1.3.3.1. Une multiplicité d'expériences langagières : langage, discours, information, communication, parole

1.3.3.1.1. Le langage

Le mot langage apparaît au Xème siècle. Il vient du latin lingua, langue, organe de la parole, langage et tout objet en forme de langue. Il lie dans un même terme à la fois une fonction, l'expression d'une pensée et sa communication, et le système de signes vocaux ou graphiques qui remplit cette fonction. "Le langage est une fonction psychologique correspondant à la mise en œuvre d'un ensemble de dispositifs anatomiques et physiologiques, se prolongeant en montages intellectuels pour se systématiser en un complexe exercice d'ensemble, caractéristique, entre toutes les espèces animales, de la seule espèce humaine" 34 . Reconnue par nombre d'auteurs, la spécificité de l'homme est liée au langage. Toutes les espèces animales communiquent avec des codes plus ou moins élaborés mais aucune, sauf l'homme, n'a accès au langage qui rend possible l'abstraction, la généralisation et l'implication de chaque être dans un ensemble de signifiants.

Pour distinguer le langage comme fait social et le langage comme fait individuel, les linguistes à la suite de Ferdinand de Saussure opposent langue et parole. La langue est l'objet propre de la linguistique alors que la parole la déborde. La langue est "à la fois un produit social de la faculté du langage et un ensemble de conventions nécessaires, adoptées par le corps social pour permettre l'exercice de cette faculté chez les individus" 35 . La parole par contre ne relève pas d'une exécution collective, "elle est toujours individuelle et l'individu en est toujours le maître" 36 . La structure de la langue qui répond à des conventions strictes, notamment grammaticales, laisse place à la liberté de parole des locuteurs. Cette dimension ouverte par la notion de parole sera par la suite explorée par Lacan et ses successeurs.

Le langage a une fonction essentielle de représentation. Il donne à l'homme la possibilité de représenter le monde par des signes et des symboles. "Tous les modèles classiques du langage convergent pour admettre comme un fait d'évidence que sa fonction essentielle est de représenter. Que ce soit le triangle fameux d'Ogden et Richards, la triade saussurienne du signifiant-signifié-référent, ou celle Freudienne en représentation de mots /représentation de choses et choses" précise Jacques Cosnier 37 . Dans cette perspective, le langage permet d'établir une correspondance entre deux réalités distinctes, l'une donnée à observer et concrète, l'autre représentée par une construction abstraite. "A proprement parler, le langage ne crée pas le monde ; objectivement, le monde est déjà là. La vertu du langage est pourtant de constituer à partir de sensations incohérentes un univers à la mesure de l'humanité. Et cette œuvre de l'espèce humaine depuis les origines, chaque individu qui vient au monde la reprend pour son compte" 38 . Ce jeu de correspondance double le cosmos d'un univers langagier. La chaîne des mots qui lie le monde et l'homme favorise une prise de position par rapport à la réalité. Elle importe plus que la chose nommée, dans la mesure où elle ouvre, par la maîtrise et la transformation du chaos des sensations, sur un monde qui donne sens à la personne.

Mais le langage a aussi une fonction essentielle de transmission. Si l'homme parle, s'il appelle le monde à l'existence par la création langagière, c'est parce qu'il rencontre un alter ego qui lui parle et auquel il répond. Les mots sont comme un trait d'union ou de désunion entre eux. Le langage offre à chaque être humain la possibilité d'une part d'exposer ses représentations individuelles par le discours - qui recouvre les phénomènes d'information et de communication, et d'autre part d'exprimer qui il est par la parole, au-delà des images.

Notes
34.

GUSDORF G. (1952) La parole , Paris, PUF, édition 1990, p. 5

35.

DE SAUSSURE F. (1916-1991) Cours de linguistique générale , Paris, Payot, p. 25

36.

Ibid. p. 30

37.

COSNIER J. in TOUATI A. (dir) (1987) Communications Le journal des psychologues , numéro hors série, juin 1987, page 43

38.

GUSDORF G. (1952) La parole , Paris, PUF, édition 1990, p. 12