e. Raoul le Peure

Les indices que nous avons présentés jusqu’à maintenant conduisent à penser que le réseau de soutien, d’où l’hôpital d’Etienne Haudry recrutait ses pensionnaires et tirait son appui financier, était composé d’une population assez bien délimitée socialement et géographiquement. Or, force est d’examiner les origines d’un personnage clé, qui paraît totalement étranger à ce milieu : le prêtre Raoul le Peure, qui administra l’hôpital pendant une quarantaine d’années. Les premiers actes qui en témoignent datent de 1330. A cette date, les bonnes femmes font des baux à rente d’une maison située dans la ruelle de Saint Jean-en-Grève et d’une place et jardin situés dans la rue des Rosiers. 426 C’est Raoul qui conclut ces contrats, en qualité de procureur de l’hôpital, une responsabilité qui relevait de la charge du gouverneur. 427 Bien qu’agissant toujours comme procureur en 1371, 428 il délègue cette responsabilité dès l’année suivante à un prêtre qui s’appelle Jean Sergent. 429 Le testament de Raoul date de 1374, après quoi il n’existe plus de traces écrites concernant son intervention dans les affaires de l’hôpital. 430

Tout comme les autres proches de l’hôpital, Raoul était issu d’une famille d’artisans prospères. On ne sait pas quel métier son père, qui s’appelait Pierre Peure, 431 exerçait, mais un autre proche parent, Robert le Gaigneur, était talemelier. 432 Les acquisitions par Robert de 7 arpents et 3 quartiers de vignes situées près de Charonne 433 signalent que son commerce était fructueux.

A la différence des autres membres de l’entourage des bonnes femmes, Raoul n’était probablement pas de Paris : aucun contribuable portant les surnoms « le Gaigneur » ou « le Peure » n’est recensé dans les rôles de la Taille. Etant donné qu’Etienne Haudry II, le fils cadet du fondateur, habitait à la villette Saint Lazare, au nord-ouest de Paris, et que c’était lui qui nomma Raoul au poste de gouverneur, on peut supposer que la famille le Peure habita, elle aussi, vers ce bourg qui s’était constitué autour de la léproserie. 434

Dans sa carrière, Raoul différait de ses prédécesseurs dans la mesure où la direction de l’hôpital constituait son premier poste majeur. Il est possible que Raoul ait servi l’hôpital en tant que chapelain avant d’assumer ses charges administratives, et qu’il ait continué à exercer des fonctions liturgiques par la suite. 435 Titulaire du poste de gouverneur, Raoul se procura un bénéfice supplémentaire : de 1347 à 1364 il fut abbé de la confrérie Notre-Dame, 436 une fonction qui était normalement réservée aux curés parisiens. 437 Ce succès est donc révélateur de la respectabilité que l’hôpital avait acquise dès le milieu du siècle. Les revenus tirés de ces fonctions, avec son héritage, permirent à Raoul de se constituer un patrimoine foncier impressionnant, dont plus de 40 arpents de vignes et terres agricoles. Ces biens étaient regroupés à quatre endroits : Charonne, 438 Rungis, 439 Paray, 440 et Fresnes . 441

Il est vraisemblable que Raoul ait su mettre en valeur, au profit de l’hôpital, les contacts qu’il avait développés dans ces villages car nombre de bonnes femmes et de bienfaiteurs de l’hôpital venaient des familles habitant ou possédant des terres à proximité. A titre d’exemple, il convient de citer Marguerite la Noire, une bonne femme qui participe à des actes fonciers en qualité de représentante de l’hôpital en 1380, 1389 et 1397. 442 Nul doute qu’elle ne soit une parente de Thomas le Noir, dont la femme, Isabelle, a vendu à Raoul 5 arpents et un quart de terre située vers Rungis. 443 En 1368, une résidente du même village, Pernelle la Bouchère, femme de feu Pierre Boucher, donne aux bonnes femmes 2 arpents, 3 quartiers et demi de terre située au terroir voisin. 444

Deux autres bonnes femmes, Jehanne et Pernelle de Laistre 445 étaient probablement de la même famille que Jehan de Laistre et Clémence, sa femme, qui vendirent à Raoul en 1367 deux arpents de terre située à Fresnes. 446 De la part de Julianne, femme de Raoul Ridiau de Charonne, les Haudriettes reçurent 2 arpents, 3 quartiers et demi de vignes situées près du domicile de la donatrice. 447 En 1397, Pierre Moriau et Marguerite sa femme, demeurant à Rungis, donnèrent aux Haudriettes 14 arpents de terre situés au terroir du même village ; en contrepartie, le couple fut autorisé à se rendre à l’hôpital pour y vivre sous certaines conditions qui ne sont pas, malheureusement, précisées. 448

Enfin, si les relations de Raoul semblent appartenir à un milieu différent de celui des Parisiens que nous avons cités, il n’est pas exclu que certains individus aient eu des contacts avec les deux groupes. Par exemple, bien que Guillaume des Mailles le Breton ait vécu à la Croix du Tiroër, les biens qu’il donna aux bonnes femmes étaient constitués de terres agricoles situés au terroir de Rungis. 449

N’appartenant pas aux mêmes milieux sociaux et professionnels que la plupart de l’entourage des Haudriettes, Raoul entra dans l’histoire de la communauté grâce à l’intervention du fils cadet du fondateur, alors chef de la famille Haudry. Dès lors, Raoul fit connaître les bonnes femmes à un certain nombre de ses connaissances, qui, elles, devinrent à leur tour des femmes ou des bienfaiteurs de l’hôpital. Cette manière de recruter à travers des relations est donc bien compatible avec la pratique courante parmi les membres de l’entourage de l’hôpital habitant dans Paris.

