L’objet de cette annexe est d’étayer nos propos concernant les différences entre les légs faits par les Parisiens aux religieux et aux religieuses (voir supra, chapitre 6, p. 244). Ces propos s’appuient sur l’analyse de 30 testaments parisiens. C’est un nombre très limité par rapport aux milliers de testaments dépouillés par certains auteurs afin d’étudier les comportements pieux des populations d’autres villes et régions. Les raisons pour lesquelles nous nous en sommes tenus à un échantillon si réduit sont diverses.
D’abord, les testaments sont très difficiles à réperer dans les archives parisiennes, difficulté qui tient aux méthodes d’authentification des actes privés qui prévalaient dans la capitale aux XIIIe-XIVe siècles. Deux juridictions gracieuses, celles de l’official de l’évêque de Paris et du prévôt royal, produisirent la quasi-totalité des actes privés relatifs à la population urbaine. 937 Selon le principe de la juridiction gracieuse, c’était le sceau apposé par un seigneur ou par son représentant qui investissait l’acte privé de sa valeur juridique. Dès lors, la minute à partir de laquelle l’acte était produit perdait toute sa valeur et n’était donc pas conservée. En revanche, les notaires du Midi enregistraient leurs minutes à partir des notes prises lors des auditions de transactions et en faisaient des expéditions sur la demande des clients. Ce système permettait donc la création de multiples copies conformes à partir de la même minute. Puisque la minute gardait sa valeur, les registres notariaux subsistent en nombre grandissant depuis le milieu du XIII siècle, ce qui facilitent le repérage de tout genre d’acte privé concernant les habitants des villes méridionales, y compris les testaments.
Dans le Nord, la création du tabellionat, système selon lequel les actes privés étaient scellés par un délégué royal dans chaque prévôté, détermina l’enregistrement des minutes dans certaines villes, notamment en Normandie, dès le milieu du XIVe siècle. Ailleurs, et notamment à Paris, ou le notariat du Châtelet de Paris tenait à des conceptions moins avancées, il fallut attendre la fin du XVe siècle pour que des minutiers fussent conservés. La plupart des actes privés concernant les habitants de Paris de la période antérieure sont donc conservés dans les vastes fonds ecclésiastiques, dont la plupart manquent de répertoires détaillés. Puisque nous nous intéressons surtout au XIVe siècle, cette situation représentait un inconvénient majeur ; afin de trouver des testaments dans la plupart des fonds, il aurait fallu chercher dans des centaines de cartons, sans aucune assurance de succès. Faute de temps, nous nous en sommes tenus donc à nous servir des testaments signalés dans les répertoires des fonds hospitaliers et de la série L des Archives Nationales, qui décrivent chaque pièce, ainsi que dans les ouvrages secondaires. 938
Les contraintes imposées par notre sujet, à savoir, les rapports entre les bonnes femmes et les milieux d’artisans et de commerçants, a entraîné l’écart d’autres testaments. La série M des Archives Nationales, où sont regroupés les actes relatifs aux fondations de collèges, recèle en effet bon nombre de testaments. Cependant, les testateurs en question n’appartenaient pas à la population qui nous intéressent : ils étaient le plus souvent membres du haut clergé, chanoines, clercs royaux ou membres de la famille royale. 939 Les testaments enregistrés par le Parlement de Paris sous le règne de Charles VI nous sont inutiles au même titre car ils concernent surtout le personnel de l’administration royale. 940
Pour peu nombreux qu’ils soient, les testaments qui correspondent à nos critères nous sont utiles car l’objectif de notre analyse est modeste : nous ne tentons pas de tracer l’évolution, sur toute la période traitée, des comportements pieux et des croyances dont ils procédaient, ce que Jacques Chiffoleau a pu faire dans son étude célèbre, fondée sur les riches archives notariales d’Avignon et du Comtat Venaissin. 941 Voici une liste des testaments que nous avons consultés :
Archives nationales :
Archives de l’Assistance publique,
Fonds de l’Hôpital Saint Jacques aux pèlerins :
Fonds de l’Hôtel-Dieu :
Archives des Quinze-vingt
Imprimés
Sur le fonctionnement de toutes les institutions évoquées ci-dessous, voir Robert-Henri BAUTIER, « L’authentification des actes privés dans la France médiévale. Notariat public et juridiction gracieuse », Notariado publico y documento privado, de los origines al siglo XIV. Actas del VII Congreso Internazional de diplomatica, Valencia, 1986, Valencia, 1989, t. II, p. 701-72.
Des inventaires concernant certains fonds hospitaliers furent publiés dans la série Inventaire-sommaire des archives hospitalières antérieures à 1790 : sur l’Hôtel-Dieu voir M. A. HUSSON, Ibid., t. I-II, Hôtel-Dieu, Paris, 1866, 1884 ; sur l’hôpital de Saint Jacques aux pèlerins, voir Michel MÖRING,Ibid.,t. III, Paris, 1886 ; sur l’hôpital des Quinze-Vingt, voir J. B. MAROT, Ibid., les Quinze-Vingts, Paris, 1867. Les inventaires concernant la série L sont consultables aux Archives Nationales. Je remercie Sharon Farmer, qui m’a fourni une liste des testaments des XIIIe-XIVe siècles qu’elle avait trouvés grâce à ces sources. J’ai ensuite complété cette liste par mes propres recherches dans les mêmes fonds.
Astrik L. GABRIEL, The College System in the Fourteenth-Century Universities, Baltimore, MD, 1959, p. 6.
Certains testaments de cette série ont été publiés dans Alexandre TUETEY, « Testaments enregistrés au Parlement de Paris sous le règne de Charles VI, » Collection de documents inédits sur l’histoire de France. Mélanges historiques. t. 3, Paris, 1880 ; sur les testateurs, voir Danielle COURTEMANCHE, Œuvrer pour la postérité. Les testaments parisiens des gens du roi au début du XV e siècle, Paris, 1991.
CHIFFOLEAU, op. cit.
Nous avons consulté le testament de Simon, bien qu’il ait été chanoine : sa famille, les « Piz d’oie », appartenait à la bourgeoisie échevinale. Sur cette famille, voir BOVE, Dominer la ville…op. cit., t. III, p. 1031-32.