parisis des « bonnes femmes des maisons d'aumosne » dans la rue Barbette. L'agent du prieuré nota en plus qu'il s'agissait de 24 petites maisonnettes ou logis, description qui recoupe les autres références à la communauté de Roussel. 172

Nous estimons que les témoignages fournis par Crété et les Hospitaliers attestent probablement le vrai caractère des « pauvres » qui logeaient dans les maisonnettes bâties par Jean Roussel. D'abord, il nous semble que les registres du Temple fournissent des indices plus sûrs parce qu'ils proviennent d'une observation directe ; l'agent des hospitaliers devait se rendre sur place pour percevoir les droits réclamés par ses maîtres. Il aurait donc vu exactement qui habitait dans ces maisonnettes. Le caractère oculaire de son témoignage est confirmé par un commentaire figurant dans le registre de 1443, d'après lequel les maisonnettes étaient presque inhabitées. 173

Pourquoi, donc, les autres documents évoqués ne précisent-ils pas que les habitants des maisonnettes aient été en réalité des femmes ? Le vœu exprimé par Jean Roussel et sa femme, de loger des « bones genz, » laisse penser que le sexe des bénéficiaires de leur fondation leur était en principe indifférent. Ce qui leur importait, en revanche, était que les pauvres qui bénéficiaient de ces logements fussent « bons, » exigence qui rappelle les statuts des confréries évoquées dans le chapitre précédent, qui stipulaient que les membres devaient être de « bonnes mœurs », de « bonne conversation » et de « bonne vie. » Il semble donc que les fondateurs de la communauté aient voulu imposer des conditions morales, que les habitants de leurs maisonnettes devaient remplir. Cette volonté est peut-être à mettre en rapport avec l'enseignement de Thomas d'Aquin, évoqué également dans le chapitre précédent. Le théologien avait en effet déclaré que l'efficacité des suffrages offerts par les pauvres en faveur de leurs bienfaiteurs dépendait du mérite des pauvres. En précisant que les pauvres qui allaient vivre dans leurs logements devaient être des « bonnes gens, » Roussel et sa femme désiraient sans doute s'assurer que la récompense qu'ils devaient recevoir sous forme de suffrages serait valable.

Afin de comprendre pourquoi ces maisons, bâties pour loger des « bonnes gens », étaient toujours affectées à des femmes, peut-être faut-il tenir compte des critères qui permettaient aux Parisiens de distinguer entre les pauvres qui méritaient l’aumône et ceux qui n’en étaient pas dignes. Comme en témoigne une étude récente des legs caritatifs des Parisiens, lorsque ceux-ci affectaient leurs aumônes à des catégories précises de pauvres, des préférences très claires se manifestaient. 174 Il se trouve que les pauvres hommes qui sont désignés dans ces testaments étaient, soit des garçons vivant dans des communautés d’écoliers, soit des « pauvres ménagers. » 175 Pourquoi des hommes adultes seuls sans logement ne bénéficiaient-ils pas de ces legs ? Leur honnêteté était probablement suspecte, en raison des rumeurs qui couraient à cette époque concernant les faux mendiants. 176 De plus, étant donné la valeur morale qui était accordée au travail et au mariage, tout homme sans famille qui ressemblait à un mendiant aurait suscité la méfiance. Pour les mêmes raisons, il est probable que les hommes étaient exclus des maisonnettes parce que les seuls qui fussent susceptibles de remplir les conditions morales établies par les fondateurs étaient des écoliers ou des ménagers. Or, ces « pauvres » disposaient déjà de logements.

