Chapitre 4
Les « bonnes femmes » et la pauvreté : intégration et exclusion

La question de savoir si les critères de réputation avaient tendance à faire entrave aux femmes de condition modeste désirant se rendre aux hôpitaux de « bonnes femmes » nous amène à nous interroger sur la pauvreté de celles-ci. Comme nous l’avons noté dans le deuxième chapitre, les documents concernant les « bonnes femmes » les qualifient souvent de « pauvres. » Or, les personnes que l’on considéraient comme « pauvres » au Moyen-Age n’étaient pas nécessairement dénuées de ressources au départ car la pauvreté était souvent assimilée à la déchéance : en témoignent les aumônes données aux pauvres honteux et aux pauvres ménagers. 462 De plus, la notion de pauvreté revêtait un sens spirituel : le « pauvre » était celui qui se montrait humble devant Dieu, à l’instar des pauvres en esprit évoqués dans l’évangile. 463 C’est justement une humilité semblable à cette pauvreté spirituelle, une obéissance à Dieu et à son mari, qui marquait la « bonne femme » telle qu’elle est décrite par les auteurs ecclésiastiques. Rajoutée à la tendance à imputer des mœurs douteuses aux femmes des milieux modestes, cette notion de la pauvreté laisse penser que les places dans les hôpitaux de « bonnes femmes » n’étaient pas nécessairement réservées aux femmes qui souffraient de vraies carences matérielles.

La condition de veuvage que les femmes devaient en principe remplir afin de pouvoir intégrer l’une de ces communautés semble conforter nos doutes à l’égard de l’indigence des « bonnes femmes. » Comme la pauvreté englobait aussi les notions d’impuissance et de faiblesse, toute veuve, en raison de la faiblesse de son sexe, pouvait être considérée comme « pauvre » et donc digne de secours, quelle que fût la valeur de son patrimoine. 464 Les « pauvres veuves » accuellies dans les hôpitaux de « bonnes femmes » n’étaient donc pas nécessairement incitées à s’y rendre par un état de privation matérielle.

Ces réfléxions soulèvent deux questions relatives à l’exclusion que pouvait entraîner la sociabilité fondée sur les qualités reconnues aux « bons hommes » et aux « bonnes femmes. » La première question concerne la condition socioéconomique des « bonnes femmes » des communautés parisiennes : ces femmes étaient-elles toutes veuves et, si cela était le cas, risquaient-elles véritablement de tomber dans le besoin après la mort de leurs époux ? Les analyses que nous avons développées dans le chapitre précédent nous fournissent déjà des premiers éléments de réponse à cette interrogation : en effet, la communauté d’Etienne Haudry réunissait d’anciennes chambrières, dont on peut penser qu’elles disposaient de peu de ressources, et des veuves de marchands aisées, qui jouissaient vraisemblablement d’un train de vie correcte. Cette diversité nous amène à poser une deuxième question. Les femmes aisées, partageaient-elles vraiment les mêmes conditions de vie dans l’hôpital que les femmes modestes ? Autrement dit, ce regroupement de femmes de milieux différents dans la même communauté, entraînait-il une intégration totale, de telle sorte que les distinctions sociales qui divisaient les femmes avant qu’elles se soient rendues à l’hôpital, étaient supprimées ? Nous nous appliquerons à approfondir ces interrogations dans les pages suivantes.

Notes
462.

Voir supra, chapitre 1, p. 22-23.

463.

Mt 5 :1. Sur la notion de la pauvreté au Moyen-Age voir les articles clés de Jean LECLERCQ, « Pour l’histoire du vocabulaire latin de la pauvreté », dans Mélangres Mgr Pierre Dib, no 1 et 2, 1967, p. 293-308 ; et « Aux origines bibliques du vocabulaire de la pauvreté », dans Michel MOLLAT, éd. Etudes sur l’histoire de la pauvreté, t. 1, Paris, 1974, p. 35-43.

464.

Nous développerons ces propos en profondeur dans la sous-partie suivante, références à l’appui.