La circulaire du 30 avril 2002 qui redéfinit les dispositifs de l'adaptation et de l'intégration scolaires dans le premier degré, tout en maintenant l'expression d'enfants en difficulté, la décale en reprenant et développant la notion de besoins particuliers, déjà introduite dès 1989 dans la Loi d'orientation sur l'éducation. Ce n'est plus l'insuffisance, autrement dit l'élément négatif, qui retient l'attention. C'est son complémentaire, initié par un diagnostic dynamique et concrétisé dans une action positive répondant au besoin identifié, qui devient l'essentiel du repérage pour ces élèves. L'expression concentre observation et réponse appropriée.
Le concept de "besoins éducatifs particuliers", synthétisé dans le sigle BEP, est né en 1978 au Royaume-Uni. Cette année-là, le rapport de la Commission Warnock propose de ne plus utiliser la Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps, établie par l'Organisation mondiale de la Santé 198 , dans le domaine éducatif. Ce cadre conceptuel, fondé sur une approche médicale, met l'accent sur l'incapacité ou le handicap. Il a l'inconvénient de laisser entendre que les problèmes d'apprentissage sont ceux de l'enfant lui-même. De plus "les catégories de caractère médical sont mal adaptées pour définir la place des élèves handicapés dans le système éducatif. Nombreux sont les enfants handicapés dont les besoins éducatifs ne sont pas nécessairement satisfaits au mieux par des mesures éducatives spéciales définies en fonction de leur situation médicale" 199 . Le rapport Warnock conseille de remplacer le modèle de la classification internationale des handicaps (CIH) par la notion beaucoup plus large de besoins éducatifs particuliers. Cette approche adoptée au Royaume-Uni, l'a été également au Canada, en Italie et en RFA 200 alors qu'en France, les enfants porteurs de handicaps sont toujours classés officiellement selon les caractéristiques intangibles de la CIH. Le concept de besoins éducatifs particuliers se centre sur l'analyse des besoins de l'enfant et sur les réponses apportées par le système scolaire. Il part du principe que "les résultats de l'enseignement dépendent de l'interaction entre l'enfant et l'éducation offerte à l'école mais aussi de l'influence des parents et de la collectivité" 201 . Autrement dit, les fruits d'une scolarisation sont la conséquence directe de l'adéquation entre besoins de l'élève et actions éducatives de tous les partenaires concernés. Cette adéquation est par définition relative aux individus - élèves, enseignants, parents etc. - et plus encore aux groupes – école, famille, municipalité, association etc. Elle n'est pas tributaire d'un cadre aux correspondances fixes mais intègre les particularités personnelles ou locales. Par exemple, la qualité des propositions faites à l'ensemble des usagers scolaires dans un établissement peut annuler ou reculer la décision de faire bénéficier tel enfant de mesures spéciales. L'effet établissement est un élément pouvant infléchir un classement dans la catégorie "à besoins particuliers". Ainsi les besoins spécifiques recensés sont-ils répertoriés non en fonction de leur cause mais selon les réponses à apporter, situées du côté de la structure ou des activités à mettre en place. Le mouvement qui a permis le passage du CAEI options déficients visuels, intellectuels etc. au CAEI options A, B, C, D, E, F se retrouve typiquement ici.
Dans les pays de l'OCDE, les données statistiques qui concernent les offres éducatives en direction des enfants identifiés comme ayant des besoins éducatifs particuliers font état d'un formidable foisonnement terminologique. La manière d'évaluer les besoins et d'y répondre de même que les termes employés pour décrire les enfants ayant des BEP diffèrent d'un pays à l'autre, illustrant la relativité de telles catégorisations. L'Irlande par exemple inclut dans ses statistiques les enfants du voyage ; la Suisse, les enfants dont la langue maternelle est étrangère. La majorité des pays ont une catégorie "légères difficultés d'apprentissage, incapacités d'apprentissage, incapacités d'apprentissage spécifiques dans une matière" et "divers". Le Danemark, la Finlande, l'Allemagne etc. introduisent une catégorie "difficultés de la parole, handicaps du langage et de la communication, déficience linguistique spécifique, handicap de la parole". L'Islande et l'Espagne ont une rubrique "autiste" recouverte probablement dans d'autres pays par d'autres appellations telles "sévères difficultés d'apprentissage" ou "difficultés psychiatriques".
L'approche fondée sur le repérage des besoins éducatifs particuliers supprime la centration sur le manque ou le déficit. Mais la nouvelle expression d'élève "à besoins particuliers" est toujours dans le risque d'une désignation négative. La politique "d'inclusion" qui lui est associée, ne bannit pas les traditions récurrentes d'étiquetage et d'exclusion ainsi que le montrent Eric Plaisance et Michel Chauvière 202 . Le besoin pris comme un trou à combler dé-signe encore l'élève sans prendre en compte sa dimension de personne, capable de demande et de désir.
Les notions actuelles d'élèves en difficulté ou à besoins éducatifs particuliers appellent en réaction un autre concept : "aider" qui donne forme aux actions conçues dans l'école pour répondre aux difficultés ou aux besoins repérés. Ces actions, peuvent faire l'objet d'un travail ordinaire ou relever de spécialisations professionnelles.
OMS, 1980
OCDE (1995) L'intégration scolaire des élèves à besoins particuliers , Paris, OCDE, p. 36
En Allemagne, comme le précise S. ELLGER-RÜTTGARDT, « jusqu’au début des années 70, le soutien pédagogique spécialisé des enfants handicapés n’avait pratiquement lieu que dans un système d’écoles séparées ». En 1999, un peu plus de 13 % des élèves à besoins éducatifs particuliers sont scolarisés dans les écoles ordinaires. ELLGER-RÜTTGARDT S. Soutien pédagogique spécialisé en République Fédérale Allemande, in ASSANTE V. Mission d'étude en vue de la révision de la loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées. Rapport remis à Ségolène Royal, Ministre déléguée à la Famille, à l'Enfance et aux Personnes Handicapées, 2002
OCDE (1995) L'intégration scolaire des élèves à besoins particuliers , Paris, OCDE, p. 36
CHAUVIERE M. PLAISANCE E. (2000) L'école face aux handicaps. Education spéciale ou éducation intégrative, Paris, PUF, 252 p.