En revanche, les femmes seules, surtout si elles étaient veuves, n’auraient pas été regardées d’un si mauvais œil. Comme la mort les avait privées de leurs époux, on considérait que les veuves étaient sans protection, situation de faiblesse qui devaient susciter la miséricorde des puissants. Cette conception de la pauvreté comme l’humilité ou l’impuissance menait les hommes de l’Eglise depuis l’époque mérovingienne à inciter les rois à protéger les veuves et les autres personnes jugées faibles. Au fil des siècles, les seigneurs laïcs et les bourgeois, qui devinrent à leur tour des « puissants », relayèrent les rois. 177

En raison de cette tradition de bienveillance envers les veuves et des soupçons qu’éveillaient les hommes sans abri, il semble que les seuls « pauvres » estimés assez bons pour accéder aux maisonnettes de Jean Roussel étaient des « bonnes femmes. » Cette tendance à accorder la préférence aux femmes dans la distribution des aumônes destinées en principe à une catégorie plus large est aussi attestée à Florence au XIVe siècle : les aumônes de la société Or San Michele devaient être distribués aux « pauvres honteux », groupe dont les hommes n’étaient pas exclus, mais les indices sur les bénéficiaires réels de ces aumônes démontrent qu’ils étaient majoritairement des femmes. 178

Ayant élucidé ce mystère concernant les habitants de la communauté de Roussel, nous reprenons maintenant notre étude des fondateurs. Les deux groupes de « bonnes femmes » de la porte du Temple (voir le compte) et celles de Sainte Avoye (voir le testament) correspondent à la communauté fondée par Constance de Saint Jacques et le chevecier-curé de Saint Merry. Cela est confirmé d’abord par le témoignage d’une veuve parisienne testant en 1313, qui exige que ses exécuteurs distribuent 5 sous à chacune des « 30 pauvres bonnes femmes habitant dans la maison fondée par Dame Constance de St-Jacques, vers la porte du Temple. »179 Le nom de Sainte Avoye, que la testatrice donne à la maison de Dame Constance, dérive de la sainte patronne de la chapelle des « bonnes femmes », construite dès 1308. L’existence de cette chapelle, la date de sa construction et sa consécration au nom de Sainte Avoye étaient attestées par une inscription gravée dans le mur de l’édifice. 180

Comme Jean Roussel, Dame Constance appartenait probablement au milieu des commerçants et des artisans, comme en témoigne la variabilité de son surnom. Dans la plupart des documents qui évoquent sa fondation, elle s'appelle en effet « Constance de Saint Jacques. » 181 Cependant, grâce au legs fait par Jeanne Haudry, femme d'Etienne Haudry, au profit des « bonnes femmes » de Constance, nous apprenons que celle-ci s'appelait aussi « Constance la Boursière. » En revanche, les membres des échelons supérieurs de la bourgeoisie parisienne au XIVe siècle avaient de véritables noms de famille, qui n'avaient pas changé depuis plusieurs générations. 182 La variabilité de ses surnoms, ainsi que l'activité professionnelle d'où provient le sobriquet « la boursière », laissent penser donc que Dame Constance était la veuve d'un artisan moyen.

Un troisième fondateur, Denis de Saint-Just, était également un commerçant qui jouissait d'une certaine aisance. Les registres de la taille perçue entre 1292 et 1300 attestent qu'il habitait dans la rue de la Bretonnerie, où il exerçait le métier de marchand de laine. 183 Son activité s'assimile donc à celle des drapiers, qui figuraient parmi les contribuables les plus imposés. 184 Or, Denis paya 36 ou 42 sous de 1297 à 1300, chiffres qui le situent dans les fourchettes supérieures des Parisiens qui étaient soumis à la taille, bien qu'il ne fût pas l'un des plus fortunés. 185 Il présente donc un profil semblable à celui de Constance de Saint Jacques et de Jean Roussel.

