1.2.3. L'éclairage métapsychologique

Le terme de métapsychologie, créé par Freud vers 1898, désigne la psychologie qu'il a fondée, considérée dans sa dimension la plus théorique. Freud construit ce mot en analogie avec celui de métaphysique, discipline qui transcende la physique. Cette particularité mérite attention : le nom de métaphysique, inventé par les Grecs, est le reflet de la perplexité des philosophes devant une forme de connaissance qu'ils ne savaient pas nommer. A l'origine, la Métaphysique d'Aristote était une collection de plusieurs traités. Les successeurs du philosophe, souhaitant en faire un ouvrage unique et considérant qu'il devait être lu après la Physique lui donnèrent le nom de Meta Ta phusica : Meta, après, Ta phusica, "les choses de la nature, la physique", devenu en latinmetaphysica. Le terme de métapsychologie porte la trace de ces deux aspects. Il signifie la tentative scientifique d'aller au-delà de la psychologie et donne à entendre la longue maturation nécessaire à l'élaboration d'une nouvelle discipline.

En 1900, Freud dans L'interprétation des rêves propose un premier modèle métapsychologique complet, constitué des trois systèmes "inconscient, préconscient et conscient". Quinze ans plus tard, il réalise partiellement le projet d'écrire des Eléments pour une métapsychologie en vue d'approfondir le système psychanalytique qu'il a progressivement élaboré. Selon ses travaux, la métapsychologie est un ensemble de modèles conceptuels distants de l'expérience, se situant dans l'articulation entre rationnel et irrationnel et prenant en compte trois points de vue : topique, dynamique et économique. Le point de vue topique décrit les lieux psychiques et la façon dont se forment les instances psychiques ; le dynamique, la capacité psychique à satisfaire la réalisation du désir inconscient ; l'économique est défini par la nature et l'intensité des investissements psychiques autrement dit par la quantité d'énergie pulsionnelle investie. Dans cet ensemble, la parole est à la fois la pierre angulaire qui tient l'édifice et "l'ombilic psychique" qui relie au grand Autre, c'est-à-dire ce qui est identifiable à l'origine commune des hommes. Cette place et ce rôle uniques ne peuvent se confondre avec ceux que les autres sciences humaines lui réservent. La sociologie et la psychosociologie par exemple la réduisent à un habillage linguistique destiné à doubler la pensée et à la rendre communicable. Elles en font un amalgame avec toute forme de discours rationnel ou empirique. Dans cette logique, la pensée est prééminente et maître de ce qui se dit : "je pense donc je suis". Or la pensée n'a pas d'existence sans expression langagière. Elle s'élabore au contraire dans une parole qui la déborde et qui appelle le sujet à être : "je parle donc je suis" dit Lacan en parodiant Descartes.

Dans les pratiques d'aide avec les élèves en difficulté, de même que dans les actions de collaboration professionnelle entre enseignants spécialisés et enseignants généralistes, le principal outil de travail est le langage. Son utilisation ne relève pas d'une pleine maîtrise, acquise ou en cours d'acquisition. Le sujet parlant ne dit jamais tout ce qu'il voudrait dire mais, sous la pression de forces inconscientes, dit ce que l'inconscient lui a mis dans la bouche. Ce débordement est la manifestation de l'Inconscient, dépôt inconnaissable né des expériences langagières du sujet avec autrui. Les limitations d'une libre disposition du langage sont constitutives de la condition humaine et ne peuvent être déniées.

Le concept de parole appliqué à ce qui se dit entre professionnels de l'aide, vise à élucider les postures des uns et des autres ainsi que les effets obtenus. Cet éclairage ne prolonge pas seulement les précédents. Il les transforme de l'intérieur en sollicitant à tout moment le sujet dans sa capacité à être. Il ouvre également la recherche en brisant le carcan d'un savoir clos sur lui-même : la présente étude ne vise pas à ajouter des injonctions à celles qui existent déjà. Elle indique seulement la voie d'un parcours personnel à entreprendre, avec comme guide la parole, pour que l'élève en difficulté aussi bien que le professionnel n'érige pas la connaissance en absolu mais l'utilise comme moyen d'accession à plus d'humanité.

Ces trois entrées conceptuelles sont autant de faisceaux utiles pour éclairer les liens développés entre les enseignants spécialisés ou généralistes, à propos d'élèves nécessitant des actions éducatives particulières. Présentées linéairement, elles ne constituent pas cependant une juxtaposition. Leur mise en rapport, appliquée aux pratiques d'aide dans une approche générale, centrée ensuite sur les dysfonctionnements et enfin les fonctionnements positifs, effectifs ou souhaitables, poursuit un déroulement en spirale, intégrant à chaque rotation concentrique les apports spécifiques de chaque discipline (Cf. schéma page suivante). Elle instaure de ce fait des ruptures de frontières, des empiètements d'un champ sur l'autre et s'approche d'une tentative fructueuse d'interdisciplinarité. C'est toute la richesse des Sciences de l'Education, sciences plurielles, qui apparaît en filigrane.