2.3.La demande institutionnelle de concertation et de collaboration

2.3.1. A travers les textes officiels

La circulaire n° 90 082 du 9 avril 90, en application lors du recueil de données utiles à notre recherche, définit précisément la mise en place et l'organisation des RASED. Parmi les caractéristiques énoncées, la notion de collaboration est vivement soulignée, aussi bien pour les activités de prévention que pour les aides apportées lors de difficultés avérées.

La collaboration entre le personnel de RASED et les enseignants généralistes est tout d'abord présentée comme un terme générique rassemblant des pratiques peu définies mais allant de soi. Les fruits attendus de cette collaboration sont clairement explicités dans le texte officiel : la qualité des pratiques éducatives en direction des élèves s'améliore et l'attitude des enseignants se modifie positivement. Les bénéfices escomptés touchent plus particulièrement la mise en place d'une différenciation pédagogique effective. Cette démarche, non citée nommément, est cependant clairement évoquée : observation, évaluation, analyse fine et pertinente des erreurs, remédiation à l'aide de situations et techniques variées adaptées aux caractéristiques de chaque élève. L'amélioration des pratiques enseignantes est présentée comme une conséquence logique et infaillible du travail d'équipe qui accompagne nécessairement le fonctionnement en cycles initialisé par la Loi d'orientation de juillet 89. Néanmoins, dans le texte de 90 la notion d'équipe associant maîtres spécialisés et généralistes est absente du vocabulaire usité. Ce choix a pour conséquence d'introduire une coupure implicite entre les fonctions et d'associer plutôt l'exigence de collaboration à un contexte de partenariat.

Les pratiques de concertation et de collaboration sont définies plus précisément lorsque les difficultés des élèves sont "déjà structurées et parfois importantes" 227 . Elles se concrétisent autour d'une démarche de projet : observation et analyse de l'existant, proposition et mise en œuvre d'actions adaptées, évaluation. La phase initiale réclame une concertation approfondie entre tous les enseignants concernés et les parents, avant de pouvoir se traduire concrètement dans un projet d'aide. "Le projet d'intervention n'est arrêté qu'après une étude attentive, qui associe les intervenants du réseau, le maître de la classe et les parents". La mise en œuvre des aides spécialisées "est entreprise après une mise en commun des différentes approches effectuées au moins par le maître de la classe et les intervenants concernés du réseau (psychologues scolaires, maîtres chargés de rééducations et autres maîtres spécialisés)" 228 . Les échanges et les décisions qui en résultent sont placés sous la responsabilité du directeur d'école : "Une concertation organisée par le directeur d'école avec les membres du réseau a pour objet de choisir les modalités de l'aide spécialisée" 229 . L'établissement et la réactualisation régulière du projet nécessitent également des échanges approfondis entre l'ensemble des intéressés: "Lorsqu'une action d'aide spécialisée à dominante pédagogique ou rééducative a été décidée, l'intervenant concerné poursuit l'analyse des difficultés de l'élève, développe en fonction de ses compétences ses propres observations et s'efforce de saisir tous les aspects des difficultés éprouvées par l'enfant. Sur ces bases, il conçoit et explicite avec le maître, avec l'enfant et sa famille les conditions dans lesquelles l'action d'aide spécialisée est entreprise. L'action d'aide spécialisée est ainsi formulée dans un projet qui donne lieu à la rédaction d'un document écrit" 230 .

Leprojet d'aide spécialisée se matérialise dans un documentofficiel répondant à des normes précises, calquées sur une procédure en boucle rétroactive : état des lieux / analyse / action. Il comprend la description du "cas à traiter", l'énonciation des buts et des moyens avec la présentation de la stratégie, de la démarche, des supports d'activité, de la durée estimée, enfin l'évaluation de l'action conduite et de ses résultats produits chez l'enfant. Le suivi de ce projet implique des réajustements fréquents, liés aux transformations des conduites de l'élève observées dans touts ses lieux de vie.

La circulaire n° 2002-113 du 30 avril 2002 apporte des précisions sur la mise en place de la collaboration entre enseignants spécialisés et généralistes, désignée pour la première fois comme "coopération étroite". Elle rappelle tout d'abord le cadre général dans lequel elle doit se développer. Les ressources que représentent les réseaux d'aide "n'ont d'efficacité que si elles sont incluses dans le projet d'école qui assure la cohérence des interventions effectuées par les personnels spécialisées avec l'ensemble des actions pédagogiques conduites au sein de la classe" 231 . Le projet d'école est le cadre de base où toutes les actions entreprises par "l'équipe éducative" sont coordonnées et liées entre elles dans un souci fondamental de collaboration.

