f. L’indifférence de l’échevinage

Tous les indices que nous avons examinés concordent à démontrer l'ancrage des réseaux sociaux de l'hôpital Etienne Haudry dans les milieux artisanaux et commerçants. En revanche, ces réseaux semblent pénétrer peu dans le patriciat urbain, constat qui est d’emblée surprenant, étant donné l’appartenance d’Etienne Haudry à ce milieu. Pourtant, à part Haudry et ses descendants, les seuls membres de la bourgeoisie échevinale à figurer parmi les bienfaiteurs de l’hôpital sont Thomas De Saint Benoît et Agnès De Dammartin. Echevin, Thomas lègue vers 1326 une rente de 40 sous parisis aux bonnes femmes, à condition que Guillaumette, sa chambrière, en jouisse de l’usufruit viager. Il est probable que la servante devient une bonne femme en vertu de ce don. 450 En 1398, Dame Agnès De Dammartin fait don à l’hôpital d’une rente de 40 sous parisis, dont une bonne femme nommée Plaisance Du Bois doit bénéficier durant sa vie. 451 C’est sans doute la même Agnès qui, vers le début du XVe siècle, fonde une communauté de bonnes femmes dans la rue des Arsis, près de l’église Saint Jacques de la Boucherie. 452 Comme les parents de Geoffroy De Dammartin, échevin de 1321 à 1328, sont membres de la paroisse Saint Jacques, 453 il est probable qu’Agnès appartient à cette famille. Nous avons aussi évoqué une bonne femme qui s’appelait Jeanne La Bourdonne, dont la famille habitaient dans le quartier au sud de Saint Eustache. Il se peut que Jeanne ait été un parent de la famille échevinale des "Bourdon", dont les membres étaient exceptionnellement attachés au quartier : en effet, deux représentants illustres de ce lignage, Renier et Guillaume, prêtaient leurs noms aux rues où ils résidaient. 454

L’indifférence que les pairs d’Etienne Haudry manifestaient envers l’hôpital, à part les exceptions évoquées, est probablement due à l’ascension sociale éclatante que les familles patriciennes surent réaliser, grâce à la faveur royale. 455 Fréquentant la cour en tant qu'administrateurs et fournisseurs au roi, leur sensibilité religieuse subit vraisemblablement la forte influence des comportements nobiliaires et royaux. C’est la raison pour laquelle les gens du milieu échevinal avaient tendance à caser leurs filles dès leur jeune âge dans les même couvents que les nobles, tels que Longchamp, Port Royal (fondations royales) et Chelles. Aussi les élites de la société parisienne étaient-elles enclines à réserver leur générosité aux communautés où leurs filles avaient été reçues comme moniales. 456 Comme l’hôpital d’Etienne Haudry acceptait uniquement les femmes mûres et que la communauté manquait d’origines illustres, les familles échevinales étaient peu disposées à y placer leurs filles ou à accorder des biens importants aux bonnes femmes. Ce sont donc plutôt les artisans et commerçants moyens qui étaient susceptibles de reconnaître les qualités des « bonnes femmes. »

Notes
450.

Voir l’Annexe 3, DE SAINT BENOÎT.

451.

AN S *4634, fol. 75v (ss).

452.

LE GRAND, « Les béguines… », op. cit., p. 340, n1.

453.

BOVE, « Dominer la ville… », t. III, p. 1004

454.

Ibid.,p. 1002-03.

455.

Sur les carrières des échevins, voir, supra, chapitre 2, p. 55-56.

456.

Boris BOVE, «Espace, piété et parenté à Paris aux XIIIe et XIVe siècles d’après les fondations d’anniversaires des familles échevinales, » dans Religion et société urbaine au moyen-âge. Etudes offertes à Jean-Louis Biget, (Paris, 2000), p. 255-58 ; Anne TERROINE, Recherches sur la bourgeoisie parisienne au XIII e siècle, thèse de l’Ecole des Chartes, 1940, t. II, p. 133-166 ; cet ouvrage est consultable à l’IRHT, Paris.