2.2.1. La notion "aide"

Le mot "aide", apparu en français au XIIème siècle, vient du latin ad juvare signifiant pour aller se faire plaisir. Aider, initialement, c'est être dans l'accomplissement du plaisir pour un autre, c'est-à-dire le faire accéder à la jouissance. Ce premier sens s'articule de façon phonétique avec le verbe aïer du XIème siècle, bâti sur l'interjection ahi! ou aïe! qui exprime un cri, une demande de secours et se trouve à l'origine de l'expression à l'aide. Peu à peu se produit un glissement de sens incluant la notion d'être utile et aboutissant à la signification actuelle.

Le terme d'aide aujourd'hui est utilisé très fréquemment, associé à des champs d'action ou à des métiers variés. Quel en est le sens précis ? Le Littré propose : "secours, protection ; donner aide, protection ; être, venir en aide, seconder, secourir ; église, chapelle, succursale d'une église paroissiale ; subsides, levées de deniers sur le peuple pour aider à soutenir les dépenses de l'Etat ; moyens par lesquels le cavalier agit sur son cheval". Le Petit Robert écrit : "action d'intervenir en faveur d'une personne en joignant ses efforts aux siens" et présente comme synonymes : "appui, assistance, collaboration, concours, coopération, secours, soutien, accompagnement etc." mais aussi : "aumône, avance, bienfait, bourse, cadeau, don etc."

Une signification aussi vaste, aussi ouverte, permet l'appropriation du mot par nombre de professionnels : les personnels soignants aident leurs malades, les travailleurs sociaux aident les familles ou leurs enfants, les enseignants aident leurs élèves, les gouvernants aident les citoyens etc. Chacun peut aider l'autre selon un système de référence théorique et idéologique propre à son champ d'intervention. De plus l'objet de l'aide est multiforme : aider à guérir ou à mourir, à se prendre en charge, à changer, à comprendre, à grandir, à faire etc. L'usage courant tend à ne poser aucune limite, aucune éthique, aucune finalité d'autonomie ou d'indépendance. Le vocabulaire entretient la confusion entre "faire à la place de" et "soutenir", "apprendre à faire" : se côtoient l'aide ménagère, l'aide soignante, l'aide aux devoirs etc. L'aide peut s'établir de façon illimitée, dans tous les domaines et pour toujours. Le terme est suffisamment large pour que le sens ne se canalise pas ou très mal, au risque de contresens. Le peu de références bibliographiques en la matière laisse présager la difficulté d'une élaboration conceptuelle. La notion est le plus souvent contournée et appréhendée seulement dans ses principes ou ses dispositifs matériels.

Le terme d'aide est prioritairement appliqué dans les trois métiers désignés par Freud comme "impossibles": guérir, éduquer, gouverner. Le minimum commun consensuel à chacun de ces domaines apparaît en creux, comme le négatif en photographie : il s'agit de ne pas nuire. Cette position éthique se fonde sur le seul interdit commun à tous les peuples dans tous les temps que représente l'interdit de l'inceste et la Loi symbolique qui l'accompagne: "Tu n'es pas l'autre". La limite implicite et intangible de l'aide est donnée par le nécessaire respect de l'autre dans sa différence, son étrangeté, son unicité. Toute la difficulté réside dans la mise en oeuvre d'actions promouvant réellement l'homme et évitant son asservissement plus ou moins déguisé. Ces deux impératifs à tenir simultanément relèvent d'un effort exigeant. Ils sont sans cesse traversés par la question du pouvoir, la dialectique du maître et de l'esclave. La vassalisation d'un être par l'autre, la confusion des places, conduisant immanquablement à une impasse mortifère, sont des dangers tels que l'exercice de ces métiers en est suspecté d'imposture. Positivement alors, la notion d'aide peut-elle prendre corps ?

Ne pas nuire implique fondamentalement la capacité de sollicitude qu'Erik Homburger Erikson appelle "générativité". Cette capacité constitue le fond de la relation d'aide et rend possible l'activité de prendre soin : "la sollicitude est le souci toujours plus large de faire vivre ce qui a été engendré par l'amour, la nécessité ou la fatalité. Ce besoin compense l'ambivalence inhérente à toute obligation irréversible" 205 . Cette générativité permet d'une part la transmission de la culture de la génération adulte à la génération montante et d'autre part laisse une place à la créativité et à la nouveauté introduites par ceux qui viennent. L'aide pourrait alors être définie comme une "présence générative", présence doublée d'absence pour permettre à l'autre d'occuper une place de sujet "allant devenant dans le génie de son sexe" selon l'expression de F. Dolto.

