2.3.2. Analyse de contenu à l'aide des concepts organisateurs de la recherche

Les discours retranscrits ont fait l'objet d'un codage classique. Ils ont été découpés en unités de sens, afin de simplifier le contenu. Ces unités sont déterminées par les concepts organisateurs de la recherche : concept de réseau, de reliance et de parole, et les aspects qui permettent de les identifier. La grille sémantique élaborée pour la totalité des entretiens va intégrer les grilles utilisées pour les questions thématiques réclamant cinq mots. Les deux niveaux "Identification du dispositif RASED, des aides proposées et du public aidé" et "Fonctionnement professionnel du RASED" – et leurs variantes - vont servir d'ossature à la grille complète.

Les caractéristiques d'un réseau, organisation et connexions, vont être étudiées tout d'abord à travers les identifications repérées, c'est-à-dire les catégorisations liées aux RASED. Ces dernières délimitent ainsi les pôles professionnels susceptibles d'être connectés entre eux. Les connexions effectives dessinent une réglementation des échanges plus ou moins élaborée.

Les attributs de la reliance, idéologie commune et moteur de rencontre, vont venir compléter le premier niveau d'analyse des connexions, issu du concept de réseau. Tous les jugements ou les constats de résultats à propos des aides et du fonctionnement laissent percevoir les valeurs qui influencent la qualité de la reliance. Au-delà de cette toile de fond, l'énergie engagée dans les pratiques de collaboration se lit à l'intensité du travail de partenariat d'une part, et à l'intérêt porté aux échanges d'autre part.

Les spécificités de la parole, relation et "effets de parole", vont enrichir non seulement l'étude du "moteur de rencontre" mais aussi tous les points précédents en soulignant le jeu introduit par la circulation de la parole dans les rouages d'un dispositif organisé et relié en réseau. Les centres d'intérêt ainsi isolés vont être synthétisés page suivante sous forme de grille de codage.

La présentation utilisée dans ce tableau permet des croisements multiples. La première colonne, utile pour désigner les acteurs interviewés, peut se combiner à la deuxième ou à la troisième. Les codages ainsi obtenus prennent la forme par exemple de (I)zzTmo (IEN parlant de contexte de travail, plus précisément de moyens matériels et financiers), de (E)zzOte (Maître E évoquant l'organisation des échanges entre partenaires, sous des aspects temporels et structurels) ou encore de (Y)zzCen (Psychologue scolaire relatant le contenu d'un échange avec engagement personnel des acteurs concernés). En voici quelques illustrations à partir des entretiens de Guy, Audrey et Myriam.

E13 Guy A2 p. 195

(I)zzTmo On n'a pas donné partout les moyens matériels de fonctionner : les locaux, le matériel, les moyens de se déplacer.

E44 Audrey A2 p. 578

(E)zzOte Il y a une demande d'intervention du réseau – ce sont les mêmes papiers que ce soit la psychologue, la rééducatrice ou un des postes E. Donc une première demande écrite faite par les enseignants. Par rapport à ça, on construit un projet d'aide, ça par contre c'est mon papier, je ne suis pas sûre que ma collègue E procède comme moi. Elle fait ça de façon plus orale, informelle avec les enseignants. Moi, j'ai choisi quelque chose de plus... d'où le mal à récupérer les feuilles... (rires)

E57 Myriam A2 p. 739

Grille de codage des entretiens
(Y)zzCen La première fois, on a mis en place le projet. Là, j'ai construit avec l'enseignant et les parents un sémaphore, en utilisant à la fois les quatre champs "affectif, social, instrumental et cognitif" de façon à prendre vraiment les choses dans leur globalité. Il ne s'agissait pas effectivement de désigner l'enfant comme souffrant d'une carence, d'un manque, d'un défaut, il s'agissait de cerner sa dynamique et de voir ce qu'on pouvait faire pour que cette dynamique s'élargisse dans une direction positive. Il y a des points qui ont été retenus, ce dont je me souviens parce que je n'ai pas le dossier, ce n'est que de la re-mémorisation, donc on avait beaucoup insisté sur la question de la gestion de la colère, dire ses émotions. La maîtresse a proposé de mettre en place dans le cadre de la classe un lieu où les coups étaient possibles, c'était la poupée "boum-boum". Elle l'a institutionnalisé, en quelque sorte, on n'avait pas le droit dans la classe de taper ses petits camarades mais en revanche quand on était en colère, on avait le droit d'aller taper la poupée, de façon à ce que déjà l'enfant réussisse à prendre une certaine distance entre l'éprouvé de la colère et le moment où il allait passer à l'acte.
Grille de codage des entretiens
Grille de codage des entretiens

