Conclusion générale

Où en sommes-nous arrivé, dans l’examen de notre hypothèse selon laquelle les communautés de « bonnes femmes » étaient une manifestation du mouvement religieux laïc, inspiré de l’idéal de la vie apostolique ? L’étude lexicale que nous avons effectuée a démontré que le terme « bonne femme » dérivait de vocables masculins employés dans des milieux laïques pour désigner des individus, auxquels étaient reconnus des qualités morales et spirituelles ou un savoir technique ou pratique, tels que l’excellence guerrière ou l’expertise juridique. Chevaliers, ermites grandmontains, témoins experts, membres de jurys et maîtres artisans pouvaient donc tous être désignés comme des « bons hommes » ou, de manière équivalente, comme des « prud’hommes. » Au XIIIe siècle, ces termes ont acquis un sens de plus en plus spirituel. Chevaliers, ermites ou dissidents religieux étaient considérés comme des « bons hommes » ou des « prud’hommes » grâce à leur discipline spirituelle.

Dès le XIVe siècle, les qualités reconnues aux « bons hommes » et aux « prud’hommes » semblent connaître une certaine banalisation. Bien que ces qualités gardent leur caractère moral et spirituel, elles ne sont plus réservées aux individus exceptionnels. Le sujet idéal du roi, le confrère de « bonnes mœurs » et « bonne conversation », le « pauvre honteux » et le « pauvre ménager » sont ainsi assimilés aux « bons hommes » et aux « prud’hommes. » Ainsi, on voit que ces dénominations relèvent d’une sociabilité qui entraîne des formes d’exclusion, particulièrement visibles à travers les comportements caritatifs : la situation des personnes qui étaient complétement démunies, n’ayant pas de travail, ni domicile, ni famille, donne prise au soupçon. Par conséquent, ces malheureux reçoivent moins d’aumônes et sont ainsi mis au ban de la société car l’aumône symbolisait les liens qui unissaient riches et pauvres, puissants et humbles, le haut et le bas de la hiérarchie sociale.

Les versions féminines semblent avoir subi une banalisation semblable. Les noms « bonne dame » et « preude femme » étaient donnés surtout à des femmes nobles, mères de lignages chargées d’assurer la transmission de la vertu guerrière à leur descendance. Cependant, l’usage du terme « bonne femme » signale que les vertus reconnues aux épouses et aux veuves s’étendaient à des femmes issues de milieux sociaux plus modestes. Ainsi, toute femme qui se montrait soumise vis-à-vis de son époux et de Dieu, remplissait ses devoirs conjugaux et collaborait avec Dieu pour assurer le salut du mari et des enfants était une « bonne femme. » Or, certains textes laissent penser que cet élargissement d’usage était préjudiciable aux femmes issues des couches inférieures de la population, telles que les servantes domestiques. Par une logique inverse, le raisonnement à leur propos laissait entendre que, comme elles n’étaient pas maîtresses de leurs propres maisons, leur passé devait cacher une tare quelconque.

Bien que les écrits ecclésiastiques se soient ce vocabulaire, le trait commun qui se dégage de tous ces usages est que la qualité de « bon homme » ou de « bonne femme » dérive de la réputation de l’individu, qui dépendait de la reconnaissance de ses voisins et proches. Ce lien, entre la réputation d’une personne et la façon dont les membres de son entourage la percevait, transparaît de manière particulièrement nette à travers les lettres de rémission, documents que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer. Selon les formules employés dans ces textes, c’est grâce à la supplique présentée par les « amis charnels » du condamné que le roi se laissait persuader d’accorder son pardon au délinquant. De plus, ces amis invoquaient souvent le caractère singulier du crime et affirmaient que, exception faite de l’incartade qui avait donné lieu à sa condamnation, leur proche avait toujours été une personne « bonne », de « bonne vie, renommée et honneste conversacion. »891 Même si les caractéristiques du « bon homme » ou de la « bonne femme » étaient en partie définies par des théologiens et des prédicateurs, ce sont donc des laïcs qui décidaient quels individus remplissaient les critères établis.

