2.2.4. L'aide à dominante rééducative

Tout d'abord la qualification de "rééducative" pose question. Utilisé pour la première fois officiellement en 1987, cet adjectif associé au mot aide remplace l'emploi des termes rééducation et réadaptation apparus respectivement en 1960 et 1964. A cette même date, l'appellation officielle de maître chargé d'aide à dominante rééducative, et l'appellation officieuse de maître G 218 , se substitue à celle de rééducateur. Ce vocabulaire, déjà ancien dans la profession, est jugé ambigu, appartenant au domaine de la Santé et entretenant en conséquence une confusion avec le soin. La tentative d'éradication auquel il est soumis se révèle infructueuse. Dans le langage courant, les "rééducateurs" de l'Education Nationale continuent à faire de la "rééducation".

La persistance du préfixe"re"dans l'usage ordinaire est à interroger. En médecine, la rééducation a pour finalité d'éduquer à nouveau. Une articulation endommagée par accident et opérée par exemple doit retrouver sa souplesse et sa mobilité initiale. Elle va donc être soumise à des exercices visant à récupérer une fonction perdue sous la pression d'un événement tiers. A l'école, le "re" de "rééducation" signe lui aussi le recommencement, la répétition. Il va s'agir de re-faire, de re-prendre non ce qui a été perdu mais ce qui a été mal fait - par les parents ou les enseignants. L'autorisation écrite demandée par le maître G aux parents par exemple peut être entendue comme l'accord nécessaire pour le "remodelage" d'un produit insuffisant par rapport à ce que la société attend et dont ils sont responsables. Toute aide ré-éducative est ontologiquement critique vis à vis des éducateurs antérieurs. Ce faisant, elle touche à la suffisance et à l'orgueil du système - familial ou institutionnel - ce qui reste rarement sans conséquence réactionnelle. Le "re" peut aller jusqu'à recouvrir un abus de langage. Un enfant, par exemple, qui n'apprend pas à lire n'a pas reçu les clés du système pour y accéder. En ce sens l'éducation minimale n'a pas été donnée. Parler de ré-éducation, c'est laisser entendre à tort que ce travail a déjà été conduit et qu'il doit être repris. Le plus souvent il s'agit seulement d'éducation. Or, par définition, celle-ci porte déjà en elle-même le "re". L'éducation pourrait se définir comme la mise en condition pour découvrir qui l'on est et les possibilités que l'on a. Tout ce que fait l'homme est de l'ordre de la re-création. Quand l'enfant accède au langage, il crée son propre univers en re-créant le monde et se découvre à l'occasion comme pris dans la création. L'aide rééducative se situe délibérément au cœur de cet axe éducatif, dans une parole, une re-création du monde et re-dé-couverte de soi rendues possibles. Le voile couvrant et souvent menteur qui emmaillote le sujet peut être enlevé, désobstruant la voie au changement. Le "re" de la rééducation ouvre donc le débat sur l'homme et sur ce qu'est qu'éduquer...

La circulaire n° 90 082 du 9 avril 90 définit précisément les objectifs et les modalités de l'aide à dominante rééducative. "Il s'agit d'une part de favoriser l'ajustement progressif des conduites émotionnelles, corporelles et intellectuelles, l'efficience dans les différents apprentissages et activités proposés par l'école et d'autre part de restaurer chez l'enfant le désir d'apprendre et l'estime de soi". L'action d'aide rééducative "est entreprise avec l'accord des parents et dans la mesure du possible avec leur concours. L'intervention auprès des enfants se fait individuellement ou en très petits groupes".

L'aide rééducative s'adresse à des élèves dont les conduites d'inadaptation renvoient à une histoire personnelle perturbée, sans que les troubles relèvent pour autant d'un registre pathologique. Les indicateurs les plus significatifs sont relatifs aux processus de pertes, toujours malaisés. Par exemple les sensations sont insuffisamment mises en mots, la symbolisation est difficile, les castrations symboligènes sont mal faites etc. La structuration psychique de l'enfant comme individu séparé, parlant à partir de sa place générationnelle unique et inscrit dans une solitude fondamentale, s'élabore imparfaitement, entravant les effets de la pulsion épistémologique.