L'application de ce codage à la totalité des entretiens met en valeur les positions explicites et implicites de chaque interviewé. Elle facilite la mise au jour des divers fonctionnements professionnels existants et permet de dégager les conditions nécessaires et suffisantes pour une collaboration effective entre enseignants. De plus, elle donne la possibilité de retrouver rapidement un passage important et rend aisée la manipulation de citations à mettre en exergue.

Pour illustrer plus largement le principe du codage, voici un extrait de l'entretien codé d'un rééducateur, Grégory.

E48 Grégory A2 pp. 621-626

(G)zzDmd - Quels sont les cinq mots qu'évoque pour vous l'expression "enfants en difficulté" ?
- Perte de repères, manque d'autonomie, manque de désir, ou d'appétit pourrait-on dire..., mauvaise image d'eux-mêmes et puis un flou autour de l'identité.
- Pouvez-vous expliquer le choix de chaque terme ?
- Oui, si vous me les redonnez...
- Perte de repères...
- Perte de repères… c'est ce qu'on vit tous les jours dans notre pratique. Je crois qu'un enfant en difficulté est quelqu'un... J'entendais en tant que perte de repères, un manque pour se situer... se situer dans sa fratrie, dans sa lignée, dans sa généalogie etc... Je crois que c'est là un dénominateur commun que j'observe par rapport à tous les enfants que je vois... voilà ce que je voulais dire par rapport à manque de repères... Mais ça peut être aussi effectivement tout ce qu'il y a à côté, les corollaires, que ce soit repères dans le temps, dans l'espace... Mais c'est surtout en termes de repères dans une lignée, dans une continuité...
- Vous avez dit aussi manque d'autonomie, de désir...
- Oui, je crois que c'est un enfant qui ne peut pas vraiment dire "je"... C'est lié aussi à l'identité, ne sachant pas qui je suis, quelle place j'occupe... On va se mettre dans sa peau : quand tu ne sais pas qui tu es, où tu es, pourquoi tu es là et ce que tu vas faire, je ne vois pas comment tu peux avoir du désir pour aller vers quelque chose... C'est pas possible d'avoir du désir donc manque d'appétit, manque de sens... on ne donne pas de signification à ce qu'on est en train de faire et en l'occurrence pour les gamins dont on s'occupe, quel est le sens de ce qu'on leur apporte à l'école, le sens de l'école, le sens du savoir... Quelle culture et vers quoi ? Je crois que c'est ce que je veux dire par manque d'autonomie...
(G)zzDfd - Et mauvaise image d'eux-mêmes ?
- ... ça peut même aller plus loin, la mauvaise image d'eux-mêmes... Souvent des enfants portent le poids de la problématique familiale et je crois qu'ils ont une mauvaise image : "je suis mauvais"... Je vais jusque là quand je dis mauvaise image... "je suis le mauvais objet", "je suis le mauvais" et ils culpabilisent par rapport à un certain nombre de situations... c'est pour cela qu'ils ne s'autorisent pas à avoir plus de désir par rapport au savoir... C'est pour ça que je fais un tout de ces termes là... même dit très spontanément, sans y réfléchir... Il faudrait que je me le garde d'ailleurs... (...)
(G)zzAob - Pouvez-vous maintenant choisir un enfant en difficulté scolaire avec qui vous avez eu l'occasion de travailler et raconter ce qui se passait...
- Si... Je vais revenir sur Julien... C'était simple et compliqué et je ne sais pas si j'avais pigé ce qui se passait au niveau de sa problématique ou pas. Ce n'est pas le problème de piger... mais... le gamin quand il s'est présenté à moi...
(G)zzCin enfin la maîtresse me l'a présenté comme ça,
(G)zzDmd c'était un gamin tout recroquevillé et quand je dis recroquevillé, c'est un gamin, qui même au niveau de l'écriture, on aurait dit des petits... les petites vrilles des vignes... c'était des boucles... tout était bouclé comme ça, c'était indescriptible, on ne pouvait pas lire et a priori quand on travaillait avec lui, au niveau purement gestuel ou au niveau graphique, il ne semblait pas avoir de difficultés particulières. Alors on comprenait mal à chaque fois, lorsqu'il passait à l'écrit pourquoi...