Les indices concernant l’ensemble des communautés de « bonnes femmes » parisiennes attestent que celles-ci présentaient des traits semblables à ceux des « bons hommes » et « bonnes femmes » que l’on rencontre ailleurs : d’une part, dans les textes littéraires et didactiques, d’autre part, dans les documents de la pratique qui révèlent le système de valeurs ayant cours dans les sociétés du Nord de la France et du Midi. Les fondateurs de ces communautés exigeaient que les femmes fussent des veuves, ce qui démontre qu’ils cherchaient à aider des femmes dignes d’aumônes car le mariage était considéré comme la condition essentielle d’une femme honnête. Le profil social et professionnel des fondateurs, qui appartenaient ou étaient liés aux milieux marchands et artisanaux, et la concentration des communautés dans les quartiers marchands, laissent penser que les « bonnes femmes » avaient noué des rapports étroits avec un groupe socioéconomique bien précis. Ainsi, elles étaient liées durablement au milieu qui les entourait, tout comme les « bonnes femmes » et les « bons hommes » de la dissidence méridionale. Composées uniquement de "données" et unies par une éthique d’entraide, les communautés de « bonnes femmes » relevaient d’une conception de la charité selon laquelle l'on portait secours d’abord aux proches et aux voisins. Ainsi, on pouvait s’assurer de l’honnêteté de ceux qui faisaient l'objet de la charité et donc de l’efficacité des aumônes distribuées.

L’étude du réseau social de l’hôpital d’Etienne Haudry nous a permis de confirmer ces hypothèses. Il est apparu que des rapports de parenté, de voisinage et de métier unissaient les « bonnes femmes » et les bienfaiteurs de cette institution. Ces liens attestent que l’institution était ancrée dans des milieux sociaux imbriqués, indice de l’éthique d’entraide et des critères de réputation et d’honnêteté sur lesquels le recrutement de la communauté était fondé. Cette éthique admettait une mesure de diversité dans le profil socioéconomique des « bonnes femmes. » Certaines étaient des femmes de maîtres artisans et de commerçants plutôt aisés, mais d’autres semblent avoir été les femmes d’ouvriers ou de valets, qui ne pouvaient pas apprendre le métier de leurs maris et reprendre la boutique ou l’atelier dans leur veuvage. Pour compléter les salaires de leurs époux et pour vivre après la mort de leur conjoint, elles étaient donc obligées de travailler dans les professions féminines, souvent mal rémunérées : cardage et filage de laine, tissage et filage de soie. Aussi étaient-elles réellement exposées à la précarité dans leur veuvage, sans le soutien de leur mari. D’autres communautés, notamment celles de Sainte Avoye, des « Marcel », de Jean Roussel et du béguinage, étaient situées dans les quartiers où la production textile était concentrée, ce qui laisse penser que l’hôpital d’Haudry n’était pas le seul à accueillir des femmes qui travaillaient dans ce domaine.

Cependant, la préférence accordée aux veuves, aux dépens des femmes célibataires, portait préjudice à la catégorie sociale la plus vulnérable à l’indigence. Le souci de n’admettre que des femmes de « bonne vie et conversation » entraînait donc l’exclusion de certaines, dont le célibat était nuisible à leur réputation. Même au sein des communautés de « bonnes femmes », nous pouvons déceler un défaut de solidarité. Il est clair, en effet, que certaines femmes aisées ne partageaient pas la vie commune des autres « bonnes femmes. » Ce sont probablement les moins fortunées qui dormaient dans un dortoir et prenaient leurs repas en commun, tandis que d’autres, plus riches, s’arrangeaient pour préserver dans une certaine mesure la vie confortable qu’elles menaient avec leurs époux. Ainsi, des chambres privées leur étaient aménagées et elles continuaient à jouir de leurs biens en usufruit viager.

La fonction religieuse des « bonnes femmes » des communautés parisiennes était également semblable aux devoirs spirituels qui, d’après les auteurs littéraires et didactiques, incombaient aux « bonnes femmes. » Celles-ci devaient en effet s’occuper du salut de leur famille en s'adonnant aux œuvres pieuses : aumônes et prières. Les « bonnes femmes » de Paris assuraient un double service au profit des âmes de leurs bienfaiteurs, qui constituaient un réseau de soutien horizontal, assis sur des liens, non seulement de parenté, mais aussi de métier et de voisinage. D’une part, elles participaient à une commémoration collective destinée à créer une fraternité de prière, à laquelle leurs bienfaiteurs étaient associés. Cette commémoration complétait les messes anniversaires d’intercession fondées par ceux-ci, offices qui étaient célébrés par les chapelains et auxquels les « bonnes femmes » assistaient. D’autre part, les femmes surveillaient les chapelains, pour assurer la perpétuité de l’intercession et de la mémoire terrestre que leurs bienfaiteurs cherchaient à se procurer. Cette double fonction témoigne de la complémentarité des messes et des formes de suffrages liées aux collectivités dans les dispositions prises par les Parisiens pour assurer leur salut.