La démarche rééducative est originale. Elle intervient "en amont" des apprentissages, sur les préalables nécessaires à une acquisition possible. Le travail d'aide 219 se découpe en séances de 3/4 d'heure ayant lieu une ou deux fois par semaine pendant le temps scolaire. Il se déroule dans une salle spécifique, aménagée avec divers objets médiateurs. Ceux-ci permettent soit une motricité importante (dans le registre sensori-moteur : trampoline, espalier, banc suédois, ballons etc.) soit la mise en scène d'activités d'une vie dite "réelle" ou "imaginaire" (dans le registre de la représentation : dînette, poupées, mallette de docteur, feutres pour dessiner ou écrire des histoires etc.) soit la mise en oeuvre de méthodes, de savoir-faire (dans le registre des connaissances : exercices scolaires, jeux de société, suite logique d'images, puzzles etc.).L'enfant doit répondre à la règle fondamentale : "Ici, tu fais tout ce que tu veux sauf te faire mal, me faire mal, casser du matériel. Tu choisis tout ce qui peut t'aider à être mieux en classe. Plus tard, je pourrai choisir pour toi aussi. En fin de chaque séance, je te demanderai de dessiner (d'écrire ou de me dicter) ce que tu as fait. Tu devras également prévoir une activité pour la fois prochaine". L'analyse des comportements observés, en rééducation et en classe, permet de dégager des éléments propres à mettre l'enfant dans sa dynamique. Ainsi, en collaboration avec l'équipe éducative et les parents, prend corps un projet individuel de rééducation, régulièrement évalué.

L'aide à dominante rééducative puise ses références théoriques dans les découvertes psychanalytiques. Elle s'appuie sur des connaissances qui éclairent la signification des attitudes de l'enfant et permettent de développer des réponses en adéquation. La pulsion de savoir qui se manifeste ordinairement à l'école, résulte du mode de satisfaction des pulsions antérieures. Celles-ci, exprimées aux différents orifices du corps (bouche, yeux, orifice anal, urétral etc...) sont signes de soumission aux exigences de la vie et demandent à être humanisées. La réponse des parents conditionne leur satisfaction et leur intégration dans une vie d'homme ou de femme. Elle oriente le positionnement de l'enfant face au don. Si l'enfant est dans l'incapacité d'apprendre, c'est à dire de prendre, de recevoir quelque chose venant d'un autre, l'hypothèse peut être faite d'une défaillance relationnelle au cours de son histoire personnelle. Si cette incapacité se double d'un étayage défectueux, au sens psychanalytique du terme, un soin psychique s'avère nécessaire hors de l'école. Mais si l'enfant est capable, au-delà de son symptôme scolaire, d'étayage personnel, s'il présente des capacités minimales d'appui sur des pulsions d'auto conservation et donc manifeste des capacités de défense, une aide rééducative peut être proposée avec un objectif précis et pour un temps déterminé. L'Education Nationale fait alors le pari, que dans certains cas, sans psychothérapie ni analyse mais avec le concours des rééducateurs, l'enfant peut prendre une place active au sein de l'école.

Le travail rééducatif vise avant tout à autonomiser le sujet. Pour ce faire la notion de coupure qui place les êtres en différence est essentielle. Quand un enseignant fait appel au réseau d'aides spécialisées pour un enfant en difficulté dans sa classe et que ce signalement est fondé, la première chose à faire est de rencontrer les parents pour cerner le plus finement possible ce qui se joue autour de cette difficulté. Souvent cet entretien révèle des habitudes qui ligotent l'enfant, l'attachent à ses parents comme bébé et l'empêchent de grandir. Grandir, c'est se séparer, trouver sa place unique à bonne distance de l'autre et s'installer ainsi dans une solitude fondamentale. Quand des liens destructeurs viennent au jour dans le discours des parents ou de l'enfant, le devoir du rééducateur est de rappeler la Loi, de formuler l'interdit, de dire ce qu'il n'est pas possible de faire "entre" des sujets, d'indiquer une coupure par la parole. L'interdit, véhiculé par le lien social, est normalement vécu de façon implicite, sans justification. Il va devoir pour des parents négligents ou ignorants être expliqué, justifié.