(G)zzAob Donc, je l'ai pris en rééducation et de fil en aiguille, de séance ne séance, sa problématique apparaissait... C'est vrai que je n'ai pas fait d'erreur dans mon diagnostic, c'est vrai que ce gamin me parlait d'un... maintenant c'est un peu flou... C'est l'histoire d'un demi-frère plus grand... Et moi, j'avais essayé de lire la problématique à travers quelque chose de complètement... décalé par rapport à la problématique et c'est souvent comme ça.. Il l'avait symbolisé autrement
(G)zzCen et notamment quand j'avais expliqué à Ravier l'inspecteur ce qui se passait, il était un peu interloqué... la problématique je l'ai lue à travers une production de maisons où ce gamin là passait son temps à faire des maisons avec des coussins, avec des pièces et... y'avait pas moyen de passer d'une pièce à l'autre... on ne pouvait pas communiquer d'une pièce à l'autre...
(G)zzCqu moi, en synthèse, j'ai fait cette analyse qui vaut ce qu'elle vaut. Je veux dire, y'avait une famille, des membres et puis les liens ne se faisaient pas... c'était quand-même bizarre ce discours sur son demi-frère... et lui c'était le vilain petit canard... celui qu'on n'aimait pas... alors pour en savoir plus...
(G)zzJap et c'est une rééducation qui s'est passé très, très, très vite, un petit peu hmm... on ne va pas dire miraculeuse mais c'est pour ça que j'en parle, parce qu'elle est restée...
(G)zzPex J'ai fait venir les parents...
(G)zzJcp Donc je crois maintenant beaucoup aux vertus des entretiens. Je crois que travailler avec l'enfant ça me paraît complètement dérisoire si on ne travaille qu'avec l'enfant... Donc travailler avec la famille quand c'est possible et si possible en présence de l'enfant ce qui est une technique d'entretien qui n'est quand-même pas facile à gérer, sur laquelle je me casse encore un petit peu les dents encore actuellement mais que je pratique quand-même souvent parce que je crois qu'il y a des choses qui doivent être dites là tous ensemble.
(G)zzCen Et j'ai essayé de faciliter la levée presque d'un secret ou d'un non-dit ou d'un mal dit ou d'une confusion, parce qu'en fait ce n'était qu'une confusion... Et ce petit garçon était persuadé que c'était lui qui était le fils d'un premier lit, qu'il n'était donc pas le fils de papa, maman, là présents et que le grand était le fils... ce qui était complètement illogique... Et lui était parti de ça... Et lui vivait mal la situation... Et ce jour là le père et la mère découvrent l'erreur que le fils faisait et eux étaient très étonnés parce qu'ils ne pensaient pas que lui pouvait penser ça... Donc les parents parlent à l'enfant, lui disent comment ça se passe... Un peu interloqué, le gamin !... L'entretien n'a d'ailleurs pas duré très longtemps, ce n'était pas nécessaire...
(G)zzCef Les deux séances suivantes, il a voulu en reparler... On en a reparlé... Et les deux choses extraordinaires dont je me souviens toujours et qui ont pour moi une valeur symbolique très, très, très haute, dans l'ordre c'est que premièrement "il a repris sa construction et toutes les portes se sont ouvertes" donc... j'ai vu que je n'avais pas fait d'erreur dans l'interprétation de son jeu et deuxièmement, encore plus symbolique, il s'est installé à mon bureau, il a pris mon stylo et à cette époque là j'avais quelque chose d'un ordre assez phallique, c'était un gros truc lanvin, les gros stylos plume noirs... Il ne pouvait pas le tenir... Il l'a pris quand-même et il s'est mis à écrire et il a écrit ! Julien !... Et il a fait une phrase et il l'a écrit correctement... Et ça a été pratiquement terminé... Bon, terminé par rapport à cette problématique.... C'est vrai qu'il n'était plus recroquevillé... Il est rentré dans la classe...
(G)zzCen La maîtresse a reconnu que ça y est, Julien pouvait copier, accéder à la lecture, à l'écriture etc... normalement... Mais bon, il y avait d'autres petits trucs à côté... C'est quand-même un gamin qui est resté...
