Bernard De Pailly est nommé comme gouverneur de l’hôpital en 1308 par Etienne et Jeanne Haudry, qui lui octroient en même temps un bénéfice de 20 livres parisis. 285 Dans l’acte de nomination il est qualifié de « prêtre bénéficié à l’autel des apôtres Saint Pierre et Saint Paul dans l’église Saint-Germain l’Auxerrois à Paris. » Cette église remplit deux fonctions à la fois, celle de centre paroissial et d’église capitulaire.
Saint Germain existait depuis l’an 656 et, dès la fin du XIe siècle, elle est l’église paroissiale des serfs de la Ville-l’évêque, le vaste fief épiscopal de la Rive Droite. Cette église était aussi le noyau de l’un des plus anciens centres de peuplement urbain sur la Rive Droite, car les sources attestent qu’un bourg s’était constitué autour de Saint Germain dès 1110. 286 Etant donné qu’il est qualifié de « prêtre bénéficié », Bernard n’est ni chanoine ni curé de Saint Germain, mais plutôt l’un des chapelains chargés de célébrer des messes devant l’un des autels de l’église au profit des paroissiens particuliers, moyennant un bénéfice. Dès 1322 il est nommé à la cure de Saint Eustache, paroisse créée au XIIIe siècle à la suite du démembrement de l’ancienne cure de Saint Germain. 287
Bernard poursuit pendant toute sa vie un engagement actif dans la direction des institutions caritatives. Il est gouverneur non seulement des l’hôpital d’Etienne Haudry, mais aussi de la maison-dieu de Saint Eustache 288 et exerce la fonction d’abbé, ou chef spirituel, de la Grande Confrérie de Notre-Dame 289 . C’est cette dernière activité qui doit expliquer ses rapports avec les Haudry. De fait, les liens noués entre eux seraient difficiles à comprendre autrement car Etienne et Jeanne sont paroissiens de Saint-Jacques-de-la-Boucherie. 290 Il semble en effet qu’Etienne soit confrère de Notre-Dame, car il va bénéficier d’une messe anniversaire célébrée par la confrérie dans la chapelle de son hôpital. 291 De plus, sa deuxième femme, Marie la Gossequine, en est un membre, ce qui induit l’appartenance d’Etienne à cette association car seules les femmes mariées aux confrères ont le droit d’y adhérer. 292
Bernard maintient ses liens avec les « Haudry » jusqu’au crépuscule de leurs vies : il est l’un des exécuteurs testamentaires de Jeanne, fonction qu’il partage avec Etienne, Renault Barbou, frère de la testatrice, Gervais de Ses, chef de boutique d’Etienne 293 , et Jeanne de Tremblay, nièce de la testatrice. Il est donc évident que Bernard fait partie du cercle intime de Jeanne Haudry. Dans son propre testament, daté de 1324, Bernard lègue des biens considérables aux Haudriettes, moyennant la célébration de messes anniversaires à son intention, et de distributions aux bonnes femmes en vêtements et en argent. 294 L’exécution de la dernière volonté de Bernard, un an plus tard, témoigne de sa mort. 295
Au terme de son testament, Bernard désigne son frère, Guillaume Le Béguin, comme héritier de tout les biens restant après l’exécution de sa dernière volonté, obligation qui est aussi à la charge de Guillaume. C’est l’acte d’exécution qui nous apprend le métier de Guillaume : le scribe l’appelle « Guillaume de Pailly, dit le Béguin, fripier. » Ce renseignement est confirmé par les rôles de la taille, qui nous permettent aussi de savoir où il résidait : en 1292, à la Place aux Porceaux, près des Halles, à l’angle sud-ouest du cimetière des Innocents ; 296 de 1298 à 1300 et en 1313, dans la rue du Siège aux Déchargeurs, qui partait de la Place aux porceaux en face du cimetière et aboutissait à la rue Maleparole. 297 Il ne change sans doute pas de résidence à partir de 1298 car les Haudriettes héritent de sa maison dans la rue du Siège aux déchargeurs à l’occasion de sa mort, peu après l’an 1336. 298 Les demeures successives de Guillaume se trouvaient dans la paroisse Saint Germain l’Auxerrois. Peu avant sa mort, Guillaume laisse à son tour tous ses biens non pas nommés dans son testament à l’hôpital, à la seule condition que des places supplémentaires soient créées, pour que l’hôpital puisse accueillir deux bonnes femmes de plus. 299 C’est grâce à ce don que l’hôpital récupère un grand nombre d’actes relatifs aux patrimoines de Bernard et de Guillaume. 300