Sur ce point, l'aide est à confronter à la notion d'étayage en psychanalyse. Ce terme psychanalytique introduit la notion de "s'appuyer sur", pour devenir autonome et indépendant. Choisir un objet d'amour suppose un appui sur une pulsion d'auto conservation. Ainsi la personne s'étaye elle-même, à partir d'elle-même. Cet agir la conduit à des choix personnels et a pour conséquence l'accès à l'autonomie. L'étayage est présence à soi-même de tous les instants, dans tous les domaines hors d'un danger totalitaire. L'aide au contraire est obligatoirement exercée par un tiers. Elle ne prend effet que dans la mesure où le sujet aidé est en mesure d'en bénéficier, c'est-à-dire d'être capable d'étayage personnel. L'expression "aide-toi, le ciel t'aidera" issue du vieux français suggère bien que si quelqu'un est dans son propre étayage et non dans une passivité béate, il peut profiter de l'aide de quelqu'un d'autre. L'aide, alors en appui sur l'étayage, revêt un caractère ponctuel s'exerçant dans le cadre d'un besoin. Elle ne s'applique pas à tout, de façon concomitante. Elle est mise en oeuvre sur un mode particulier, pour un besoin partiel de la personne et forcément pour un temps. En ce sens elle s'approche de l'étaiement ou étayage, comme ouvrage provisoire destiné à soutenir ou à épauler une construction.

Limitant la réflexion au champ de l'éducation, l'aide dans la relation éducative doit éviter les mêmes écueils : l'élargissement de l'aide à toute la personne sans limitation dans le temps, la substitution de l'aidant à l'aidé. Cependant, l'enfant ne pouvant se construire seul, dans l'isolement, la rencontre d'aide est nécessaire. La condition humaine réclame la présence d'autrui pour pourvoir à la croissance, au développement et à l'humanisation de la personne. L'aide se situe dans le rapport à l'inconnu, dans le travail en zone proximale comme le propose Vygotsky, et dans le rapport à l'inconnaissable, dans la mise en oeuvre des castrations symboligènes telles que les décrit Dolto. C'est un étaiement fait de présence active qui s'efface au bon moment, laissant le sujet être, dans sa solitude fondamentale.

L'aide en milieu scolaire ainsi délimitée devient en premier lieu l'affaire de l'enseignant généraliste. C'est l'humble travail d'un maître jouant entre niveau d'apprentissage et développement de l'enfant, la tâche quotidienne d'un expert "ingénieur, géomètre ou saltimbanque", oeuvrant "dans un va et vient incessant entre le souhaitable et le possible" 206 . Quand cette aide se révèle insuffisante, elle s'assortit des adjectifs "pédagogique" ou "rééducative" selon les hypothèses émises concernant l'origine des difficultés repérées. Chacune peut faire alors l'objet d'une définition professionnelle plus restrictive. L'image d'un ordinateur en panne peut en faciliter la compréhension. L'appareil qui ne marche pas peut présenter un défaut de fonctionnement, une pièce endommagée par exemple ou un circuit rompu. Mais il peut aussi être en parfait état de marche et pourtant ne pas fonctionner si aucune énergie électrique ne lui est fournie. Selon cette métaphore un premier type d'aide, à dominante pédagogique, intervient directement au niveau des apprentissages. Un second, l'aide à dominante rééducative, travaille plus spécifiquement au niveau du désir d'apprendre.

Un tableau comparatif récapitule les caractéristiques essentielles des indications d'aides spécialisées page suivante.

Critères d'indication d'aide à dominante pédagogique, rééducative ou autre
Critères d'indication d'aide à dominante pédagogique, rééducative ou autre

Légende :en italique figurent les finalités poursuivies

Notes
205.

ERIKSON E. H. (1974) Ethique et psychanalyse , Trad. Nina Godneff, Paris, Flammarion p. 136

206.

DEVELAY M. (1992) De l'apprentissage à l'enseignement , Paris, ESF