1.3.1.1. La naissance et l'utilisation du concept

Le terme de réseau est aujourd'hui couramment utilisé. Il a eu une longue histoire dans la langue française avant de devenir un concept opératoire dans plusieurs disciplines.

Etymologiquement, il vient du latin retis signifiant filet. En français, le mot réseau apparaît au XIIème siècle et conserve un sens de maillage textile jusqu'au XVIIème siècle. Du XVIIIème à la première moitié du XIXème siècle, il est appliqué en médecine, avec par exemple les réseaux capillaires, pour rendre compte de l'anatomie et de la physiologie de l'organisme humain. Une dimension succède à une autre : à la notion topologique de tissu, qui relie différents éléments en un tout, s'ajoute et devient prédominante la dimension circulatoire qui s'inspire des phénomènes de la circulation sanguine. Le système capillaire, permettant de nourrir les cellules et d'évacuer les déchets (par exemple dans les alvéoles pulmonaires), introduit par extension une dynamique d'échanges, calquée sur l'import / export dans un même lieu. Dans le domaine territorial, le terme de réseau connaît une évolution semblable. Le service de la poste, organisé dès le XVème siècle sur l'ensemble du territoire national, en est sans conteste le précurseur. L'aménagement routier, par contre, reste longtemps une préoccupation uniquement locale. Il acquiert une dimension de réseau lorsque se dessine peu à peu l'intérêt d'une circulation généralisée des biens et des personnes.

L'essor du concept de réseau doit beaucoup à la pensée saint-simonienne. Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760 – 1825), propose une doctrine originale, reprise à sa mort sous forme de Doctrine de Saint-Simon. Encyclopédiste, philosophe et industriel, il esquisse les bases d'un courant socialiste en prônant l'organisation et la planification pour développer la production. Dans cette vision, le concept de réseau se révèle particulièrement fécond. Par ses aspects de solidité, à l'image des nœuds fixes et structurés du filet, et de fluidité telle les déplacements entre ces points à l'image des flux sanguins ou hydrauliques, il modèle un système de communication généralisée fondée sur des connexions planifiées. Au-delà de sa dimension opératoire, il véhicule une philosophie de la libre circulation – des biens, des capitaux, des personnes, des idées, du savoir - nécessaire au changement et au progrès. Ce concept accrédite par exemple des expressions telles "l'argent liquide".

Dans le sillage de cette pensée, le XIXème siècle favorise l'extension de réseaux de toute sorte : réseaux bancaires et financiers, routes, canaux, lignes maritimes, chemins de fer… Mais cette extension ne comporte pas seulement des aspects positifs. Toute circulation quelle qu'elle soit est menacée par l'amenuisement ou la stagnation - qu'il s'agisse de caillots sanguins, de bouchons sur les routes, de baisse de tension électrique.

Au XXème siècle, les champs d'application de ce concept s'appuyant sur les avancées antérieures sont de plus en plus larges. Ils peuvent se centrer principalement sur un agencement topologique, par exemple pour l'analyse de certains corps ou dispositifs : réseaux cristallins, réseaux de diffraction. Ils peuvent aussi combiner les aspects de disposition et de circulation, par exemple dans l'exploitation de l'électricité, l'emploi de l'informatique, la diffusion de l'information… En informatique par exemple, les développements sont considérables. Un réseau informatique se définit comme un ensemble d'ordinateurs, interconnectés entre eux grâce à des lignes physiques, qui échangent des informations sous forme de données binaires. Il en existe différents types : LAN (local area network) ou locaux, par exemple un réseau privé au sein d'une école où chaque ordinateur fonctionne d'égal à égal, WAN (wide area network) ou réseaux étendus, qui fonctionnent comme un ensemble de LAN reliés entre eux par des routeurs permettant de choisir le trajet le plus approprié pour atteindre un nœud du réseau.

Aujourd'hui la tendance est au développement de réseaux étendus, déployés à l'échelle d'un pays ou du monde entier. La diffusion de l'information en est l'illustration la plus évocatrice. Cependant, l'image du filet tissant des liens multiples entre des hommes ou des machines s'accompagne d'une circulation particulière. L'information véhiculée par la voix, l'écriture ou les images, peut être ramenée à un langage informatique et remplacée par un échantillonnage de bits. Elle devient alors une entité totalement abstraite susceptible d'être entièrement traitée par des outils – automates, processeurs, ordinateurs etc. Cet aspect particulier n'est pas sans influencer le concept de réseau étendu aux sciences sociales et humaines. Il met l'accent sur les risques de déperdition particulièrement sensibles lors de la transmission langagière.

Dans le domaine des sciences sociales et humaines, le concept de réseau présente des caractéristiques spécifiques en matière d'organisation et de connexion entre les personnes. Ces deux aspects - organisation et connexion – sont interdépendants et constituent les conditions nécessaires à l'existence même d'un réseau.