Cette fonction spirituelle se distingue de celle des autres veuves, telles que les hagiographes et les moralistes la concevaient. La veuve noble qui se retirait dans un couvent contribuait bien sûr à une œuvre collective, destinée à assurer le salut de tous les chrétiens, mais les bénéficiaires principaux de ses suffrages étaient son mari décédé et son fils, ses principaux protecteurs, notion qui relevait d’une conception lignagère de la famille. En revanche, les « bonnes femmes » parisiennes appartenaient à un milieu où le lignage n’était pas de mise. Par conséquent, les bénéficiaires de leurs suffrages n’étaient pas simplement leur époux et leurs enfants, mais aussi tous les membres des réseaux horizontaux auxquels elles appartenaient et au sein desquels des rapports de parenté, de voisinage et de métier étaient imbriqués. La fonction spirituelle des « bonnes femmes » de Paris était donc fondée sur une sociabilité particulière aux milieux d’artisans et de commerçants.

Tout en manifestant des caractéristiques originales, nos communautés de « bonnes femmes » ressemblaient aux autres femmes religieuses, celles qui ne quittaient pas le siècle aussi bien que les moniales. Le statut de « données », une vocation caritative, une tenue sobre et la fréquentation accrue des offices sacrés étaient tous autant de comportements partagés par les « bonnes femmes », les béguines et les pénitentes laïques. De plus, parmi les « bonnes femmes » et bienfaiteurs de l’hôpital d’Etienne Haudry, figuraient un certain nombre de béguines et de personnes dont les comportements s’assimilaient à ceux des pénitents laïcs.

Les idées concernant le rôle de la femme dans la famille et dans la société marquaient aussi le caractère de toutes les communautés féminines, y compris les couvents, les béguinages et les maisons de « bonnes femmes. » Cet encadrement familial se manifestait dans les rapports proches que les lignages aristocratiques gardaient avec les filles qu’ils avaient placées dans les couvents. Les maisons des « bonnes femmes » de la dissidence languedocienne étaient habitées par des femmes âgées qui assuraient l’éducation d’adolescentes issues des mêmes familles qu’elles. Les contraintes auxquelles les femmes étaient assujetties entraînaient également toutes les communautés de femmes religieuses dans une évolution commune. La vie apostolique, telle que les hommes la menaient, était en effet interdite aux femmes car l’on considérait que les femmes ne devaient pas mendier ni vivre sans domicile fixe. Par conséquent, les femmes qui insistaient pour mener à fond cette vie ou qui étaient contraintes de le faire par la persécution, disparurent. Seules les communautés bien encadrées, dont l’organisation s’assimilait à un couvent, survécurent, comme l’illustre la réhabilitation des grands béguinages aux Pays-Bas.

Les convenances qui régissaient la vie religieuse des femmes semblent aussi avoir joué un rôle indirect dans la disparition de toutes les communautés de « bonnes femmes » de Paris au cours du XVe siècle, sauf les hôpitaux d’Etienne Haudry et de Sainte Avoye, qui étaient dotés de statuts écrits et d’une surveillance masculine. Les crises successives qui frappèrent la capitale pendant cette période perturbèrent gravement sa vie économique et sociale et provoquèrent la fuite d’une grande partie de sa population. Les réseaux de soutien informel qui permettaient aux communautés de « bonnes femmes » de survivre en temps normal furent donc dispersés. Seules les deux communautés que nous avons évoquées semblent avoir réussi à constituer de nouveaux réseaux, grâce vraisemblablement à leur organisation plus formelle, de nature à rassurer des bienfaiteurs potentiels qui ne connaissaient pas les femmes vers qui allait leur générosité.