A ces trois fondateurs issus des classes moyennes, s'ajoutent d'autres qui appartenaient au patriciat parisien, la bourgeoisie échevinale. Marchands et fournisseurs aux maisons royales, nobles et princières, ces bourgeois représentaient une vingtaine de familles, unies par des alliances conjugales et des rapports professionnels, qui détinrent le monopole du pouvoir municipal au XIVe siècle. Parmi ces bourgeois qui « dominaient la ville », pour citer l'auteur d'une thèse soutenue récemment sur ce groupe, figurait Etienne Haudry, dont les « bonnes femmes » sont évoquées dans les deux documents cités ci-dessus. 186 Echevin et fournisseur de draps au roi Philippe le Bel, il jouissait probablement d’une fortune personnelle parmi les plus importantes de la ville. Il habitait rue de la Pelleterie, en face du palais royal, dans la Cité. Haudry fonde sa communauté de « bonnes femmes » entre 1305, date à laquelle il achète un terrain vide situé à côté de la maison où les « bonnes femmes » s’installeront, 187 et 1306, date de l’acte concernant la fondation de la chapelle. Cet acte précise en effet que l’hôpital était situé rue de la Mortellerie, à côté de la chapelle dans le quartier de la Grève. 188

La famille « Marcel » figure aussi parmi nos fondateurs patriciens. Plusieurs membres de ce clan bourgeois étaient échevins ou prévôts des marchands aux XIIIe et XIVe siècles, y compris le célèbre Etienne. Ces magistrats représentèrent la municipalité parisienne au XIVe siècle, mais ils exercèrent une juridiction strictement commerciale, les pouvoirs de police et de haute justice étant réservés au prévôt du roi et à certains seigneurs ecclésiastiques. Devenu prévôt des marchands dès 1355, Etienne Marcel fut en revanche le maître incontesté de la capitale de 1356 à 1358, en tant que chef de file d'une insurrection contre les conseillers du Dauphin. 189 Des membres de sa famille, plus paisibles, fondèrent donc la communauté de « bonnes femmes » qui porte le nom d'Andry Marcel. Ce groupe correspond vraisemblablement à la communauté située dans la rue de Paradis, figurant sur la deuxième liste dressée ci-dessus, comme en témoigne un testament daté de 1313. Parmi les legs pieux énumérés dans cet acte on trouve en effet une allocation de 5 sous à distribuer à chacune des « 14 pauvres femmes de la maison d’Agnès la marcelle dans la rue de Paradis. »190

Deux autres fondateurs évoqués dans le compte royal, Jean Gencien et Geoffroy de Fleury, appartenaient à des familles échevinales. Le premier était échevin de 1304 à 1305 et prévôt des marchands de 1321 à 1331. 191 Geoffroy de Fleury, fils d’un mercier aisé, fit carrière dans l’administration royale, autre déboucher professionnel réalisé par un certain nombre de fils de familles patriciennes. Il est évoqué en tant que Trésorier de France de 1336 à 1339 et fut nommé maître lai de la Chambre des comptes en 1341. 192

Geoffroy avait des liens professionnels avec un autre fondateur évoqué dans le compte royal, Maître Jean Mignon. Celui-ci n’était pas parisien de souche : il commença sa carrière dans l’église de Chartres, où il était archidiacre de Blois. Les sources financières royales attestent qu’il était clerc de la Chambre des comptes dès 1319 et fut maître de la Chambre dès 1343, année dans laquelle il fut décédé. Les « bonnes femmes » qu’il réunit ne furent pas les seules « pauvres » à bénéficier de sa générosité : le collège Mignon, institution destinée à loger 12 écoliers de sa famille, doit aussi ses origines à Maître Jean. 193

Il reste donc un fondateur, Maître Pierre Hareng, dont nous ne savons rien. Il ne serait toutefois pas déraisonnable de supposer que ceux-ci avaient des rapports avec les autres fondateurs car nous avons dégagé certains éléments qui unissaient ceux qui nous sont connus : ils étaient tous en effet des membres de la bourgeoisie parisienne, sauf Jean Mignon, qui travaillait avec des bourgeois. Du fait de son titre, ne serait-il donc pas possible que Maître Pierre Hareng ait été, comme Jean Mignon, un ecclésiastique ayant fait carrière dans la Chambre des comptes ?

