Troisième fils d’Etienne Haudry I, Etienne II avait précisé dans une première version de son testament, daté de 1346, que ses exécuteurs devraient affecter 20 livres de rente annuelle à une nouvelle chapellenie. Le titulaire de ce bénéfice serait obligé de célébrer, dans la chapelle des bonnes femmes, 4 messes par semaine au profit de son âme et celles de ses héritiers. 682 Ainsi les premières dispositions prises par Etienne le fils pour s’occuper de son salut suivent la même logique que celles de son père et de son frère aîné. C’est donc la multiplication de messes au moyen d’une chapellenie qui doit assurer son salut et il incombe vraisemblablement à ses descendants, qui seront eux aussi bénéficiaires des messes, d’entretenir cet œuvre.
Cependant, Etienne n’aura pas d’héritiers en ligne directe : sa femme, Marie de Saint-Benoît, meurt en 1349. 683 L’année suivante, Etienne supprime son premier testament en faveur d’une deuxième version, qui ne fait aucune mention de descendants. Grâce à ces nouvelles dispositions, l’hôpital reçoit tous ses acquêts, à condition que le gouverneur engage un prêtre de langue française pour célébrer une messe quotidienne dans la chapelle, à l’intention du testateur et de tous les fidèles défunts. 684 Malgré le maintien d’une disposition destinée à multiplier les messes célébrées pour l’âme d’Etienne, ce deuxième testament est beacoup plus généreux envers les bonnes femmes. Son exécution, effectuée en 1351, atteste en effet qu’elles allaient recevoir 61 livres, 10 sous de rente, la propriété de deux maisons situées dans la Cité, rue de la Pelleterie, et 11 arpents et demi de terres agricoles à Charonne et à Charenton. Le compte de 1353-1354 révèle que sur tous les revenus résultant de ce don, seuls 20 livres furent retirés pour payer les messes que le testateur avait demandées. 685
Les différences entre les deux testaments d’Etienne témoignent donc du changement qui se produisit lorsqu’il se rend compte qu’il ne aura pas de descendants. Dès lors, la multiplication de messes d’intercession joue toujours un rôle dans sa stratégie, mais il consacre davantage de biens à l’hôpital qu’aux chapelains. Il est vrai que, à la différence de Marie la Gossequine, il ne prescrit pas de distributions précises et ne manifeste pas ce souci de coordonner la liturgie et les prières des « bonnes femmes. » Néanmoins, étant donné la donation ample qu’elles reçoivent, Etienne escomptait sans doute bénéficier de leurs suffrages. De plus, les bonnes femmes semblent avoir assumé le devoir qui auraient été à la charge du lignage : assurer les versements d’argent nécessaires à faire célébrer les offices commandés par leur bienfaiteur. Les comptes de l’hôpital témoignent de ce suivi car tous les biens donnés par Etienne sont intégrés dans le patrimoine de l’hôpital. De plus, les dépenses effectuées pour payer ses messes sont aussi comptabilisées, ce qui prouve qu’Etienne n’avait pas créé un bénéfice particulier : ce sont tous les prêtres de la chapelle, plutôt qu’un chapelain qui sert lui seul et qui perçoit directement les rentes en question, qui reçoivent les 20 livres et célébrent les messes. En revanche, ni les messes commandées par le père et par le frère d’Etienne, ni les rentes affectées au financement de ces offices ne sont comptabilisées.
Nous verrons dans la deuxième partie de ce chapitre qu'en veillant à la célébration des messes demandées par Etienne le fils et leurs autres bienfaiteurs, les "bonnes femmes" ne s'en tenaient pas simplement à verser aux chapelains les sommes consacrées aux messes. Elles étaient aussi capables de contraindre leurs chapelains à célébrer les messes prévues par leurs bienfaiteurs.
Il semble donc que dans la famille d’Haudry la confiance accordée au lignage était le facteur clé, qui déterminait quelle valeur un bienfaiteur accordait aux suffrages des « bonnes femmes. » Nous disposons aussi de renseignements concernant les dispositions prises par deux autres fondateurs, Constance de Saint Jacques et Jehan Roussel. Contrairement à Etienne Haudry, ces deux fondateurs n’appartenaient pas au milieu échevinal et ne pouvait envisager d’établir un lignage. L’examen de leurs comportements en tant que fondateurs nous permettra donc de vérifier notre hypothèse.
AN S *4634, fol. 34 (l): “Et sur tous ses autres biens meublez et non meublez pour la sustentacion d’un chappellain qui sera tenus de célébrer chascune semaine iiii messes et pour l’âme du dit estiene et de ses hoirs, en la chappelle du dit estiene fondée en Grève …xx livres… »
L’exécution de son testament, à la charge de son mari, date de cette année (AN 414, no 12.) Mourut-elle de la Peste Noire ?
AN L 1043, no 31 : « Item legavit dictus testator et pura elemosina dedit omnes alias hereditates suas de conquestu sue ubicumque existentes hospitali defuncti Stephani haudrici patris sui fundatur in gravia, ita tamen quod magister seu gubernator dicti hospitalis tenebitur facere qualibet die in perpetuum in capella dicti hospitalis per aliquem presbiterum de lingua francie celebrare unam missam ob Remedium anime dicti testatoris et anime omuium fidelium defunctorum. »Ce document est en fait un vidime de l’official de Paris comportant un extrait du deuxième testament suivi de son exécution, où sont précisées les rentes affectées au soutien de l’hôpital et aux messes. Un seul élément de cette demande reste obscur : pourquoi Etienne exige-t-il que le prêtre qui célébrera ses messes soit « de langue française ? » Exigence étrange, étant donné que la messe était célébrée en Latin, que tout prêtre, peu importent ses origines, pouvait parler. En revanche, les sermons prononcés devant des laïcs étaient prêchés en langue vernaculaire. De ce fait, il semblerait qu’Etienne ait prévu que des laïcs viendraient aux messes qu’il demandait et voulait assurer que l’homilie qui, vraisemblablement, accompagnait la liturgie allait être compréhensible aux Parisiens.
AN S 4633B, no 7.