Isabelle De La Mare est issue du même milieu que Bernard et Guillaume. Son mari, Geoffroy, a trois frères, nommés Alexandre, Jean, et Pierre, 301 qui exercent tous les trois le métier de fripier et habitent près de Guillaume le Béguin : Alexandre est recensé dans la rue de la Ferronnerie, qui s’étend de la rue Renier Bourdon au Siège aux déchargeurs ; Pierre et Jean dans la rue de la Charronnerie, qui mène du Siège aux déchargeurs vers l’est le long du cimetière des Innocents. 302 En revanche, Isabelle et Geoffroy vivent de l’autre côté de la rue Saint Denis, dans la rue Jehan Le Comte, proche de l’église Saint Jacques de la Boucherie. 303 En tant que paroissiens de Saint Jacques, le couple doit connaître Etienne Haudry car celui-ci est marguillier de l’église. 304
Après la mort de son mari, advenue dès 1338, 305 Isabelle se rapproche des bonnes femmes de l’hôpital. Dès 1344 elle établit sa résidence dans une maison en sa possession, située à côté de l’hôpital, rue de la Mortellerie, et fait don aux bonnes femmes et à leur chapelle de cette demeure et de plus de 41 livres parisis de rente, en se réservant l’usufruit de ces biens jusqu’à sa mort. 306 A la suite du décès d’Isabelle, l’hôpital semble s’approprier les affaires personnelles de sa bienfaitrice : nombre de documents relatifs au patrimoine d’Isabelle, mais qui ne concernent pas directement l’hôpital, sont vraisemblablement intégrés dans les archives de la communauté, conformément aux usages de la communauté à l’égard des biens des bonnes femmes. 307 Pourquoi cette appropriation ? Il se peut qu’Isabelle, comme d’autres bienfaiteurs de l’hôpital, cède le résidu de ses biens aux bonnes femmes suivant l’exécution de son testament. Cependant, aucun acte ne préserve des traces d’une telle donation. Ne serait-il pas possible que l’hôpital procède comme si Isabelle était une bonne femme, en raison de sa proximité de la communauté ? Quoi qu’il en soit, c’est grâce à ce transfert de documents que nous pouvons étudier le patrimoine d’Isabelle et de son mari.
Cette pratique relative aux affaires personnelles des bonnes femmes nous fournit aussi des renseignements concernant les biens de Marie La Maquerelle. Paroissienne de Saint Germain l’Auxerrois, elle vit jusqu’en 1318, date à la quelle elle devient une bonne femme, à l’Escole Saint Germain, un endroit situé juste au sud de l’église. 308 Une parente de Marie, Honnor La Maquerelle, est toutefois recensée en 1299 dans la rue de la Vieille Tisseranderie. 309 Située dans la paroisse de Saint Jean en Grève, cette rue était éloignée de l’Escole Saint Germain mais assez proche de l’hôpital d’Etienne Haudry. Malgré sa résidence éloignée, Marie La Maquerelle a donc des relations dans ce quartier-ci.
Les quatre bienfaiteurs que nous avons présentés avaient donc tous des rapports les uns avec les autres et avec la famille d’Etienne Haudry, rapports qui dérivaient de la parenté, de la paroisse, du quartier, du métier et de la confrérie. En interrogeant les actes relatifs aux patrimoines des bienfaiteurs, nous chercherons à savoir à quel point ces rapports déterminèrent la disposition de leurs biens dans la ville.
Pour repérer les lieux évoqués dans les deux sections suivantes, voir infra le Plan 2, p. 97-98.
AN L 1043, no 22.
FRIEDMANN, op. cit., 1959, p. 71.
AN *S4634, fol. 69v (c).
AN *S4634, fol. 69v (c) 1323). D’après cet acte la maison-dieu est identifiée simplement par le nom du fondateur, nommé Philippe de Magny, et elle aurait été située hors la porte Saint Nicolas, en face de l’hôtel du comte d’Artois. Selon Léon LE GRAND, « Les maisons-dieu et léproseries de la diocèse de Paris, » 2e partie, Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, t. 25, 1898, p. 67, la première mention de cet hôpital date de 1299 et il est précisé que l’hôpital était situé à l’angle des rues Montorgueil et Quiquetonne, près de Saint Eustache. Etant donné que les autres sources parisiennes de l’époque ne font jamais référence à la porte Saint Nicolas et que dès 1292 il existait juste au nord de Saint Eustache une porte Nicolas Arrode, alias porte au Comte d’Artois (GÉRAUD, op. cit., p. 624), il semble que l’hôpital ait été construit près de cette porte.
