2.2.3. L'aide à dominante pédagogique

La circulaire n° 90 082 du 9 avril 90 présente clairement les objectifs de l'aide à dominante pédagogique : "améliorer la capacité de l'élève à dépasser les difficultés qu'il éprouve dans ses apprentissages scolaires, à maîtriser ses méthodes et ses techniques de travail, à prendre conscience de ses progrès en suscitant l'expérience de la réussite". Les actions conduites impliquent "la cohérence entre les caractéristiques psychologiques de l'enfant d'une part, les méthodes mises en oeuvre et les finalités de l'enseignement d'autre part." Elles s'appuient sur des référents théoriques très étendus, issus notamment des approches cognitives et psychoaffectives. Les travaux de Piaget, Bruner, Vygotsky sont incontournables. Les apports ultérieurs des sciences cognitives, des neurosciences, de la neurobiologie complexifient encore des données devenant aujourd'hui encyclopédiques. Cette diversification se manifeste aussi dans leurs mises en pratique. Les aides à dominante pédagogique peuvent être organisées en "classes à effectif réduit" ou en "regroupement d'adaptation" 215 . Ces deux dispositifs donnent aux pratiques d'aides à dominante pédagogique des allures bien distinctes. La première se rapproche incontestablement du travail de l'enseignant généraliste dans son exercice habituel. La seconde ressemble davantage à celui du rééducateur.

Les classes d'adaptation résultent souvent de la transformation d'anciennes classe de perfectionnement. Mais elles n'appartiennent pas au secteur de l'AIS. Elles sont généralement destinées aux enfants venant de grande section maternelle pour lesquels l'apprentissage de la lecture semble prématuré. Elles peuvent être également conçues pour des élèves ayant déjà fait un CP ou pour des élèves de tout niveau. Elles présentent des modes de fonctionnement variables allant de la classe fermée à semi-ouverte. Théoriquement les maîtres E titulaires de ces postes devraient travailler en réseau au même titre que leurs collègues en RASED. En réalité ces classes restent la plupart du temps repliées sur elles-mêmes, ouvertes au mieux sur le groupe scolaire où elles sont situées. Le modèle le plus fréquent correspond à la classe fermée le matin - avec le groupe fixe d'enfants inscrits dans cette classe - et ouverte l'après-midi - les élèves précédents sont ventilés dans d'autres classes pour des activités avec les enfants de leur âge tandis que le maître E accueille des groupes d'élèves en difficulté ou non en provenance de classes "ordinaires".

Les regroupements d'adaptation correspondent à l'éclatement de la classe d'adaptation. Ils sont fréquemment implantés sur plusieurs écoles. Le maître E chargé d'un tel poste rassemble périodiquement des groupes d'élèves pendant une heure environ - ou un peu moins selon l'âge des enfants -, au rythme de deux à trois fois par semaine - voire plus. La décision de prise en charge se construit avec l'équipe de cycle, le réseau et l'IEN. Elle donne lieu à la rédaction d'un projet impliquant tous les acteurs : élève, maître de la classe, maîtres du cycle ou de l'école, maître E. Les parents sont souvent informés de l'aide mise en place, rarement sollicités pour agir de façon particulière à leur niveau. Le suivi demande un engagement réciproque et de fréquents échanges pour réactualiser objectifs et modalités de travail au vu des progrès de l'élève.

L'aide à dominante pédagogique s'adresse à des élèves présentant des déficits "simples" dans la maîtrise des connaissances instrumentales, principalement en lecture et en calcul. Pour ces enfants, les lacunes scolaires repérables ne s'accompagnent pas de dépendance affective envahissante ni de faille au niveau des activités symboliques. Cette première appréciation laisse supposer que leur structuration psychique se déroule convenablement et qu'il est opportun de renforcer l'étayage facilitant l'entrée dans les apprentissages fondamentaux. L'aide E s'exerce donc spécifiquement - et de manière décalée par rapport au maître de la classe "ordinaire" - sur le cheminement que constitue l'acte d'apprendre. Elle prend la forme de médiations ou de remédiations techniques nécessitant une connaissance précise des opérations cognitives, des mécanismes d'apprentissage, des situations pédagogiques appropriées, des situations évaluatives etc. et ceci tout particulièrement à propos de la mise en place des fondamentaux lire / écrire / compter. Néanmoins, la pédagogie "médiationnelle" et les actions qui en découlent, "même si elles doivent s'appuyer sur des objectifs scolaires, ne sauraient se réduire à une somme d'interventions compensatoires visant la restauration de tel ou tel déficit évalué, de telle ou telle compétence requise manquante ou mal maîtrisée" 216 . L'enfant n'est pas un réceptacle inerte, acceptant passivement le comblement d'une lacune par un rattrapage technique. Le maître E, prenant en compte la dimension du sujet apprenant, ancre ses efforts dans deux directions complémentaires à la technicité : celle de l'appropriation du savoir par l'enfant et celle des relations élève/maître, élève/pairs.

