1.4.2. La stabilisation des formations et des aides organisées en réseau

A la fin des années 80, les GAPP sont loin d'être en nombre suffisant. En 1986, le rapport Ducoing montre qu'il faut encore 70 ans pour espérer couvrir le territoire, à raison de un GAPP pour mille élèves. Les budgets confirment l'impossibilité de réaliser ce projet. La planification des postes et la conception des aides sont alors partiellement remises en question. De façon plus large, cette mutation s'inscrit dans un contexte de stratégies adaptatives qui se généralisent au sein des entreprises dans les années 80 / 90 175 . Ces stratégies répondent à l'incertitude engendrée par l'évolution rapide de l'environnement. Elles visent à améliorer la flexibilité organisationnelle par l'automatisation ou la rationalisation du travail et l'économie de personnel. Elles cherchent également à gérer le savoir utile et le traitement de l'information pour optimiser le fonctionnement. Ainsi la modification des GAPP en réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), permet-elle de redistribuer autrement les aides déjà existantes tout en réalisant des économies substantielles.

La circulaire du 9 avril 1990 présente la mise en place et l'organisation des RASED. Elle rappelle avec insistance la responsabilité des équipes enseignantes : "la prévention des difficultés des élèves est un objectif qui ne saurait être réalisé par les seuls intervenants spécialisés même si ceux-ci y apportent par la spécificité de leur action une contribution souvent décisive" 176 . Elle ajoute aussi que "la première aide à apporter aux élèves en difficulté relève de leurs propres maîtres dans le cadre d'une pédagogie différenciée" 177 . Le texte affirme donc avec force que le système scolaire dans son ensemble est concerné par les élèves en difficulté. "Cette nouvelle politique pour l'école occasionne une rupture partielle mais réelle avec le modèle hiérarchique et vertical. Elle touche aux représentations des enseignants et les questionne sur leurs pratiques. La loi autorise donc, et vise à promouvoir, pour l'aide aux enfants en difficulté, y compris l'aide spécialisée, le modèle collégial de l'action : conseils, équipe, synergie" 178 . De ce fait, les dysfonctionnements d'un élève ne sont plus affaire de "prise en charge" spécialisée mais nécessitent l'élaboration d'un projet auquel participent tous les personnels concernés avec leurs compétences propres. Les actions des maîtres spécialisés E et G complètent les soutiens normalement conduits dans le cadre de la classe et de l'école. Chacun, de sa place et en équipe, concourt à faire advenir de l'humain par les pratiques éducatives dont il a la responsabilité.

L'institution, qui s'est donnée la capacité de prendre en charge la diversité des élèves et d'assurer à tous les conditions les plus favorables à une réussite au sein du système ordinaire, ajoute aux dispositifs existants les derniers maillons manquants. La circulaire du 18 novembre 1991 crée les CLIS, Classes d'Intégration Scolaire, qui accueillent de façon différenciée des élèves handicapés physiques, sensoriels ou mentaux pouvant tirer profit d'une scolarité adaptée à leur âge et à leurs capacités en milieu scolaire ordinaire. Les CLIS sont classées selon quatre types de handicap : CLIS 1 pour enfants atteints d'un handicap mental, CLIS 2 pour enfants atteints d'un handicap auditif, CLIS 3 pour enfants atteints d'un handicap visuel, CLIS 4 pour enfants atteints d'un handicap moteur. L'objectif des CLIS est de permettre à ces élèves de suivre totalement ou partiellement un cursus scolaire ordinaire. Peu après, la circulaire du 22 juillet 1993 précise les conditions d'accueil des enfants et adolescents atteints de troubles de la santé. En 1995, la circulaire du 17 mai met ensuite en place les dispositifs pour adolescents présentant un handicap mental, les UPI, Unités Pédagogiques d'Intégration, permettant des regroupements pédagogiques au collège et lycée. Enfin, les Sections d'Enseignements Généraux et Professionnels Adaptés dans le second degré (SEGPA) voient le jour avec la circulaire du 20 juin 1996. En 2002, un point d'orgue complète l'ensemble des textes produits depuis la mise en place des CAPSAIS : la circulaire du 30 avril supprime définitivement les classes de perfectionnement, presque centenaires. Jusqu'à la touche finale, les modifications apportées relativisent les catégories et les particularités éducatives qui en découlent. Elles affirment au contraire l'importance et les bénéfices du vivre ensemble, non seulement pour chaque personne mais aussi pour le groupe social.