Notes
426.

AN S *4634, fol. 117v (qq), 119v (rrr.)

427.

AN S 4630,dossier no 5 (26 mars 1371 (n. st.)) ; cet acte est également un contrat de bail, dans lequel est enchâssé un extrait d’une lettre de procuration concernant Raoul le Peure. Selon cet acte il est qualifié de « procureur, gouverneur prouveur, maître et administreur » de l’hôpital.

428.

AN S *4634, fol. 124 (mmmm.

429.

Ibid., fol. 91v (ttt.

430.

Ibid., fol. 37 (u.) Cet extrait traite uniquement des legs faits par Raoul au profit des Haudriettes.

431.

La filiation de Raoul est établie par deux actes relatifs à des achats immobiliers auxquels son père et lui participèrent (Ibid., fol. 95-95v (uuuu), 96 (zzzz)

432.

« Talemelier » était la désignation courante d'un boulanger. Le nom dérive du pain fabriqué selon les normes en vigueur à Paris. Les statuts des talemeliers parisiens sont publiés dans LESPINASSE et BONNARDOT, op. cit.,p. 3 et suiv.

Un contrat de bail par lequel Robert acquit une maison dans le village de Charonne (Ibid., fol. 57v (x) fait mention de son métier. C’est le surnom « le Peure » qui démontre la parenté qui existait entre Raoul et Robert. En effet, le registre des Haudriettes recèle un extrait, aux termes duquel Robert le Peure, héritier de Robert le Gaigneur, jure d’avoir donné à son fils Robert 4 arpents de vignoble située à Charonne (Ibid., fol. 57v (y) 22 mai 1340.) Le même jour, Robert le Peure père atteste d’avoir cédé ces mêmes vignobles à Raoul le Peure, en renonçant à tout droit provenant du don fait au profit de son fils (Ibid., 58 (z.)

433.

Ibid., fol. 55 (a, d), 55v (g), 56v (o), 57v (x).

434.

Le testament d’Etienne porte le sceau du curé de Saint Lazare, qui figure aussi parmi les exécuteurs (AN L 1043, no 31.)

435.

Dans l’acte selon lequel Guillaume des Mailles octroya des terres à l’hôpital, moyennant la célébration de certains offices, il est précisé que Raoul devait recevoir personnellement les biens désignés, et qu’il devait célébrer lui-même les services demandés (AN S *4634, fol. 46 (d) 1335.) Un acte postérieur à celui-ci qualifie Raoul, et un autre prêtre nommé Jean Quentin, de « chapelains et gouverneurs de l’hôpital » (Ibid., fol. 127 (ccccc) 9 août 1370.)

436.

VAQUIER, op. cit., p. 309-310.

437.

Ibid., p. 42.

438.

Actuel douzième arrondissement de Paris.

439.

Seine, ar. Sceaux, c. Villejuif.

440.

Seine-et-Oise, ar. Palaiseau, c. Athis-Mons, co. Paray-Vieille-Poste.

441.

Seine, ar. Sceaux, c. Villejuif. Les biens que Raoul possédait à Charonne consistaient en quatre arpents de vigne que Robert le Peure lui avait donnés (voir supra n21, ainsi qu’une maison achetée en 1344 (AN S *4634, fol. 55 (c). Comme les actes relatifs aux acquisitions de vigne effectuées par Robert le Gaigneur furent conservés dans les archives des Haudriettes, et que Raoul avaient légué tous ses biens aux Haudriettes (Ibid., fol. 37 (u), il semble que les Haudriettes aient reçu au moins une partie des vignes en question.

Les autres terres furent acquises par achat et, à en juger par la conservation des actes en question dans les archives de l ‘hôpital, échurent aussi aux Haudriettes en vertu du testament de Raoul. Les superficies totales des terres situées à chaque endroit sont les suivantes : à Fresnes, 9 arpents et demi (Ibid., fol. 47v (h,i), 48 (m, o), 48v (q, s), 49v (aa) ; à Rungis, 24 arpents et un quartier (Ibid., fol. 46 (d), 47 (g), 48 (n, r, p, t), 49 (x, y, z) ; à Paray, 6 arpents (Ibid., fol. 46 (d), 47 (f.)

442.

Voir l’Annexe 3, LA NOIRE, I.

443.

AN S *4634, fol. 49v-50 (bb) (1366.)

444.

Ibid., fol. 47v (k)

445.

Annexe 3, DE LAÎTRE, I.

446.

AN S *4634, fol. 47v (i).

447.

Ibid., fol. 56v (n), 1344.

448.

Ibid., fol. 51 (hh.)

449.

AN S*4634 f.46r (d)