Notre étude confirme donc le bien-fondé de la démarche adoptée par une succession d’historiens qui ont cherché à mettre en évidence le caractère particulier de la spiritualité des femmes au Moyen-Age. Cette démarche consiste à approfondir notre compréhension de cette spiritualité en replaçant la femme dans son environnement social. Les ouvrages pionniers sur la sainteté féminine au Bas Moyen-Age ont en effet démontré que l’on attribuait aux femmes une spiritualité qui se distinguait de celle des hommes. Caroline Bynum et André Vauchez ont en effet démontré que le caractère fondamental des pratiques et des images relatives au jeûne et à la nourriture, d’une part, et le rôle central des femmes laïques dans l’élaboration de la notion de la sainte femme, d'autre part, s’expliquent par les horizons étroits dans lesquels la vie de la femme se déroulait : dans la plupart des cas, le foyer et la sphère du privé. 892 L’examen des facteurs socioéconomiques dans le cadre d’une étude régionale a également ouvert de nouvelles perspectives sur la spiritualité féminine. Ainsi, tous les travaux sur le mouvement des béguines aux anciens Pays-Bas démontrent que la spécificité de ce mouvement (le nombre très élevé de béguines dans la région, la longévité de certaines communautés et le mysticisme de certaines femmes exceptionnelles) tient aux caractéristiques particulières de ces pays. 893

De même, en exposant le caractère horizontal des liens sociaux qui unissaient les « bonnes femmes » de Paris et les membres de leur entourage, nous avons pu mieux comprendre la façon dont les particularités de leur milieu influaient sur la façon dont elles remplissaient les devoirs spirituels de la femme. La méthode que nous avons adoptée, consistant à croiser des données tirées de sources concernant non seulement la vie religieuse mais aussi la vie sociale, afin de mieux élucider le caractère des phénomènes religieux, a donc fait ses preuves et continue d’approfondir encore plus la compréhension de la vie religieuse au Bas Moyen Age : en témoignent les travaux récents sur la dissidence religieuse dans le Midi, recherches que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer. 894

Certes, la méthode que nous avons employée ne sera pas toujours possible de mettre en application, faute de sources appropriées. Les fonds concernant les hôpitaux de « bonnes femmes » n'étaient pas à eux seuls assez riches pour nous permettre de mettre en évidence les rapports que ces institutions avaient noués avec leurs voisins. De plus, la tâche de reconstituer ces réseaux était d'autant plus difficile que les personnes qui nous intéressaient étaient de milieux sociaux moyens ou modestes et laissèrent donc moins de traces dans les documents que les élites. Les données complémentaires que nous avons cueillies en dépouillant les registres de la taille du règne de Philippe le Bel nous ont donc été indispensables. Or, malgré leur richesse, ces sources ne permettent pas de percevoir la dimension spirituelle de la sociabilité à laquelle les « bonnes femmes » participaient. Seuls les textes littéraires et didactiques, ainsi que les travaux sur les « bons hommes » et « bonnes femmes » de la société méridionale, nous ont permis de comprendre pleinement la portée des documents concernant la fonction sociale et religieuse des « bonnes femmes » parisiennes.

Pourtant, l'ensemble des ces sources n'a que partiellement élucidé le phénomène que nous avons étudié. Les documents concernant l'hôpital Haudry sont de loin les plus riches et par conséquent ils ont fourni le trame des analyses que nous avons développées. Certes, nous avons pu compléter les données tirées du fonds de cet hôpital en nous appuyant sur les dossiers, moins riches mais intéressants tout de même, d’autres communautés similaires. Il n'en reste pas moins vrai que certains groupes de « bonnes femmes » ne sont guère évoqués dans les sources, lacune qui limite forcément le poids de nos conclusions. Au cours de notre étude nous avons aussi fait référence aux confréries, institutions qui jouaient un rôle central dans la vie religieuse des Parisiens. Ces associations, comme les communautés de « bonnes femmes », étaient fondées sur le principe de l'entraide et assumaient souvent le rôle de fraternités de prière destinées à assurer le salut des membres. La poursuite de travaux sur ces groupes permettrait sans doute d’approfondir nos conclusions concernant le rôle de la notion de fraternité dans les pratiques caritatives des Parisiens.