L'appartenance des fondateurs à la bourgeoisie et au milieu des hommes du roi n'est pas difficile à expliquer. D'une part la période, où ces fondations se situent, fut marquée par l'émergence de nouvelles élites, administratives et commerciales. D'autre part, l'adjectif « pauvre », employé pour désigner les « bonnes femmes », témoigne du caractère caritatif de ces fondations. Nos fondateurs semblent donc avoir voulu assumer le rôle des miséricordieux, obligation que les élites traditionnelles de l'Occident médiéval avaient toujours remplie.

L’idée, selon laquelle il incombait aux puissants de porter secours aux faibles, fut développée dès le IXe siècle par Hincmar de Reims et Jonas d’Orléans, qui s’adressaient aux rois carolingiens. 194 Les successeurs des Carolingiens, de Robert le Pieux à saint Louis, prenaient eux aussi très au sérieux le devoir royal de l’aumône. De même, la montée du pouvoir seigneurial à l’époque féodale menait les familles aristocratiques à rivaliser avec les rois en remplissant le devoir de la charité, démarche qui traduisait ainsi une revendication et une affirmation de pouvoir. 195 Les fondations de communautés de « bonnes femmes », réalisées par des membres d’un milieu dont le pouvoir social et économique était monté comme une flèche au XIIIe siècle, suivaient certainement la même logique.

Cette hypothèse est d’autant plus plausible que les communautés de « bonnes femmes » n’étaient pas les seules fondations bourgeoises du XIVe siècle. Deux autres Parisiens, Philippe de Magny et Arnoul Bracque, fondèrent à cette époque des hôpitaux destinés à accueillir des pauvres passants. 196 Les confréries de Saint Jacques aux pèlerins, du Saint Sépulcre et de Notre Dame de Boulogne maintenaient aussi des maisons d’accueil. 197 Destinés en principe aux voyageurs s’acheminant vers les lieux saints pour lesquels les associations furent nommées, ces hôpitaux accueillaient probablement tous les genres de pauvres. 198

Ces fondations bourgeoises peuvent certainement être mises en rapport avec la campagne pastorale lancée au XIIIe siècle, qui visait les habitants des villes et en particulier les commerçants et les artisans. Hostiles dans un premier temps aux activités marchandes, les autorités ecclésiastiques ne pouvaient ignorer la croissance du pouvoir social et économique des bourgeois. Par conséquent, les prédicateurs du XIIIe siècle, surtout les frères mendiants, développèrent de nouvelles idées permettant de concilier le négoce avec la moralité chrétienne. L’aumône y jouait un rôle central : tant qu’un marchand donnait le surplus de ses gains aux pauvres, son activité ne le mettait pas dans un état de péché. 199 Il faut certainement attribuer les fondations bourgeoises à la dissémination de cet enseignement et donc au désir ressenti, par les bourgeois, d’éviter le péché. Cependant, cet enseignement rapprochait le statut du bourgeois de celui du noble et du monarque dans la mesure où il incombait désormais au marchand de porter secours aux pauvres. Il est donc indéniable que la participation des bourgeois à ces œuvres hospitalières traduit aussi la recherche d’une reconnaissance sociale.

Ces observations étayent donc l'idée d'un lien entre la fondation des maisons de « bonnes femmes » et l'importance accrue du rôle social et économique de la bourgeoise. Les indices concernant la localisation des communautés confortent cette hypothèse.

Notes
164.

AN KK 5, fol. 367-68.

165.

Ce testament a été publié par Alexandre TUETEY, « Testaments enregistrés au Parlement de Paris sous le règne de Charles VI », Collection de documents inédits sur l’histoire de France. Mélanges historiques, t. 3, Paris, 1880, p. 433.

166.

AN S 5074A2 (ancienne cote AN S 5073, no 40). 

