Chapitre 3
Les « bonnes femmes » et la société parisienne

Notre étude lexicale a montré que l'usage de la désignation "bonne femme" et des autres noms similaires constituait une reconnaissance de la bonne réputation et des qualités morales de la personne concernée. Cette reconnaissance pouvait en plus constituer les assises d'une sociabilité, phénomène que l'on aperçoit particulièrement bien à travers la pratique de la charité : par exemple, les personnes dont on considérait qu'elles possédaient les qualités morales requises étaient admissibles aux confréries et pouvaient compter sur les secours de leurs confrères si elles se retrouvaient dans le besoin. On peut penser, en revanche, que les individus qui ne présentaient pas les mœurs convenables étaient exclus de cette entraide.

Ce chapitre et celui qui le suit seront consacrés à un examen du milieu social des "bonnes femmes." L'objet de cette étude sera de vérifier, d’une part, que ces critères de réputation fonctionnaient véritablement comme des facteurs d’admission dans les communautés parisiennes de « bonnes femmes » et, d’autre part, que certaines catégories de femmes en étaient exclues à cause de la prise en compte de ces critères. C’est bien entendu une question à laquelle nous ne trouverons pas de réponse directe, faute de sources qui dévoilent comment une décision sur l’admissibilité d’une femme était prise. Cependant, nous pensons pouvoir trouver des indices indirects sur la politique de recrutement des communautés en mettant en évidence le caractère des rapports sociaux qui liaient les « bonnes femmes » les unes aux autres et à leurs bienfaiteurs.

A supposer que la réputation ait constitué le facteur déterminant de l’admissibilité d’une femme, nous pouvons postuler que les femmes qui intégraient nos communautés devaient être connues au moins indirectement, soit des administrateurs, soit des « bonnes femmes » elles-même : si l’on ne connaît pas quelqu’un, on n’est pas en mesure de juger de sa réputation. Faute de connaître une femme directement, les gouverneurs et les « bonnes femmes » devaient pouvoir vérifier sa réputation auprès d’un réseau social, auquel appartenaient des proches de l’institution qui connaissaient aussi la candidate. L’existence de tels réseaux, unissant les bonnes femmes et leurs bienfaiteurs, serait donc un signe selon lequel une bonne réputation était une condition d’admission à ces hôpitaux. Dans ce chapitre nous nous attacherons à exposer ces réseaux.

Les sources propices à révéler les réseaux sociaux de la plupart des bonnes femmes sont malheureusement éparses. Seul le fonds de l’hôpital d’Etienne Haudry est assez riche pour que nous puissions connaître les rapports que certaines femmes de cette communauté avaient avec d’autres personnes. Afin de compléter les indices tirés de ce fonds, nous avons puisé à d’autres sources contemporaines, de caractère fiscal et foncier. Cet ensemble de preuves, avec les renseignements clairsemés concernant le recrutement dans les autres hôpitaux, nous permettra d’apprécier dans quelle mesure les relations d’une femme, et donc sa réputation, l’aidaient à devenir une « bonne femme. »

La première sous-partie de ce chapitre sera consacré à un exposé, d’une part, des sources qui permettent d’identifier les « bonnes femmes » et leurs bienfaiteurs, d’autre part, des problèmes d’interprétation posés par ces sources. Ensuite, nous examinerons le patrimoine des quatre bienfaiteurs de l’hôpital dont les dossiers sont les plus complets. L’étude de ces dossiers nous permettra de résoudre les problèmes d’interprétation mis en évidence dans la présentation des sources. Ainsi, nous pourrons mieux exposer les liens de parenté, de voisinage et de métier qui unissaient les « bonnes femmes » et leurs bienfaiteurs, exposé qui sera développé dans la troisième sous-partie.