Tout en soulignant la spécificité des communautés parisiennes de « bonnes femmes », nous nous sommes aussi efforcé de démontrer qu'elles représentaient une manifestation particulière d'un développement général : l'assimilation par les laïcs de l'idéal de la vie apostolique. Une autre caractéristique des communautés de « bonnes femmes » se rapporte également à un phénomène plus général : la fondation de la sociabilité sur la réputation et les mœurs, critères qui pouvaient amener, soit à l'intégration ou à la réintégration d'un individu dans la société, soit à son exclusion. L'histoire de ces communautés renvoie donc à des comportements qui étaient les signes avant-coureurs de ce que Bernard Chevalier a appelé « la ville policée. » Selon cet auteur, le champ d'action de la justice dans les villes s'élargit à partir du XVe siècle. Désormais, la justice urbaine assuma de véritables pouvoirs de police, s'occupant non seulement du châtiment des criminels, mais aussi de la prévention et de la protection. En même temps, la municipalité multiplia ses compétences, si bien qu'elle vint s'intéresser à tout ce qui pouvait toucher au bien commun : voies, hygiène, marchés et assistance, par exemple. 895 L'une des conséquences de cette surveillance accrue était l'adoption d'une politique plus dure à l'égard des marginaux, perçus de plus en plus comme des menaces à l'ordre public. 896 D'où la multiplication de mesures telles que les arrêts promulgués par le Parlement de Paris en 1473 et 1494, qui eurent recours à l'expulsion et aux travaux forcés pour faire face aux chômeurs valides et aux autres individus perçus comme oisifs, inutiles ou dangereux. 897

Or, dans la période antérieure, les responsabilités policières, dont la justice urbaine allait s'emparer, incombaient surtout aux solidarités urbaine, notamment la famille, le métier et la confrérie. Dénoncer les criminels et les traduire devant la justice, d'une part, et faire l'aumône, d'autre part, étaient les tâches des proches, des parents et des voisins, bien que les institutions ne fussent pas inactives dans ces domaines, notamment en ce qui concernait l'assistance. Le jugement favorable de leurs proches, de leurs parents et de leurs voisins, qui permettait à certaines veuves parisiennes de se rendre à une communauté de « bonnes femmes », tenait donc à ces usages par lesquels la communauté urbaine veillait au bien commun de ses membres. De même, la tendance à exclure de ces hôpitaux certaines femmes, dont la vie n'était pas conforme aux valeurs résumées par l'expression « bonne vie et conversation », annonçait ce durcissement à l'égard de ceux dont les comportements déviaient des normes.

La disparition au cours du XVe siècle des communautés de « bonnes femmes » parisiennes qui n’étaient pas dotées d’un encadrement institutionnel était aussi une conséquence de ce durcissement. Vivant dans une société urbaine à la recherche de sécurité et de stabilité après un demi-siècle de guerre civile et d’occupation par des pouvoirs étrangers, les résidentes de ces communautés éprouvaient probablement de grandes difficultés à trouver des voisins bienveillants : comme elles pratiquaient la vie apostolique sans organisation formelle, elles paraissaient probablement instables et dangereuses aux yeux des citoyens rendus plus méfiants à l’égard de ceux qui, dans leurs comportements, semblaient dévier des normes admises. Cette apparence d’instabilité était probablement fortement préjudiciable aux « bonnes femmes » vivant hors des communautés organisées au XVe siècle. Si ces femmes représentaient une adaptation de l’idéal de la vie apostolique à un milieu laïc particulier, elles étaient aussi emblématiques de la fragilité de cette forme de vie, lorsque celle-ci était en décalage avec son environnement social.

Notes
891.

GAUVARD, op. cit., t. I, p. 63, t. II, p. 881.

892.

BYNUM, op. cit., p. 277-302 ; VAUCHEZ, La sainteté en Occident…op. cit., p. 445-46.

893.

Voir supra, notre introduction.

894.

Voir supra, chapitre 1.

895.

Bernard CHEVALIER, Les bonnes villes de France, Paris, 1982, p. 221-38.

896.

Ibid., p. 235-37 ; MOLLAT, Les pauvres…op. cit., p. 303-53 ; Walter PREVENIER, « Conscience et perception de la condition sociale chez les gens du commun dans les anciens Pays-Bas du XIIIe et XIVe siècles », dans Le petit peuple dans l’Occident médiéval. Terminologies, perceptions, réalités, Paris, 2002, p. 180-84 ; Alessandro STELLA, « ‘Ciompi…gens de la plus basse condition…crasseux et dépenaillés’ : désigner, inférioriser, exclure », Le petit peuple…op. cit., p. 145-52.

897.

CHEVALIER, op. cit., p. 236.