Dépourvus de leurs droits fiscaux au cours du XIIIe siècle, à mesure que le pouvoir royal s’affirmait, les seigneurs ecclésiastiques de la Rive Droite conservaient tout de même le droit de percevoir certains droits fonciers. Parmi ceux-ci, les principaux étaient le cens ou fonds de terre, une redevance payable chaque année par les propriétaires de la seigneurie, celle-ci appelée une censive en raison de son caractère foncier ; et le droit d’ensaisinement, qui consistait à mettre un nouveau propriétaire en possession de son bien à la suite d’un héritage ou d’une aliénation et, en contrepartie, à percevoir une redevance. 270 C’est la perception de ces deux droits qui amena les agents seigneuriaux à réaliser des registres.
Les registres qui se sont avérés les plus informatifs traitent la censive de l’évêque de Paris et celle de l’abbaye de Saint Martin des Champs. 271 La première s’étendait sur quasiment toute la Rive Droite à l’ouest de la rue Saint Denis, sauf les Halles, qui appartenaient à la censive royale. 272 Les registres en question énumèrent les cens et les rentes perçus par l’évêque en 1373 et en 1399, mais en identifiant les propriétés concernées, les scribes nommèrent souvent, non seulement le titulaire actuel, mais aussi les trois ou quatre propriétaires précédents. Aussi les données fournies par ces registres sont-elles valables pour une période bien antérieure aux deux dates auxquelles les revenus furent perçus et dans certains cas les propriétaires évoqués étaient vivants au début du XIV siècle. 273
A part cette incertitude à l’égard des dates auxquelles les anciens propriétaires possédèrent les biens évoqués, ces registres, ainsi que tout censier, présentent un deuxième problème d’interprétation. Au lieu d’établir leur résidence dans les maisons qu’ils acquéraient, les propriétaires parisiens y installaient souvent des locataires. Or, ceux-ci ne sont pas mentionnés dans les censiers parce que c’est le propriétaire, non pas le locataire, qui devait payer les droits fonciers. C’est la raison pour laquelle, à la différence des rôles fiscaux, les censiers de l’évêché à eux seuls ne permettent pas de savoir qui résidait dans les rues de la censive.
Il en va de même pour le registre de Saint Martin, dont la censive urbaine correspondait au quartier situé entre la rue Saint Martin et la rue du Temple, s’étendant de l’abbaye vers le sud et aboutissant intramuros au niveau de la rue des Jongleurs. 274 Nous verrons aussi que la censive s’étalait vers l’ouest jusqu’à la rue Saint Denis, hors les murs. A la différence d’un censier, tel le registre de l’évêché, le registre de Saint Martin traite les droits d’ensaisinement perçus par l’abbaye dans sa seigneurie de 1322 à 1402. Il nous fournit donc des données beaucoup plus échelonnées que celles du censier épiscopal. Ce n’est toutefois que dans le quartier longeant la rue Saint Denis hors les murs que Saint Martin percevait des droits sur les biens des proches de l’hôpital. Ce registre nous sera donc moins utile que ceux de l’évêché.
Notre incertitude concernant les lieux de résidence des propriétaires énumérés dans ces registres n’est pas insurmontable. Les travaux relatifs aux patrimoines immobiliers des Parisiens démontrent en effet que la localisation des biens immobiliers d’un individu n’était pas sans rapport avec son lieu de résidence et son milieu social, conclusion qui est corroborée par les actes relatifs aux patrimoines de certains bienfaiteurs de l’hôpital Haudry. C’est la raison pour laquelle notre étude du réseau social des « bonnes femmes » doit commencer par une analyse des renseignements concernant ces bienfaiteurs et leurs biens. Cette analyse nous permettra d’éclaircir la signification des données fournies par les registres seigneuriaux, données qui nous permettront par la suite d’approfondir notre compréhension des liens sociaux qui constituaient l’entourage de l’hôpital.
François OLIVIER-MARTIN, Histoire de la coutume de la prévôté et vicomté de Paris (Paris, 1922), t. 2, pp. 364-395.
AN S *1253 et S *1254 (censiers de l’évêché, datés de 1373 et de 1399) et AN S* 14611 (registre d’ensaisinement de l’abbaye de Saint Martin des Champs).
Adrien FRIEDMANN, Paris, ses rues, ses paroisses du Moyen-Age à la Révolution, Paris, 1959, p. 71.
Par exemple, Guillaume le Béguin est cité à fol. 11vo comme l’un des propriétaires précédents d’une maison dans la rue du Four. C’est probablement le même Guillaume qui était un bienfaiteur des bonnes femmes et qui figure dans les rôles de la Taille car, selon un extrait du registre de l’hôpital, le gouverneur, agissant en tant que procureur pour les bonnes femmes, bailla en 1340 à Alard de Linières et à sa femme, une maison dans la rue du Four qui avait appartenu à Guillaume le Béguin (AN S *4634, fol. 96, bbbbb)
FRIEDMANN, op. cit., p. 33.