(G)zzCqu Il y avait certainement autre chose qui s'est passé dans la famille que je n'ai jamais vu...
(G)zzRmr Il est resté un gamin... pas renfermé, ce serait excessif, mais il est resté assez sur son quant à soi... ce n'est pas un gamin très expansif mais enfin, il a continué, il a continué...
(G)zzPex Estelle, la directrice, m'en a donné des nouvelles jusqu'au CM... il était au CP quand je l'ai pris... et jusqu'au CM, il est passé de classe en classe avec un petit niveau certes mais sachant lire et sachant écrire... Voilà, c'est un exemple type.
(G)zzJcp - Est-ce que vous pourriez isoler les facteurs clés ayant permis cette évolution favorable ?
- Les facteurs clés ? Le premier... Le tout premier, c'est la capacité de remettre en relation ou en parole les parents, et/ou l'enseignant, avec l'enfant, dire ce qui était la situation... Je crois que c'est là l'essentiel, c'est de faciliter ça... Je n'en vois qu'un, c'est surtout ça... Bon, le fait que j'ai perçu que ça pouvait être ça, sa problématique, je crois que c'est notre boulot de lever des hypothèses... Dire : "ça peut être ça", "ça peut être ça"... Le coup de chance, a voulu que j'aie pu faire cette lecture et que c'est tombé dans une au moins des problématiques essentielles... Je ne crois pas qu'il n'y avait que celle là... Mais celle-là était importante pour Julien...
(G)zzJap - Souvenez-vous d'un enseignant face à un enfant en difficulté dans sa classe. Pouvez-vous retracer la façon dont il réagissait, les sentiments qui l'animaient ?
- …… (rires) Le cas le plus récent alors… une enseignante qui connaît de grosses difficultés avec un enfant, qui l'a signalé sans le signaler, qui veut bien qu'on l'aide mais sans véritablement qu'on l'aide,
(G)zzCin un gamin qui n'ose pas, qui a les trouilles de faire, qui n'est pas du tout sûr de lui parce qu'il y a vraiment une surprotection, une chape de plomb du couple parental. Il est seul, fils unique et à la maison c'est encore mon bébé, mon ceci, mon cela et donc en classe… c'est un gamin qui ne s'autorise pas, qui a peur de mal faire, c'est comme ça que c'est présenté par la maîtresse.
(G)zzCqu On s'est demandé pourquoi la maîtresse hésite,
(G)zzOte on l'a invitée à une réunion de synthèse, c'est vrai qu'elle hésite à nous demander de l'aide, c'est toujours dans le couloir, à la récréation du style "oh mais si ".
(G)zzPex Mais nous on avait été alerté par la maman, parce que l'une de ses voisines avait son gamin aidé, elle voyait l'autre maman disant "tu sais ça l'a drôlement aidé, il est maintenant…" - on nous prend un peu pour les docteurs miracle, il faut faire attention sur quoi on parle – cette maman a demandé que j'aide son fils, que je le prenne
(G)zzCen et la maîtresse garde une position ambiguë "Si tout le monde veut bien que tu le prennes, prends-le"…
(G)zzOte J'ai été contraint à institutionnaliser davantage la chose, à faire une réunion.
(G)zzCqu L'enseignante constate depuis le début de l'année un enfant qui est très peu performant, qui est en grosse difficulté et par ailleurs elle est toujours dans l'hésitation de le confier… en disant " je n'y arrive pas, je fais tout ce que je peux mais je n'y arrive pas, de toute façon tant qu'il y aura ses parents…" Il y a deux choses qu'elle met en évidence : sa propre capacité à faire et à ne pas faire et elle rentre en concurrence avec moi, directement – en plus moi qui ait presque été placé sur un piédestal par une autre maman – et le deuxième problème, celui des parents avec automatiquement "les parents étant comme ça, je ne vois pas ce qu'on pourrait faire" et en noircissant le tableau au maximum "la mère quand elle vient à l'école, elle est toujours en train de râler pour ceci, pour cela etc..." c'est-à-dire quelqu'un avec qui on ne peut pas avoir de contact. Voilà le type de réaction que peut avoir un enseignant.