167.

Ibid. (1415, ancienne cote Ibid., no 41.)

168.

Raymond CAZELLES, Nouvelle Histoire de Paris, 1224-1380, Paris, 1972, p. 95-97.

169.

AN S 5074A2 (ancienne cote AN S 5073, no 40). 

170.

Ibid. (ancienne cote no 41).

171.

AN MM 131, fol. 53vo.

172.

AN MM 133, fol. 17.

173.

Ibid., fol. 17.

174.

Sharon FARMER, Surviving Poverty in Medieval Paris : Gender, Ideology and the Daily Lives of the Poor, Ithaca, NY, 2002, p. 81-82.

175.

Sur les legs faits aux « pauvres ménagers » et la signification de cette expression, voir supra, chapitre 1, p. 22-23.

176.

Voir supra, chapitre 1, p. 20.

177.

MOLLAT, op. cit., p. 60-61, 122-24.

178.

Voir supra, chapitre 1, p. 20-21.

179.

AN L 938A no 49.

180.

Emile Raunié, Epitaphier du vieux Paris, t. 1, Paris, 1890, p. 308. Le Grand affirme que le nom « Avoye » était une francisation du nom "Edwige" ("Les béguines…", op. cit., p. 335, n1). Sainte Avoye serait donc la tante de sainte Elisabeth de Hongrie et la veuve de Henri le Barbu, duc de Silésie. Je n'ai pu trouver aucune confirmation de ce propos, tandis que bon nombre de manuscrits du XVe siècle attestent que Sainte Avoye était l'une des 11 000 vierges (voir Pierre REZAU, Les prières aux saints en Français à la fin du Moyen Âge, t. 2, Prières à un saint particulier, Genève, 1983, p. 63-69.) Cependant, si Le Grand avait raison, le choix aurait été logique. Morte en 1243 et canonisée en 1267, sainte Edwige était bien une sainte veuve qui aurait renoncé à devenir une moniale du couvent cistercien qu'elle avait fondé afin de rester dans le siècle pour mieux s'occuper des pauvres. Sur la vita et la canonisation de cette sainte voir André VAUCHEZ, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, Rome, 1988, p. 431-33.

181.

A part l'acte de fondation (voir supra, p. 46, n1), voir les actes suivants, tous testaments dans lesquels figurent des legs à l'intention des "bonnes femmes" : AN L 938, no 49 ; Léon LE GRAND, éd., « Testament d'une bourgeoise de Paris », Bulletin de la Société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, t. 14, 1887, p. 42-47.

182.

Boris BOVE, Dominer la ville : Prévôts des marchands et échevins parisiens aux XIII e et XIV e siècles, Thèse Nouveau Régime, Université de Poitiers, 2000. Grâce à cette stabilité anthroponymique, l’auteur de cette thèse a pu démontrer que les mêmes familles détinrent le pouvoir municipal du début du XIIIe à la fin du XIVe siècle.

183.

Sur ces registres fiscaux, voir infra, chapitre 3, p. 84-85. Les mentions de Denis de Saint-Just se trouvent dans les registres suivants :1292, fol. 54vo; 1297, fol. 58vo; 1299, fol. 203 et 1300, fol. 279. C'est en 1299 que le métier de Denis est évoqué. A en juger par l'orthographie de son nom tel qu'il est écrit par les agents fiscaux ("Denise" ou "Denyse"), on pourrait penser que ce contribuable était en réalité une femme. Cependant, il se trouve que "Denise" pouvait être un nom masculin ; en effet, on constate qu'un autre contribuable de la rue de la Bretonnerie, Denise Le Breton, était avocat (voir 1292, fol. 54vo).

184.

Gustav FAGNIEZ, Etudes sur l'Industrie et la classe industrielle à Paris au XIII e et au XIV e siècles, Paris, 1975 (orig. Paris, 1894), p. 20.