Le terme d'équipe est mentionné à plusieurs reprises dans sa diversité de composition : équipe éducative ou pédagogique, laissant entendre que celle-ci intègre le RASED chaque fois qu'elle le sollicite ; équipe élargie "associant le médecin ainsi que les infirmières de l’éducation nationale" 232 . Le RASED est présenté comme un "dispositif-ressource" au service des équipes pédagogiques, sans que soit évoquée précisément une organisation en réseau. Il peut être mobilisé selon des priorités établies elles aussi dans un travail commun préliminaire entre personnels spécialisés, équipes pédagogiques et équipe de circonscription.

La principale injonction porte sur la qualité de communication entre professionnels généralistes et spécialisés. "La réussite scolaire de tous les élèves requérant une coopération professionnelle étroite des différents acteurs, toutes les mesures de nature à améliorer la communication sont à rechercher" 233 . Ces mesures, au nombre de trois, sont relatives soit à des attributions professionnelles spécifiques, soit à des méthodes procédurales. La première concerne le rôle dynamisant et rassembleur du directeur d'école : "le directeur d’école a certainement un rôle décisif pour favoriser l’intégration des activités des personnels spécialisés au sein de la vie pédagogique de l’école" ; sa participation aux réunions de concertations organisées par l'IEN, pour élaborernotamment les critères d'évaluation des actions conduites par le RASED, est encore envisagée comme "un facteur positif pour la cohérence du travail entrepris en faveur des élèves en difficulté".La seconde mesure inaugure une nouvelle responsabilité : assumer la tâche de correspondant RASED pour faciliter les connexions entre dispositif spécialisé et équipe éducative. "Certains départements ont mis en place avec profit un “correspondant RASED” par école ; c’est un membre du RASED qui est l’interlocuteur privilégié de l’école et qui alerte ses collègues quand des enseignants en appellent à la présence de personnels spécialisés pour un nouveau cas d’élève. Il assiste aux divers conseils de l’école, en particulier les conseils de maîtres de cycle où sont élaborées des stratégies d’aides aux élèves en difficulté" 234 .La dernière mesure améliorant la communication se rapporte aux protocoles d'échanges. Les procédures de demande d'aide par exemple peuvent être formalisées en équipe et conduire à une réflexion commune sur les critères d'observation, d'indication d'aide, d'appui sur les éléments positifs. Cette élaboration initiale, fructueuse, vivifie de surcroît la coopération ultérieure. "Certaines circonscriptions ont élaboré des documents de “demande d’aide spécialisée” ou de “demande d’intervention”.(…) Cette formalisation des procédures ne se réduit pas à la rédaction d’une “fiche” et ne se substitue pas aux échanges indispensables entre les parties prenantes à l’élaboration du projet d'aide" 235 .

Une seconde injonction, s'appliquant à l'organisation des pratiques éducatives, complète la précédente. Elle vise "une meilleure efficacité globale" 236 . L'amélioration de cette organisation passe par une collaboration intensifiée entre les membres de l'équipe pédagogique, entre intervenants spécialisés et enseignants généralistes. A maintes reprises, cette collaboration est évoquée ou décrite très précisément. Elle reprend intégralement les propos du texte d'avril 90 en ce qui concerne les bénéfices escomptés et détaille considérablement sa mise en œuvre possible, en suivant le déroulement chronologique du repérage d'un besoin, de la mise en place et du suivi d'une aide.

L'enseignant généraliste, ayant tenté sans succès de remédier aux difficultés d'un élève, peut solliciter l'aide du RASED. Après la demande initiale, dont la procédure gagne à faire l'objet de concertations, l'observation "spécialisée" se nourrit de confrontations. "Conduite par les membres des RASED, elle s’effectue à partir des questions que se pose le maître, des problèmes qu’il a commencés à percevoir sur la base de prises d’information quotidiennes ou d’évaluations qu’il a pratiquées" 237 . Elle peut être complétée utilement par le croisement des résultats obtenus aux évaluations et bilans gérés par le maître de la classe d'une part et organisés en plus, si nécessaire, par l'enseignant spécialisé. Les évaluations nationales notamment sont à considérer avec attention : "des situations telles que les évaluations nationales (CE2, GS et CP) ne peuvent que bénéficier des analyses des membres des RASED" 238 . La mise en commun des différentes approches "effectuées au moins par le maître de la classe et les intervenants concernés du réseau d’aides" facilite le choix des objectifs sur lesquels l'équipe éducative doit se mobiliser en priorité. Elle conduit à déterminer les modalités d'aide qui doivent être prises en conseil des maîtres de cycle.