(G)zzCpp Pour la réunion de synthèse, je me suis placé sur la position où je préférais ne pas prendre dans ces conditions-là, parce qu'il y avait trop d'enjeux… Je lui ai dit qu'on était placé en concurrence. " Si toi, tu ne joues pas le jeu, je ne vois pas comment je vais travailler, s'il y a quelque chose qui se modifie, comment cela va-t-il être perçu ?"… le deuxième type d'enjeu c'était par rapport à la famille où on disait : "il suffit qu'il aille avec le rééducateur pour que ça aille bien"… Si on commence à être vu comme le docteur miracle ou comme Zorro, attention, je porte une lourde responsabilité… En fin de compte au bout de trois quarts d'heure de synthèse, on a convenu que je m'engageais à accueillir l'enfant pendant deux trois séances, faire le point avec lui, voir ce que ça donnait, au terme de cela, accueillir la famille et repositionner tout le monde et même l'enseignant. On s'est mis d'accord effectivement sur ce que j'avais à dire de l'enseignante, sur ce qu'elle avait à faire et qu'aussi les parents rencontrent l'enseignant dans le même temps – parce que sinon on va se faire de la concurrence déloyale, malsaine et placer des espoirs chez la famille peut-être là où il n'y en a pas.
(G)zzDmd C'est un gamin, je l'ai reçu depuis, je ne comprends pas bien… Il est relativement performant mais il est bourré de tics, d'angoisses, de peurs et qui ne fait pas, sauf si on est très proche de lui et qu'il sent qu'on l'encourage…
(G)zzCqu La maîtresse dit tout de suite : "mais moi en classe, je ne peux pas faire ça". Et moi de répondre "tu as raison"… Je pense que ça va être quelque chose de difficile…
(G)zzAob Je ne l'ai vu qu'une fois… ça renforce mon malaise dans la mesure où je suis face à un enfant que je juge relativement performant, capable de faire, capable de s'interroger sur ses propres erreurs – c'était du style : il copie une petite phrase, il fait une petite erreur, je n'ai pas eu le temps de lui dire "ah, ah…" et "Oh oui" il corrige sa faute lui-même… Je ne lui avais même pas dit qu'il y avait une faute… A mon interrogation, à ma surprise il l'a vue lui-même… ça ce sont des signes… et plein de choses comme cela… manque d'attention… Après je lui ai dit "montre-moi ce que tu fais en classe". Il a voulu que je lui fasse faire des opérations. Je lui ai mis quelques additions et multiplications. Il passe à la multiplication et il reprend le système de l'addition. Je lui dis "regarde ce que tu es en train de faire"… "Ah oui, on a changé"… et il a fait une multiplication. Je crois qu'en terme de performances scolaires pures, il y a des capacités qui sont là.
(G)zzJap Ça me met mal à l'aise parce que je vais devoir prendre parti… Malgré la chape de plomb très affective des parents, la maman, qui m'a vu dans la rue, a certainement beaucoup raison en disant que son fils peut faire des choses alors que la maîtresse a certainement tort… ça ne va pas être facile…
(G)zzCpp dans la mesure où la relation parents/enseignante est conflictuelle ou tout au plus inexistante, ça va être difficile de faire entendre à l'enseignant petit à petit que l'enfant a des possibilités, des capacités et que la maman a raison de croire en son fils et qu'on ne peut pas lui reprocher ça même s'il y a certainement des maladresses éducatives ou quelque chose de pathologique dans la mainmise des parents sur leur fils. C'est une situation très difficile… et très difficile avec l'enseignant parce que je ne vois pas comment… Bien sûr il faut bien m'interdire de dire à l'instit "regarde chez moi il fait ça, regarde, il peut faire ça", ce n'est sûrement pas comme ça que je vais m'y prendre… mais comment m'y prendre pour réhabiliter l'enfant aux yeux de l'instit en lui faisant comprendre qu'il peut faire des choses... ça va être par le biais de l'enfant... Il faut qu'il arrive, lui, à penser qu'il peut s'autoriser sans l'aide de l'instit, qu'il est suffisamment grand… mais avant d'en arriver là il faut que je travaille avec lui et les parents pour leur montrer qu'il faut se détacher, le laisser… et que même sans ses parents il peut réussir. Il sait faire des choses sans ses parents…
(G)zzJap C'est un boulot que je commence, je ne sais pas si je vais le terminer…

