Conclusion

Les femmes et bienfaiteurs dont nous avons pu étudier l’entourage ne représentent qu’une partie de la communauté : sur les 126 bonnes femmes mentionnées dans les sources du XIVe siècle, nous ne pouvons signaler que 59 dont les sources permettent de démontrer qu’elles connaissaient d’autres bonnes femmes ou bienfaiteurs. Néanmoins, étant donné les limites imposées par nos documents, ces 59 cas nous permettent de déceler une logique dans la politique de recrutement entreprise par l’hôpital.

Il existe en effet des lacunes dans tous les documents que nous avons invoqués. Ni les rôles de la Taille ni les registres seigneuriaux ne recensèrent toute la population des quartiers où les bonnes femmes étaient connues, pour des raisons que nous avons déjà précisées. Quant au fonds de l’hôpital, il ne nous permet de connaître que les femmes qui aient possédé des biens immobiliers ou qui aient représenté l’hôpital devant un tribunal. Etant donné les limites de nos sources, les indices relatifs aux 59 bonnes femmes dont nous avons pu découvrir le milieu social sont significatifs. Ils laissent penser qu’un nombre considérable de bonnes femmes trouvèrent des places dans l’hôpital grâce à leurs relations. Comme nous l’avons remarqué ci-dessus, cette dimension sociale constituerait un signe d’une politique de recrutement fondée sur des critères de réputation.

D’autres indices, concernant non seulement l’hôpital Haudry mais aussi d’autres communautés similaires, confortent cette hypothèse. D’abord, en 1439 l’hôpital Haudry conclut avec une riche veuve, nommée Isabelle La Doyenne, un contrat permettant à celle-ci de prendre sa retraite à l’hôpital. La veuve évoque comme motif de son choix « la bonne vie et honneste conversacion » des bonnes femmes. ⁴⁵⁷ Ce sont les mêmes termes employés dans les statuts des confréries et les lettres royales de rémission, afin d’affirmer que les personnes désignées étaient dignes, sur le plan moral, d’intégrer une association pieuse ou d’être réintégrées dans la communauté du royaume. ⁴⁵⁸

Ce langage figure aussi dans les documents relatifs à une communauté similaire à celles des « bonnes femmes. » Cet hospice, instituée en 1339 par le chanoine Jean d’Hubant, fondateur du collège d’Ave Maria, devait héberger 10 pauvres femmes âgées « d’honnête conversation. » ⁴⁵⁹ Hubant exigea de plus que les résidentes de l’hospice fussent nées dans sa propre ville natale. ⁴⁶⁰ Deux autres communautés fondées au XVe siècle pour secourir les femmes âgées étaient chargées de respecter des conditions semblables. Jean Chénart, maître des comptes, qui avait fondé en 1425 un hospice destinée à accueillir 8 pauvres veuves, réserva les places dans son établissement aux femmes de sa paroisse, Saint Sauveur. ⁴⁶¹ La maison donnée par Catherine du Homme, veuve de Guillaume Barthélemy, maître des requêtes (vers 1497-1498), pour 8 « pauvres veuves » était également destinée à loger des femmes « qui avaient bien vécu. » Catherine se réserva le droit de nommer les résidentes de cette hospice, droit qui devait échoir à ces enfants et à ces petits-enfants. Le respect des conditions exigées par ces trois fondateurs aurait sûrement déterminé la sélection de femmes qui étaient connues des fondateurs ou de leurs proches, ce qui aurait facilité la confirmation de la réputation des candidates.

Nous avons donc découvert bon nombre d’indices concernant les rapports sociaux qui réunissaient les bonnes femmes et qui les liaient aux fondateurs et aux bienfaiteurs de leurs communautés. Les bonnes femmes de l’hôpital Haudry et les membres de leur entourage appartenaient en effet aux mêmes familles, vivaient dans les mêmes quartiers et paroisses ou exerçaient les mêmes métiers. Cette politique de recrutement était similaire à celle de deux autres communautés similaires, dont les résidentes devaient être recrutées d’une ville et d’une paroisse qui étaient familières aux fondateurs. Pour qu’une veuve fût reçue dans un hôpital de bonnes femmes, il fallait donc qu’elle fût connue de l’entourage de la communauté. Aussi semble-t-il que la bonne réputation d’une femme soit une condition nécessaire à sa réception, hypothèse qui est confortée par les références à la « bonne vie et conversation » des femmes.

Ces conclusions nous intéressent d’autant plus qu’une assimilation entre la vertu et l’aisance sociale transparaît à travers la lecture des textes littéraires et didactiques. Cette inclination entraînait-elle l’exclusion des veuves issues des couches modestes de la population ? Dans le chapitre suivant, nous nous attacherons à approfondir cette question.