A partir des années 90, la formation des enseignants spécialisés est presque stabilisée. La circulaire du 20 décembre 1991 apporte une ultime modification : l'option G du CAPSAIS n'est plus une sur-spécialisation, elle devient accessible sans CAPSAIS préalable. Elle réduit de ce fait la durée d'études de moitié et ajoute encore à la diversité des cursus autorisant l'exercice de cette fonction.

Les modifications successives des diplômes et dispositifs spécialisés préparant l'existence des RASED actuels sont synthétisées à l'aide d'un schéma page suivante.

La transformation des aides, des diplômes et des formations correspondantes, tend à rapprocher les secteurs AIS et ordinaire. Malheureusement, la reliance entre spécialisés et généralistes reste balbutiante, malgré l'espérance d'une généralisation "des interactions structurantes entre sujets "normaux" et atypiques ; de la prise de conscience de la valeur de l'hétérogénéité ; de la différenciation pédagogique ; des nouvelles approches de l'acquisition des savoirs et de la construction de l'intelligence; de l'adaptation du système éducatif à la diversité des populations scolaires ; d'un autre regard porté sur la personne handicapée ; et de la généralisation du concept de handicap" 179 . Les changements suscités par la création des aides organisées en RASED nécessitent maintenant d'être abordés plus précisément. Tout d'abord, nous nous demanderons quel est le travail exact des professionnels chargés d'aide. Nous examinerons également la collaboration requise entre personnel de réseau et généralistes, à partir des positions institutionnelles officielles et officieuses.

En résumé

Au début du XIXème siècle, la création de l'enseignement spécialisé donne naissance aux premières mesures en faveur d'élèves arriérés ou malades. Les uns sont scolarisés en classe de perfectionnement, les autres en classe de plein air. Les aides apportées, qui n'en portent pas encore le nom mais qui visent néanmoins l'accession du plus grand nombre aux apprentissages de base, sont organisées dans des filières parallèles aux sections "ordinaires". Dans les années 60, elles se multiplient considérablement suite à une catégorisation intensive des élèves, tandis que pointent des actions à l'intérieur même de l'école primaire avec les premières rééducations RPM puis RPP. Une dizaine d'années plus tard, le mouvement s'inverse : le nombre de spécialisations et d'élèves orientés diminue, les aides sont structurées en GAPP et appelées à se développer à l'intérieur même de l'école. Pendant les années 80, l'organisation du secteur spécialisé est à nouveau modifiée. Elle repose non plus sur les caractéristiques des élèves mais sur les réponses apportées en terme de classes ou de structures. Dans cette mouvance, les classes d'adaptation fermées sont maintenues et coexistent avec des aides à dominante pédagogique (E) organisées en regroupement d'adaptation. Les spécialisations RPP et RPM disparaissent au profit d'aides à dominante rééducative (G). En 1990 les GAPP sont transformés en RASED afin de couvrir l'ensemble du territoire et répondre plus efficacement à l'ensemble des besoins repérés chez les enfants en difficulté. Peu après sont créés les derniers dispositifs AIS en faveur de l'intégration de tous : CLIS, UPI et SEGPA, tandis que disparaissent en 2002 les dernières classes de perfectionnement.

Notes
175.

CASTELLS M. (1996) La société en réseaux, l'ère de l'information , Fayard, Tome 1, Edition 2001, 671 p.

176.

Circulaire du 9 avril 1990

177.

Ibid.

178.

GAUZENTE G. (1995) Aider les élèves en difficulté, vers le travail en réseau CDDP Marne, p. 15

179.

GARDOU Ch. (1996) L'éducation spéciale in AVANZINI G. (dir) La pédagogie aujourd'hui , Paris, Dunod, p. 193