Conclusion

L’analyse que nous avons développée dans ce chapitre ne remet pas en question le sens plutôt spirituel de la pauvreté au Moyen-Age. On donnait des aumônes aux « bonnes femmes », non qu’elles aient été indigentes, mais parce qu’elles étaient veuves, et donc faibles, et parce qu’elles étaient « pauvres en esprit. » Cependant, il se trouve que ces motifs entraînaient l’accueil d’un certain nombre de veuves qui auraient vraiment été exposées à l’indigence si elles n’avaient pas trouvé de places dans les hôpitaux de bonnes femmes. Les qualités qui rendaient une femme digne de réception dans un tel hôpital n’étaient donc pas l’aisance, mais plutôt une réputation de bonne vie et de bonnes mœurs

Ainsi, la population de ces hôpitaux englobait deux groupes : veuves de maîtres, qui pouvaient reprendre les ateliers de leurs maris décédés ou, au demeurant, vivre confortablement des rentes acquises grâce au placement des bénéfices tirés du commerce ; et veuves de valets ou de travailleurs non-qualifiés, femmes qui ne pouvaient pas apprendre les métiers de leurs maris et qui devaient donc se contenter des activités mal rémunérées que les femmes pouvaient apprendre indépendamment de la tutelle masculine. De plus, faute de revenus suffisants, ces couples ne pouvaient pas constituer de patrimoines immobiliers d’une ampleur suffisant pour que la femme puisse se passer des revenus de son mari. Aussi ces veuves risquaient-elles de connaître de vraies privations matérielles. Toutefois, à la différence des Filles-Dieu et des béguinages, les hôpitaux de bonnes femmes n’acceptaient pas, en principe, les femmes célibataires, critère qui favorisait sans doute l’exclusion de femmes qui souffraient souvent de graves difficultés matérielles.

Hormis cette exclusion, la diversité qui marquait les bonnes femmes se rapproche de celle des deux institutions semblables. Cependant, comme nos sources ne nous permettent pas de chiffrer le nombre de bonnes femmes dans les deux milieux étudiés, nous devons admettre notre incertitude vis-à-vis de l’ampleur de l’assistance fournie par ces communautés. Cette distinction entre les deux groupes sociaux, veuves de maîtres et autres veuves, se doublaient d’une inégalité dans les conditions sous lesquelles les femmes vivaient au sein des hôpitaux. A en juger des indices concernant les hôpitaux d’Etienne Haudry et de Sainte Avoye, certaines femmes aisées disposaient donc d’appartements privés et possédaient des biens propres dont elles ne partageaient pas les revenus avec leurs sœurs moins fortunées. Celles-ci, en revanche, vivaient en dortoir ou en cellules et vivaient des distributions alimentaires et vestimentaires dérivées des revenus communs.

Les critères moraux qui faisaient obstruction aux filles célibataires et le clivage socioéconomique entre les deux groupes de « bonnes femmes » que nous avons identifiés nous amènent donc à affirmer l’hypothèse que nous avons avancée à la suite de notre lecture des textes littéraires et didactiques. La notion de la « bonne femme » unissait des personnes qui se trouvaient sur des échelons différents de l’hiérachie sociale, tout en éloignant celles qui étaient situées en bas de l’échelle.