185.

De Saint Just peut-être placé dans le groupe de contribuales payant entre 20 et 50 sous, qui représentaient 19,2 pour cent de la population imposable. Seuls 9,6 pour cent des contribuables payèrent plus de 50 sous. Sur la répartition des contribuables en fonction du montant des impôts payés, voir infra, chapitre 4, p. 154.

186.

Sur Haudry et la bourgeoisie échevinale voir Raymond CAZELLES, Nouvelle Histoire de Paris, 1224-1380, Paris, 1972, p. 60, 112, 197-269 et la thèse de Boris BOVE, citée dans la note précédente. Voir aussi Idem, « Vie et mort d’un couple de marchands-drapiers parisiens, d’après les testaments de Jeanne et Etienne Haudri (1309, 1313) », dans Mémoires publiés par la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Ile-de-France, t. 52, 2001.

187.

AN L 1043, no 17.

188.

Ibid., nos 18, 20.

189.

Sur cette famille voir BOVE, Dominer la villeop. cit., t. 3, p. 775, 1024-26 ; le personnage d’Etienne Marcel est traité par CAZELLES, op. cit., p. 279-348 et Idem, Etienne Marcel, champion de l'unité française,Paris, 1984.

190.

AN L 938A no 49.

191.

BOVE, Dominer la ville…op. cit., t. 3, p. 774 ; sur les autres membres de la famille, voir Ibid., t. 3, p. 1010-1012.

192.

Danièle PRÉVOST, Le personnel de la chambre des comptes de 1320 à 1418, Thèse nouveau régime, Université de Paris I, 2000, t. 3, p. 367-70.

193.

Nathalie GOROCHOV, « Crises et conflits de pouvoir dans les collèges parisiens au XIVe siècle : l’exemple du collège Mignon (1313-1420) », Bibliothèque de l’Ecole des chartes, no 151, 1993, p. 259-74 ; P. GUYARD, « La fondation du collège Mignon », ibid., p. 275-88 ; PRÉVOST, op. cit., t. 4., p. 595-97.

194.

Michel MOLLAT, Les pauvres au Moyen-Age, Paris, 1978, p. 60-61.

195.

Ibid., p. 122-24.

196.

Sur l’hôpital Saint Eustache, fondé par Philippe de Magny, voir supra, chapitre 3, p. 90, n34 ; sur l’hôpital Bracque voir Leon LE GRAND, « Les maisons-dieu et léproseries du diocèse de Paris au milieu du XIVe siècle, », 2e partie, dans Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, t. 25, 1898, p. 47-179.

197.

Sur Notre-Dame de Boulogne-sur-Mer, voir Jacques DU BRUEL, Le théâtre des antiquité de Paris, Paris, 1639, p. 1040 ; l’abbé Jean LE BEUF, Histoire de la ville et de toute la diocèse de Paris, t. 1, Paris 1863, p. 394 ; et Ibid., supplément de Fernand BOURNON, Paris, 1893, p. 448. Les cartons AN L 586-589, 609-611 et le cartulaire LL 488 recèlent les archives de l’hôpital et la confrérie du Saint Sépulcre, y compris une vingtaine d’actes relatifs à des fondations de messes et de chapellenies par des Parisiens. Les archives de la confrérie et l’hôpital Saint Jacques sont conservées aux Archives de l’Assistance Publique à Paris. Une histoire de la confrérie avec une analyse de certains documents est publiée dans Henri BORDIER, « La confrérie Saint Jacques aux pèlerins et ses archives », MSHP 1, 1875, p. 186-397.

198.

Daniel LE BLÉVEC, « Fondations et œuvres charitables au Moyen-Age », dans 121 e congrés national des sociétés historiques ou scientifiques, Nice 1996, p. 18.

199.

Lester K. LITTLE, Religious Poverty and the Profit Economy in Medieval Europe, London, 1978, p. 178-79.