‘"Un rappel fréquent concerne par exemple le lit parental. En interdire l'accès, c'est formuler l'interdit de l'inceste. Inceste est à entendre aussi comme interdiction, pour le garçon comme pour la fille, de retourner au ventre maternel, d'entrer en confusion mère/enfant, où le corps de l'un se confond avec celui de l'autre. Il y a nécessité d'une séparation prononcée par le père et qui se dit dans la différence de place, dans la mise hors le lit parental, hors le lieu de la scène originaire. Si cette séparation est difficile, c'est bien qu'il existe des forces pulsionnelles importantes qui poussent adulte et enfant à se confondre l'un avec l'autre. Il est plus facile en effet de fusionner que d'être deux en relation. Il est plus tentant de laisser l'enfant prendre du plaisir au corps de l'adulte (et vice versa) que d'affronter la solitude, chacun dans sa singularité" 220

Un enfant non séparé de ses père et mère est souvent dans la méconnaissance des liens familiaux. Son horizon s'arrête à celui de ses parents auxquels il se confond. L'enfant ne peut se situer dans le temps et l'espace, manquant du repère fondamental que constituent la succession des générations et le tissu de la parenté. Dans ce cas, l'aide rééducative a pour rôle de dire l'importance de la transmission de la vie en articulation avec l'histoire familiale et de permettre que ce savoir sur la transmission fasse réponse à l'interrogation de l'enfant.

‘"Le support utilisé par exemple peut être le génogramme (Cf. Annexes A1 pp. 33-34). Il est posé en tant qu'objet médiateur matérialisé et "flottant" entre l'enfant, ses parents et le maître G. Il permet à chacun d'exposer ses représentations. Le nouage des imaginaires peut alors se défaire et se reconstituer autrement. L'enfant est mis à sa place de fils, dans la filiation générationnelle qui l'ouvre à l'origine. Il est établi comme semblable et différent de ses parents, lié par leur intermédiaire au grand Autre. Il porte un nom transmis comme un héritage des générations antérieures. Ce nom est la marque de la filiation et n'a pas d'autre signification. Il ne signe pas des capacités ou des qualités. C'est un trou dans le langage, dans lequel l'enfant peut se mettre, trouver place, exister et oser une parole singulière" 221

L'aide rééducative ouvre aussi à la culture par le support privilégié du jeu. L'école pour certains enfants en difficulté est une réalité difficile à aborder et à vivre. Elle nécessite une médiation, une transition, un passage. En ce sens la rééducation qui fait la transition entre l'intérieur (la vie psychique de l'enfant) et l'extérieur (le monde de l'école) peut être considérée comme un espace parenthèse où ce qui se passe en classe, à la maison ou dans la salle de rééducation est mis en mots. La parole du rééducateur permet à l'élève de ne plus rester dans ses sensations (hors langage), de ne plus être dans la nécessité de les revivre pour les retrouver. Dans cet espace transitionnel peut alors s'élaborer la capacité fondamentale de jouer. Le jeu permet à l'enfant de s'adapter au monde extérieur, de l'apprivoiser en ayant une prise réelle sur lui par la manipulation. Il lui permet de développer des compétences, de devenir performant. Il est aussi l'occasion d'une représentation. C'est le début de l'activité créatrice, la base de l'accès à la vie culturelle.

Ainsi, quel que soit le registre dans lequel elle se déploie, l'aide rééducative permet-elle à l'enfant de prendre place dans la communauté humaine, tout en l'invitant à mettre son énergie non plus au service du symptôme mais à celui des apprentissages.

Notes
218.

Les dénominations trop longues sont infailliblement raccourcies. L'expression "maître G" contracte le début du nom de la fonction "maître" chargé d'aide à dominante rééducative et la lettre "G" de l'option du CAPSAIS G.

219.

de même que les séances d'observation préalables, conduisant à poser en équipe une indication d'aide

220.

CROUZIER M.F. (2000) De la coupure comme nécessité indispensable à l'apprentissage in Envie d'école n° 20 sept-oct 1999 pp. 8-11 et n°21 déc-janv. 2000 pp. 8-10

221.

CROUZIER M.F. (2001) Ecrire en rééducation in L’ERRE Ecrire (2) n°19, mai 2001, 19 pages