Les codages permettent d'isoler à la fois des éléments de catégorisation au sein du RASED (Qui fait quoi ? Comment ? Avec qui ? Pour quelle réussite ?) et des indices de fonctionnement professionnel. Le découpage obtenu facilite le regroupement de points analogues, soit au sein d'un même entretien, soit dans la comparaison avec d'autres interviews. Ce travail, long et fastidieux, porte des fruits : il garantit une étude méthodique et systématique de toutes les données recueillies.

Nous allons maintenant brosser un état des lieux des RASED, de leur gestation à leur existence d'aujourd'hui. L'étude historique de leur création, à partir de documents officiels, montre tout d'abord la complexité du dispositif et les difficultés persistantes de sa mise en œuvre en tant que réseau. L'analyse des données actuelles issues d'écrits institutionnels, de textes d'auteurs et de sujets d'examen, met l'accent sur les positions explicites et implicites des acteurs et décideurs face à l'exigence de collaboration. L'examen des représentations recueillies au cours des interviews et traitées de façon statistique permet ensuite de dresser la carte des préoccupations principales des acteurs à propos des RASED et de leur fonctionnement.

En résumé

La mise à l'épreuve de notre hypothèse de recherche demande d'élucider les mécanismes et les conditions d'une collaboration féconde. Elle nécessite le recueil du vécu subjectif de l'ensemble des acteurs, autrement dit leurs représentations, au moyen d'interviews semi-directifs. Cette approche, qui donne la préférence à l'interprétation des personnels concernés, permet à la fois d'explorer utilement les expériences singulières et de dégager des tendances collectives.

Les personnes interviewées, au nombre de 78, ont été sélectionnées parmi des Inspecteurs de l'Education nationale, des formateurs de maîtres spécialisés, des professionnels exerçant en RASED et des enseignants généralistes. Les entretiens obtenus ont été explorés selon une double instrumentation, par traitement statistique ou selon une analyse de contenu qualitative conduite à partir des concepts organisateurs de la recherche.

L'analyse statistique concerne plus particulièrement les représentations spontanées suscitées par les expressions "enfants en difficulté", "RASED", "maître E", "maître G", "réussite à l'école". Elle autorise le repérage des traits structurant les mentalités sous jacentes à l'exercice professionnel en RASED. L'analyse qualitative s'applique aux entretiens dans leur globalité. Elle cherche à mettre en lumière le fonctionnement des RASED à partir des caractéristiques des réseaux (catégorisations et connexions), des attributs de la reliance (valeurs communes et moteur de rencontre) et des spécificités de la parole (relation et effets de parole).