La mise en œuvre d'une aide spécialisée s'inscrit dans une démarche de projet qui vise à organiser rationnellement et méthodologiquement les activités proposées.Elle correspond à une conduite d'anticipation opérationnelle, "supposant le pouvoir de se représenter l'inactuel et celui d'imaginer le temps du futur par la construction d'une succession d'actes et d'événements potentiels, organisée a priori et sans repères éprouvés" 239 . Concrètement, elle se traduit dans l'élaboration d'un projet d'aide individualisé, consigné dans un document écrit construit sur le modèle détaillé de la circulaire du 9 avril 90. La réalisation de ce projet intègre, au fur et à mesure que les conduites de l'élève aidé se transforment, les réajustements des moyens et des buts fixés. Elle requiert aussi une capacité importante d'explicitation auprès de tous les interlocuteurs concernés : "maîtres de la classe, parents, élèves eux-mêmes, autres intervenants, autorités académiques, etc." et "doit toujours pouvoir donner lieu à une communication sous une forme adaptée (…). Les parents sont régulièrement informés des bilans et des propositions de modification, de poursuite ou d’arrêt du projet".La démarche de projet appliquée aux aides spécialisées réclame une grande maîtrise, non seulement du déroulement des actions, mais aussi de leur lisibilité. Elle ouvre à une dimension de marketing, autrement dit de travail d'argumentation ou de recherche d'image de marque auprès des différents acteurs.

La manifestation explicite de la collaboration demandée se traduit selon le discours officiel dans un lien direct entre les pratiques spécialisées et ce qui se fait en classe. Par exemple, le dispositif d'aides spécialisées "accompagne et complète les mesures prises par le maître de la classe et l’équipe pédagogique, mesures qu’il a pu contribuer à définir dans certains cas". Ou encore : "Quand la situation des enfants le requiert, les membres des RASED concourent, avec les maîtres qui le demandent, à l’élaboration des projets pédagogiques personnalisés ; dans ce cadre, ils peuvent participer à la construction et à la mise en œuvre de réponses adaptées dans la classe" 240 . Les actions spécialisées, s'inscrivant dans le prolongement et en concomitance d'actions effectuées par le maître de la classe, les secondent étroitement. Le personnel de RASED est ainsi investi de savoirs particuliers : connaissance des situations-problèmes posées par l'élève en difficulté et irrésolues par l'enseignant généraliste, maîtrise de techniques particulières pour répondre aux besoins singuliers d'un enfant etc. La contribution apportée par les membres du RASED peut même "concourir à la recherche de l'ajustement des conditions d'apprentissage en classe" 241 et se concrétiser par un travail dans la classe, aux côtés du généraliste. Cette évocation contribue à renforcer l'image du verre vide qu'il faut remplir, à faire du maître de la classe un maillon "manquant", défectueux, dont il s'agit de colmater les lacunes. Elle peut aussi suggérer un concours respectueux, une réelle collaboration où les deux protagonistes sont en situation de demande. Dans cette perspective, le passage d'une dimension individuelle à une dimension coopérative, voire collective est à nouveau préconisé. Le projet d'aide individuel, conçu pour un élève, n'a de sens que par rapport à un contexte éducatif plus large, et plus précisément par rapport aux autres projets mis en oeuvre : projet de classe, projet de cycle, projet d'école, projet de RASED, projet de circonscription, projet académique…

Le travail en équipe entre professionnels de statut différent est affirmé comme une nécessité incontournable. L'articulation cohérente des différentes planifications suscitées par ces multiples projets impose des pratiques de coopération "interactive" 242 . Celles-ci s'inspirent des recherches sur le partenariat entre enseignants, menées notamment par le C.R.E.S.A.S. 243 . L'interaction humaine, "propriété volontaire d'interdépendance et d'influence réciproque des comportements et des activités intentionnelles d'individus et de groupes sociaux" peut alors être renforcée par une "interactivité technique" issue de la réactivité d'un dispositif de communication en réseau, comme le suggèrent par ailleurs des auteurs canadiens tels C. Charlier 244 .

Notes
227.

Circulaire n°90 082 du 9 avril 1990

228.

Ibid.

229.

Ibid.

230.

Ibid.

231.

Circulaire n° 2002-113 du 30 avril 2002

232.

Circulaire n° 2002-113 du 30 avril 2002

233.

Circulaire n° 2002-113 du 30 avril 2002

234.

Ibid.

235.

Ibid.

236.

Ibid.

237.

Ibid.

238.

Ibid.

239.

CROS Françoise (1994) Projet in Dictionnaire encyclopédique de l'éducation et de la formation , Paris, Nathan

240.

Ibid.

241.

Circulaire n° 90083 du 10 avril 90 et n° 2002-113 du 30 avril 2002

242.

L'adjectif fait écho aux travaux de l'INRP concernant les types de collaboration professionnelle susceptibles d'aider les enfants, et pouvant être transférés à tout type de projet. Cf. CRESAS (1991) Naissance d'une pédagogie interactive Paris, ESF-INRP

243.

développés notamment par le CRESAS de l'INRP. Voir par exemple CRESAS (1988), Partenaires de connaissance. Guide pour analyser en équipe les actions éducatives, Paris, INRP

244.

CHARLIER Revue des Sciences de l'éducation L'interactivité au service de l'apprentissage, volume XXV n°1 1999