Après la référence à Bernard de Pailly en tant que gouverneur, la mention ultérieure de la maison-dieu date du XVIe siècle. A cette occasion, le Parlement l’affecta à l’accueil des malades souffrant du mal Saint Main et du mal Saint Fiacre (LE GRAND, « Les maisons-dieu… », op. cit., p. 67). Le caractère de l’accueil fourni par l’hôpital avant cette date n’est pas précisé.
Fondée probablement vers la fin du XIIe siècle, cette pieuse association, la plus préstigieuse de la capitale, réunissait 50 prêtres et 50 bourgeois ; voir Antoine LEROUX DE LINCY, « Recherches sur la Grande Confrérie Notre-Dame aux prêtres et bourgeois de la ville de Paris, » Mémoires de la Société royale des Antiquaires de France, 17, 1844, p. 200-317. Un titre du fonds de la confrérie (AN L 596, no 16) , selon lequel Bernard bénéficierait d’une messe anniversaire célébrée par la confrérie, précise qu’il en était l’abbé.
BOVE, « Vie et mort… », op. cit., p. 51.
AN S *4634, fol. 4v (h) 1313) ; cet acte est un extrait d’un vidimus de l’Official de Paris ayant repris les termes du titre original, qui portait le sceau de la confrérie.
LEROUX DE LINCY, « Recherches sur la Grande Confrérie Notre-Dame aux prêtres et bourgeois de la ville de Paris, » Mémoires de la Société royale des Antiquaires de France, 17, 1844, p. 200-317.
BOVE, « Vie et mort… », op. cit., p. 31-32.
Du testament de Bernard, seules les clauses concernant les bonnes femmes ont été conservées dans un extrait qui apparaît dans le registre de l’hôpital (AN S *4634, fol. 35 (n).
Ibid., fol. 35v (p).
1292, fol.010.
1298, fol.100 ; 1299, fol.159 ; 1300, fol.237vo ; 1313, fol. 005.Ibid., nos 2-5.
Le comte de 1353-54 nous informe que les bonnes femmes reçurent 14 livres de loyer de « la grant maison qui fut sire guillaume le beguin en la rue du siege aus deschargeurs » (AN S 4633B no 7). Un extrait du testament de Guillaume (AN S *4634, fol. 36-36v (d), (1335) selon lequel il légua tous ses biens à l’hôpital, expliquerait l’acquisition de la maison. La participation de Guillaume à deux échanges de rentes en 1336 (Ibid., fol. 119 (aaa), 122v (aaaa) constituent ses dernières apparitions dans les sources.
Ibid., fol. 36v.
Sur ces actes, voir infra, l’Annexe 1.
Geoffroy est cité en tant que mari d’Isabelle dans un acte relatif à leur contrat de mariage (AN S*4634 fol. 98r (nnnnn). Les noms de ses frères se trouvent dans deux extraits, dont l’un, l’achat par Geoffroy d’une maison appartenant à Alexandre et l’autre, la vente d’une maison vendue par les trois frères survivants plus la veuve de Jean (Ibid., fol. 91(ppp), 87v (u).
Les mentions des trois frères se trouvent dans les registres fiscaux suivants : 1297, fol. 39 ; 1298, fol. 99 ; 1299, fol. 157 et 1300, fol. 236 (Alexandre) ; 1297, fol. 45 ; 1300, fol. 250 (Pierre et Jean) ; 1299, fol. 171 ; 1313, fol. 13 (Jean seule).
1299, fol. 193.
BOVE, « Vie et mort … », op. cit., p. 51.
Son décès est confirmé par un acte daté de 1338, selon lequel Regnaut De Primery et Pernelle, sa femme, héritiers d’Alexandre De La Mare, père de Pernelle, consentent à l’exécution du contrat de mariage conclut par Geoffroy, qualifié ici de « feu », et Isabelle (AN S *4634, fol. 98v (nnnnn). D’après ce contrat, Geoffroy assigne à Isabelle 60 Livres parisis de rente à percevoir sur des biens dans sa possession (Ibid., fol. 92v (eeee).
AN L 1043, no 30. L’acte ne précise pas qu’Isabelle vivait dans cette maison, mais nous pouvons le déduire de la réserve de l’usufruit, qui entraîne une cession de la propriété. Aussi Isabelle ne pourrait-elle utiliser la maison qu’en y résidant.
Voir, par exemple, AN S *4634, fol. 82vo (m), fol. 92vo (eeee), fol. 98 (nnnnn).
Voir le Plan 2, infra, p. 97-98.
1299, fol. 201vo.