Le travail concernant l'appropriation du savoir par l'enfant est important. Il passe nécessairement par des actes de parole : l'explicitation de "ce qu'il faut faire", de "comment je fais" ou de "comment je veux faire", le résumé d'une procédure ou d'une histoire, les conséquences d'actions présupposées etc. La parole engage l'histoire de deux sujets au moins, celle du locuteur et du destinataire, où le maître reconnaît l'autre comme autre, sans jamais prendre sa place ni confisquer son savoir. Cette position éthique permet à l'enseignant de quitter sa supériorité de "supposé sachant" ayant percé à jour la logique des actes et des stratégies de l'élève. Il n'est que le "sachant ne sachant rien de l'enfant". L'enfant peut lui restituer alors ses tâtonnements, s'appropriant par-là même son propre savoir.

L'aspect relationnel est essentiel. "Un enfant en difficulté scolaire ne peut mobiliser ses compétences que si le maître et ses camarades de classe modifient leur regard et croient à son possible changement de statut" 217 . Pour ce faire, l'intervention d'un tiers permet à l'enfant un investissement scolaire extérieur à la classe. La place médiane que le maître E occupe est celle du témoin. Il est celui qui, à bonne distance, écoute, fait confiance, dévoile les possibles, atteste des progrès. Il est aussi le médiateur des situations d'interactions sociales qu'il multiplie au sein des petits groupes de travail. Il est là pour restaurer les narcissismes blessés - ceux des élèves mais aussi celui du maître bien souvent. Et puis discrètement il s'efface.

Le décalage des aides à dominante pédagogique par rapport à la classe de référence réside essentiellement dans la position tierce du maître E - ce qu'il est difficile d'affirmer pour le maître E en classe d'adaptation fermée ou semi-ouverte. La technicité et l'appropriation du savoir ne sont pas des distinctions a priori pertinentes entre aide E et aide généraliste. Elles ne font figure de trait particulier qu'en raison des conditions de travail spécifiques, à savoir le regroupement d'un petit nombre d'élèves et la concision du temps de prise en charge.

Notes
215.

La circulaire n° 90 082 du 9 avril 90 précise que les aides à dominante pédagogique peuvent être organisées de deux façons : 1) par la constitution de classes à effectif réduit rassemblant de manière permanente des élèves en difficulté. Ces classes d'adaptation dont l'effectif ne pourra excéder 15 élèves ont pour objectif de réinsérer, le plus rapidement possible, dans une classe ordinaire correspondant à leurs possibilités nouvelles, les élèves qui y ont accompli un séjour;

constitution de classes à effectif réduit rassemblant de manière permanente des élèves en difficulté. Ces classes d'adaptation dont l'effectif ne pourra excéder 15 élèves ont pour objectif de réinsérer, le plus rapidement possible, dans une classe ordinaire correspondant à leurs possibilités nouvelles, les élèves qui y ont accompli un séjour ; 2) par l'organisation des regroupements d'adaptation rassemblant de manière temporaire des élèves en difficulté qui continuent de fréquenter la classe ordinaire dans laquelle ils demeurent inscrits. Ces regroupements d'adaptation répondent à des besoins pédagogiques spécifiques. Leurs modalités de fonctionnement sont définies par le conseil des maîtres et s'inscrivent dans le cadre du projet d'école dont le directeur est garant."

216.

HERVE G. (1997) Intervenir en Réseau d'Aides Spécialisées aux Enfants en Difficulté , Paris, Armand Colin, p. 7

217.

ANNINO J. (1996) L'aide spécialisée : entre l'illusion et la réalité ou de l'efficacité des aides spécialisées à dominante pédagogique pour les élèves en difficulté à l'école élémentaire , Mémoire de maîtrise de Sciences de l'Education, année universitaire 95-96, Université Lyon 2, p. 64